Les six éoliennes de Chamole sont raccordées au réseau depuis mi-décembre 2017, mais l'inauguration n'intervient que près de dix mois plus tard, samedi 29 septembre. C'était « une obligation contractuelle de les raccorder au réseau avant la fin de l'année pour bénéficier du tarif de rachat négocié », explique Gérard Magnin, président de JuraScic, coopérative citoyenne projetant de racheter l'une des six machines. Entre temps, le constructeur, Enercon, a procédé aux essais et aux réglages pendant trois mois.
Démarré à l'automne 2016, le chantier avait commencé neuf ans après que le développeur Intervent eut sollicité la commune. Assez vite, le maire, Jean-Louis Dufour, se lance dans une mobilisation collective d'envergure pour que l'une des machines devienne propriété sociale. S'en est suivi une longue et lente construction citoyenne et institutionnelle dont la traduction juridique et financière devait se finaliser cette semaine. Mais on n'y est pas encore : « Ça aurait été mieux qu'on arrive à l'inauguration en ayant tout signé, mais il reste quelques bricoles à régler, des conditions suspensives à lever », dit Jean-Louis Dufour.
620 investisseurs citoyens
et 17 actionnaires
Le parc éolien est constitué de deux sociétés, l'une détenant cinq machines, répond au doux nom de Sabine. L'autre, Sabine 2, détient une éolienne, et doit être rachetée par la coopérative Jurascic et plusieurs acteurs publics et coopératifs. JuraScic est, comme son nom l'indique, une société coopérative d'intérêt collectif réunissant des collectivités, des associations, des entreprises, des salariés et surtout 620 citoyens réunis en 45 clubs d'investisseurs.
Parmi les autres acquéreurs de Sabine, le plus important est la Société d'économie mixte Énergies renouvelables citoyennes (SEM-ERC) qui réunit pas moins de 17 actionnaires, dont quatre collectivités qui devraient ensemble détenir 70 à 75% du capital. Celles-ci, commune de Chamole, Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, Syndicats d'électricité du Doubs et du Jura, doivent encore délibérer pour décider formellement d'investir. Les autres actionnaires de la SEM-ERC sont les coopératives précitées
En attente des délibérations des collectivités
« Parmi les clubs d'investisseurs, certains trouvent le temps long », note Jean-Louis Dufour qui comprend leur impatience : « on était parti sur une transaction en juin 2017, puis on a dû attendre la mise en service... » En fait, comme il s'agit d'investir 5 millions d'euros par des acquéreurs multiples, il a fallu créer des sociétés, ce qui ne se fait pas sur un coin de table. Les choses sont allées prudemment, de nombreuses consultations d'avocats ont été nécessaires, des discussions se sont tenues sur le prix, les conditions d'exploitations, le rachat du crédit contracté par Sabine 2.
Bref, l'opération est complexe et comprend de nombreux tiroirs. D'abord, il faut convenir de l'achat des parts du capital de l'éolienne qui devrait tourner autour de 100.000 euros. Jurascic devrait en détenir directement 39%, la SEM-ERC 45%, la commune de Chamole 6%, les coopératives Ercisol et Énergie partagée 5% chacune. Il faut enfin attendre que les actionnaires publics de la SEM ERC aient délibéré.
« On est dans l'expérimentation... »
Ils devront l'avoir fait de façon « conforme », autrement dit tous avec les mêmes clés de répartition des parts. Ainsi, le Syndicat d'électricité du Doubs devrait le faire soit lors du conseil syndical du 19 octobre soit celui de décembre. En tout état de cause « d'ici la fin de l'année », explique son directeur David Mourot. « On pourra enfin utiliser la SEM ERC pour d'autres projets, là on est dans l'expérimentation », ajoute-t-il.
En plus de la prise de participation, il faut aussi prévoir un investissement en compte-courant d'associé pour 600.000 euros, apportés environ aux deux tiers par Jurascic, un petit tiers par la SEM ERC et le reste par Ercisol et Energie partagée. Ces investissements en fonds propres (capital + comptes courant d'associés) doivent permettre d'emprunter le reste de la somme nécessaire à l'achat de Sabine 2.
Gérard Magnin : « la transition énergétique, ce n'est pas que romantique, mais aussi industriel et financier ».
Le président de JuraScic a été délégué régional de l'Ademe-Franche-Comté et directeur d'Energie-Cités. Il estime qu'il faut « assumer » l'effet de l'éolien sur les paysages et prévient : « si on ne trouve pas d'alternative au nucléaire, on en reprend pour un siècle ! »
Pourquoi inaugure-t-on un parc éolien qui fonctionne depuis plus de neuf mois ?
Les premières éoliennes ont été raccordées au réseau en décembre 2017 par obligation contractuelle pour bénéficier du tarif d'achat. Pendant trois mois, il y a eu des essai technique et des réglages. Là, on est au maximum du rendement depuis avril-mai... Le maire de Chamole, Jean-Louis Dufour, voulait au moins une éolienne depuis plus de dix ans. On finalise cette semaine l'acquisition. On n'était pas forcé d'inaugurer avant l'été pour ça, on avait des des avis d'avocats à prendre et les structures acheteuses n'étaient pas prêtes assez tôt. C'est quand même un coût d'achat de 5 millions d'euros, c'est rare... La transition énergétique n'est pas que romantique, mais aussi industrielle et financière...
Quelle est la production d'électricité ?
C'est l'équivalent de la consommation de 2000 ménages ne se chauffant pas à l'électricité, utilisant en moyenne 3000 Kw/h par an. Et ce, pendant 35 ans...
Pas mal de projets éoliens suscitent des oppositions, mais pas celui de Chamole...
On a dit qu'on bétonnait la campagne, mais c'est l'équivalent de 300 kg de béton pour chacun des 2000 ménages. C'est moins d'un tiers de ce qui est nécessaire pour bétonner un garage ! Il y a une drôle d'alliance de châtelains, d'hyper-productivistes et de nucléocrates avec certains écolo-décroissants... A Chamole, j'ai entendu un habitant se réjouir en disant : on jardine notre paysage, et en plus on voit des tas de gens venir visiter.
C'est l'effet de la SCIC ?
Oui, c'est une coopérative qui permet aux citoyens et aux collectivités de Bourgogne-Franche-Comté d'investir dans les énergies renouvelables. On a trois objectifs : 1) la manière dont on s'y met, 2) le développement territorial car de l'argent gagné reste sur le territoire, 3) donner du sens à une épargne rémunératrice, épargner malin et durable.
Quel rôle ont les maires ?
Quand un maire se fait démarcher par un développeur dont le boulot est de mener un projet purgé de tout recours, ce maire a d'abord besoin de foncier. Tant que le développeur n'a pas de foncier, il n'a qu'une promesse...
Le développeur parle-t-il d'argent, de participation financière ?
Pas au début. Ensuite, il ne peut signer que s'il y a un financement participatif.
Comment sait-il s'il peut en avoir ?
Ça commence à se savoir. Tous les jours, il y a des délégations à Chamole. Quand un maire entend parler de financement citoyen, il peut se tourner vers JuraScic. Il peut choisir un développeur qui intègre le financement participatif dans son projet.
On a souvent l'impression que le développeur est un écran entre les citoyens et l'exploitant...
Ça peut en effet paraître opaque, mais il ne faut pas jeter la pierre à Opale qui a défriché le terrain. L'enjeu, c'est comment remettre de la transparence dans le système : qui paie ? qui reçoit l'argent ? L'objectif de JuraScic est de rendre transparent le système...
L'éolien a des sacrés impacts sur certains paysages...
A un moment, il faut l'assumer. Aucun paysage n'est à l'état de nature. Ils se font, se transforment. Et si on ne trouve pas d'alternative au nucléaire, on en reprend pour un siècle ! Au Crêt Monniot, le préfet avait refusé le projet en disant que c'était inimaginable dans un paysage de Courbet. Il y a des anti-tout dans l'Administration !
Certains gros projets peuvent poser problème, non ?
Les petits projets ne sont pas réalistes en éolien. En solaire, c'est différent. On ne devrait d'ailleurs plus faire un toit sans solaire : le prix des panneaux a été divisé par six en 6 ans...