La librairie Camponovo en liquidation

C'était la dixième librairie indépendante de France. Après une agonie de près d'un an passant par la non prise en compte des commandes, une fermeture présentée comme provisoire en septembre puis le renvoi des livres encore en rayon, c'est un joyau culturel bisontin qui disparaît en laissant 39 chômeurs.

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Le tribunal de commerce de Besançon a prononcé ce lundi 5 novembre la liquidation de la librairie Camponovo, en redressement judiciaire depuis le 8 octobre. Les trente neuf salariés devraient être licenciés dans les quinze jours. L'audience devait initialement se tenir le 8 décembre, elle a été avancée de plus d'un mois en raison de "l'incapacité de payer les salaires d'octobre", explique l'administrateur judiciaire, Me Abadie. Il précise que la librairie a été "pénalisée car depuis plusieurs mois, elle n'a plus d'activité". La liquidation était dans "l'intérêt des salariés", explique leur avocat Me Fabien Stucklé, afin qu'ils puissent passer à l'étape suivante : toucher des indemnisés de chômage et chercher un autre emploi.
Avant l'audience, un petit groupe d'une trentaine de personnes réunit une douzaine de salariés et quelques client venus les soutenir dans une étroite galerie du palais de justice. A quelques pas, le PDG Jean-Jacques Schaer a la mine des mauvais jours. Après l'audience, il s'éclipsera sans commentaire. Entre temps, il aura répondu aux questions d'une dizaine de journalistes, entre fanfaronnades, contradictions et provocations. Il dira par exemple qu'il se retirera sur son tas de fumier, "comme Job, pour contempler l'humanité"... Quand on lui rappelle que le personnel avait interdiction, dès décembre 2011, de prendre les commandes de livres des clients, il répond "exact". Quand on lui demande si c'était sa décision, il répond : "Non", et poursuit après un silence : "Après la grève [de Noël 2008], un appel au boycott a fait baisser les ventes de 40 %, on n'a jamais récupéré..."
Puis il embraye sur ce qu'il estime être un complot ourdi par son ancien cadre Michel Méchiet qui a un projet de librairie à Besançon : "j'ai une liste de fadettes, il y a eu des coups de fils à Méchiet, on est amené à s'interroger... Méchiet a fait une OPA sur Camponovo pour un euro, ça s'est fait avec l'aide de salariés qui lui sont inféodés, et non plus maosistes, je me suis trompé..." Quand on lui demande s'il n'a pas commis de faute de gestion, il est manifestement surpris par la question : "Disons que je me suis trompé sur... je pensais qu'elle était véritablement sociale... qu'il y avait une volonté..." Il met une part de sa déconfitude sur le dos de Marie-Guite Dufay, la présidente du Conseil régional "qui a donné la marché des bibliothèques universitaires à De Citre, de Lyon, pour 500.000 euros, à des conditions moins favorables car on livrait en deux heures..." Lui fait-on remarquer que Mme Dufay n'est pas présidente de l'Université, il assure que c'est elle qui est derrière la décision... Lui demande-t-on ce qu'il va advenir de sa librairie de Vesoul, il assure qu'une offre devait justement tomber aujourd'hui, "mais voilà, c'est les vacances..." A l'audience, qui s'est tenue à huis-clos, il n'en a pas été question, dit l'avocat des salariés.
Que lit Jean-Jacques Schaer en ce moment, lui qui aime citer de grands auteurs, de Barthes à Foucault en passant par Bataille ? Bourdieu, répond-il. Ses théories de la domination ? "Non, ses théories sur l'art..." Que va-t-il faire désormais ? "Demander le RMI..." Derrière la rangée de journalistes, des salariées bientôt licenciées lèvent les yeux au ciel. "Arrêtez de le croire, il ment à tout le monde", s'exclame Samira.
Il est en effet difficile à suivre. Surtout quand il commence un entretien en disant "vous allez penser que je suis parano...". Quand il poursuit, sur le ton de la confidence, qu'il a été volé mais n'a pas pu aller au tribunal, qu'il ne peut vous en dire davantage car il ne veut "pas aller en taule"... Ces propos qui semblent incohérents bien que prononcés sur un ton confinant à la sagesse, sont-il du grand art manipulatoire ? Quoi qu'il en soit, il y a bel et bien un gâchis Camponovo, il pourrait se muer en affaire Schaer.
Car pour l'heure, la piste des fautes de gestion n'est pas écartée car, selon l'avocat des salariés, il y a "des éléments". Mais, c'est une autre juridiction qui pourrait alors être amenée à se prononcer. Il pourrait aussi demander, ultérieurement, l'extension de la liquidation de Camponovo aux biens propres de M. Schaer. Après avoir perdu aux prud'hommes pour des licenciements abusifs qu'il avait décidés après une grève de 90 minutes qu'il juge encore "scandaleuse", le libraire d'Yverdon est depuis peu sous le regard de l'administration fiscale qui a ouvert une enquête remontant jusqu'aux comptes de l'année 2008.
 

 


 

 

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