La FDSEA menacée en Haute-Saône

La Haute-Saône est l'un des rares départements où la FDSEA peut être mise en difficulté à l'occasion des élections aux chambres d'agriculture du 31 janvier. Le puissant syndicat avait obtenu en 2007 une majorité relative (47,69 %) lui permettant d'emporter le scrutin face à trois listes qui aujourd'hui se présentent unies sous la même bannière. Celle-ci est conduite par Laurent Delain, ancien vice-président de la FDSEA qu'il a quittée en 2006 en raison de désaccords touchant autant à la ligne politique qu'à l'éthique.

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La Haute-Saône est l'un des rares départements où la FDSEA peut être mise en difficulté à l'occasion des élections aux chambres d'agriculture du 31 janvier. Le puissant syndicat avait obtenu en 2007 une majorité relative (47,69 %) lui permettant d'emporter le scrutin face à trois listes qui aujourd'hui se présentent unies sous la même bannière. Celle-ci est conduite par Laurent Delain, ancien vice-président de la FDSEA qu'il a quittée en 2006 en raison de désaccords touchant autant à la ligne politique qu'à l'éthique. Il partageait sa démarche avec Guy Mercier, ancien premier-vice président de la chambre, qui conduira en 2007 une liste de « déçus de la fédé » qui s'étaient constitués en un nouveau syndicat, Haute-Saône Terre de Projets, et avaient obtenu 21,39 %, la Confédération paysanne et la Coordination rurale suivant avec respectivement 17,69 % et 13,23 %. Guy Mercier est aujourd'hui en cinquième position.

Les résultats des élections 2007 dans le collège exploitants
Doubs, participation 74,38%
FDSEA-JA : 59,7%. Coordination rurale : 22,18%. Confédération paysanne : 18,12%.
Jura, participation 71,16%
FDSEA-JA : 46,56%. Confédération paysanne : 19,33%. Coordination rurale : 18,87%. Syndicat des éleveurs : 10,72%. MODEF : 4,52%.
Haute-Saône, participation 78%
FDSEA-JA : 47,69%. Terre de Projet : 21,39%. Confédération paysanne : 17,69%. Coordination rurale : 13,23%.
Territoire de Belfort, participation 54%
FDSEA-JA : 100% 
France, participation 66,40%
FNSEA-JA et apparentés : 56,63%. Confédération paysanne : 19,63%. Coordination rurale : 18,70%. MODEF (21 départements) : 2,64%. Unions MODEF-Confédétaion paysanne (7 départements) : 1,44%. Divers (dont Haute-Saône Terre de projet : 1,75%.  

Fin connaisseur du monde paysan dont il arpente les tribunes depuis près de trente ans, Daniel Prieur, président sortant de la chambre d'agriculture du Doubs et secrétaire général adjoint de la FNSEA, ne croit pas à la victoire des coalisés en Haute-Saône : « il peut y avoir des doutes au départ, mais il n'y aura pas photo à l'arrivée. L'addition Coordination + Confédération + Mercier peut faire chavirer l'alliance fédé-JA, sauf qu'ils ont oublié deux choses : les paysans ont du mal à faire confiance à un attelage tirant à hue et à dia, c'est un mélange des genres peu audible. Et puis, qu'on aime ou pas l'embarcation haut-saônoise, elle a un capitaine. Thierry Chalmin ne fait pas dans le détail, mais quand il y a un problème, il l'affronte. Si un préfet ou un directeur de l'agriculture lui tient tête, il met les troupes, ne renonce pas : les paysans, ça les rassure ». Bref, Thierry Chalmin est un leader, certes un peu rude, au discours martial et tranché, mais il sait aussi apprécier les rapports de forces tout en faisant preuve de responsabilité. Il l'avait ainsi montré le 16 octobre 2009 lors de la dernière grande manifestation paysanne sur le prix du lait en faisant adopter une proposition permettant d'éviter que la tension et la colère, y compris celles dirigées contre les responsables syndicaux, ne dégénère en incidents.

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N'empêche, c'est aussi un homme de « l'appareil FNSEA ». Une organisation qui irrigue, voire tient solidement le monde paysan en ayant des relais dans tous les rouages, de l'univers des coopératives aux banques et aux assurances, de l'administration aux services d'utilité agricole, jusque dans les partis politiques.  Et, à part deux exceptions, préside toutes les chambres d'agriculture de France. La Confédération paysanne considère d'ailleurs qu'autour de la FNSEA s'est construit un « avatar de parti unique » qui fonctionnerait selon un modèle stalinien.  Il est d'ailleurs frappant de constater que l'amertume des anciens de « la fédé » présente parfois une certaine similitude avec celles des anciens communistes.
« Quand je me suis installé, j'ai naturellement adhéré aux JA puis à la fédé », explique Laurent Delain qui se voit confier le dossier du foncier, est élu à la chambre sur le mandat 2001-2007, représente le syndicat à la commission départementale d'orientation agricole. Là, il donne son avis sur les attributions de terres aux paysans... « J'étais un soldat, mais en m'occupant de foncier, j'ai vu une incompatibilité entre ce que la fédé me demandait et le respect des critères et objectifs d'attribution. Quand je regardais un dossier, je voyais la situation d'un agriculteur, la fédé voulait qu'on favorise certains, je me suis progressivement senti mal à l'aise, jusqu'à un clash avec le président en 2006. Sur deux dossiers, je n'ai pas voté comme lui et il a été mis en minorité. Le soir même, un fax me convoquait à un bureau exceptionnel avec pour ordre du jour : positionnement du vice-président par rapport au président ».
La suite, c'est un très mauvais moment à passer devant « un tribunal de 120 personnes composé des conseils d'administration de la fédé, des JA et de la FDPL... Trois m'ont fait confiance, les autres m'ont lynché... On avait voulu faire évoluer la fédé de l'intérieur, on en a tiré la conclusion ». Cette conclusion, c'est la dissidence, la création de Haute-Saône Terre de projets et ses 21 % aux élections de 2007.

Le brûlant dossier du lait

Le coup d'essai se solde donc par une défaite honorable. La FDSEA vacille en n'obtenant pas la majorité absolue, mais gère la chambre grâce au système proportionnel à prime majoritaire. Les trois listes minoritaires de 2007 se concertent, se retrouvent sur un dossier majeur en Haute-Saône, celui du prix du lait standard. C'est d'autant plus facile qu'une manifestation avec épandage de lait, en 2009 sous l'égide de l'APLI à Gray, se fait sans le soutien de la FDSEA et des JA mais en présence de certains de leurs militants. L'année suivante est celle de la mise en place de la fameuse « contractualisation », revendication de la FNSEA reprise dans la loi de modernisation agricole préparée par Bruno Le Maire, ministre de l'Agriculture du dernier gouvernement Fillon.  Le texte prévoit que les transformateurs laitiers doivent passer un contrat avec les producteurs afin de sécuriser les prix et les volumes. Mais la création des organisations de producteurs pouvant passer contrat avec les industriels tarde à entrer dans les faits, ce qui met ces derniers en position de force. « L'idée de la fédé, c'était une organisation de producteurs par industriel, nous étions pour une seule organisation, transversale, où nous aurions intégré la notion de coût de production. C'était différent d'un industriel imposant un prix aux producteurs », dit Laurent Delain. 
Les trois syndicats minoritaires vont plus loin et crééent en 2010 l'association des producteurs de lait de Haute-Saône qui entame des discussions avec les trois principaux industriels présents dans le département : Milleret, Lactalis et Sodiaal qui a repris Entremont. « Ils nous ont répondu que les dossiers de contractualisation verticale étaient trop avancés pour qu'on nous prenne en considération. Or, aujourd'hui, avec ce système, on constate que le prix du lait baisse... On est à 285 euros la tonne pour novembre... Et on a appris il y a quelques jours qu'ils vont quitter les négociations nationales sur le prix du lait... » Une bataille commune sur le lait peut-elle gommer des désaccords plus sérieux sur le fond ? C'est ce que pense Robert Nicod, de la Confédération paysanne du Doubs : « La Coordination n'est pas favorable au système de solidarité sociale ». Denis Narbey, ancien élu de la Conf à la chambre d'agriculture du Doubs est perplexe : « En Haute-Saône, ils se sont posé la question de comment gagner. Mais pour quoi faire ? Bon, la Coordination de Haute-Saône est moins libérale qu'au niveau national... » N'empêche, dans le Doubs, la question s'est posée, reconnaît Jean-Michel Bessot qui conduit la liste. Dans l'Ain et en Puy-de-Dôme, la réponse a été positive et les deux minoritaires ont fait alliance, avec des chances réelles de chatouiller la fédé au vu des résultats de 2007.

Bataille commune sur la liberté vaccinale
mais listes séparées dans le Doubs et le Jura

Au niveau régional, la Coordination, plutôt classée à droite, et la Confédération, clairement écolo et à gauche, ont fait cause commune avec les agrobiologistes sur le refus de la vaccination obligatoire des bovins contre la fièvre catarrhale ovine. « On a fait alliance sur ce dossier de la liberté vaccinale, mais sur le foncier on est opposé à eux, ils sont pour supprimer le contrôle des structures, nous pour le renforcer ». Pascal Jeannin, qui a travaillé en Haute-Saône avant de s'installer à Vaucluse, près de Belleherbe, comprend le choix de ses camarades haut-saônois : « Beaucoup d'adhérents de la Conf sont anti-fédé, c'est peu surprenant qu'ils s'associent à d'autres anti-fédé. Et le problème de la Haute-Saône, c'est aussi qu'elle est vidée de tout outil de transformation laitière... » A ceci près qu'il y a la coopérative d'Aboncourt-Gésincourt, présidée par Guy Mercier, spécialisée dans l'emmental grand cru, et surtout la fromagerie Milleret.
Daniel Pépiot, qui conduira à nouveau la liste de la Coordination rurale dans le Doubs, met aussi en avant la lassitude pour les équipes fédé en place : « Ça fait réfléchir de voir qu'ils se mettent à trois en Haute-Saône pour combattre un groupe qui écoeure... La FNSEA est là grâce à un monopole de longue date. Elle a un vrai problème d'animation qu'elle a délégué à son comité des fêtes : les JA ! Ils ont même inventé un nouveau concours de meneurs de bêtes pour des gosses de 12 ans ! » Veut-il dénoncer une forme d'endoctrinement ? « J'arriverais presque à dire ce mot-là... Que n'entendrait-on pas si la CGT ou la CFDT entraient dans les écoles ? » 

Christiane Lambert et les « intermittents du syndicalisme »

Quoi qu'il en soit, toutes ces critiques du système FNSEA font sourire le Jurassien Frédéric Perrot, secrétaire régional de l'organisation : « Je suis comme le canard, ils peuvent dire ce qu'ils veulent, ça glisse... Je suis clean... En Haute-Saône, à la différence du Doubs ou du Jura, il y a des opérateurs laitiers nationaux qui ont des approches différentes. Cela ne sert à rien que seuls les Haut-Saônois se fédèrent en organisation de producteurs sur Lactalis... » Il ne croit pas que la fédé puisse perdre le département, d'autant que « l'équipe a travaillé ». Le mot d'ordre, à la FNSEA, pour qualifier les autres syndicats, c'est non aux « intermittents du syndicalisme ». Christiane Lambert, vice-présidente nationale, l'a répété le 16 janvier à Bersaillin, près de Poligny, devant plus de deux cents adhérents enthousiastes. « Les dossiers sont de plus en plus compliqués et il faut agir de plus en plus vite », dit Frédéric Perrot qui « préfère des opposants en interne qui bossent les dossiers ». Son regard se tourne vers les élus de la Conf et de la Coordination qui auraient été plus souvent absents qu'à leur tour lors des sessions de la chambre du Jura. 
Souvent, les responsables FDSEA mettent en avant leur compétence et leur efficacité. Il est même rare qu'ils reconnaissent ces qualités à leurs contradicteurs. Aussi, l'hommage que rend Daniel Prieur à Gérard Coquard, élu sortant de la Conf qui se présente cette fois en position inéligible, est à déguster : « On a un respect mutuel car on a un engagement vrai auprès des paysans. Il a été dans son rôle d'une certaine opposition, mais a voté chaque grand dossier, en jouant collectif quand il le fallait... Il y a une vraie réflexion à la fédé et à la Conf, moins à la Coordination qui n'en a pas les moyens, ni les mêmes capacités intellectuelles, c'est évident... » En fait Daniel Prieur prise assez peu les positions très droitières, voire un temps ultra-libérales, de la Coordination rurale. 

 

 

 

 

 

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