La belle indocilité de l’Art

Diffusé la plupart du temps en milieu confiné, l'art - cinéma, théâtre, musée… - souffre de la pandémie. Alors il s’invente : le cinéma réapparaît dans certaines villes sous forme de drive-in ou en plein air. Comme dans d'autres villes de France, à Besançon des artistes locaux ont présenté mardi 26 mai place de la Révolution une éphémère et puissante performance poétique. 

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Il fut un temps (pas si éloigné) où l’on imaginait que le home cinéma, les tablettes, les smartphones pourraient remplacer les salles de cinéma. Derrière cette idée reposant sur la simplicité d’accès aux films partout et à chaque instant, se cachait, disait-on, la mort du cinéma.

Avec recul, malgré ces prédictions et les résultats chiffrés, jusqu’à présent le cinéma en salle se portait bien.

La magie de la salle obscure

Qu’en est-il de l’expérience du cinéma en salle ? En quoi est-elle irremplaçable dans ce monde où les écrans se multiplient dans nos univers domestiques et professionnels ? 

Le cinéma est une expérience particulière. On paie sa place. On s’assied dans l’obscurité et on attend. C’est ainsi depuis la première projection des frères Lumière le 28 décembre 1895 dans le salon indien du grand Café à Paris. Rien n’a changé dans ce rituel : dans le noir absolu, nous entrons dans le spectacle cinématographique : « sur l’écran noir de mes nuits blanches » chantait Nougaro. Même si l’ère du streaming renforcée par la crise sanitaire nous a éloignés des salles, le grand écran fera toujours la différence.

Car la salle est une expérience émotionnelle de partage. Plusieurs personnes assistent en même temps à la projection du film. Elles se projettent ensemble dans une histoire. Elles vibrent ensemble face à des conditions de joies extrêmes, de douleurs, de guerres… Elles pleurent. Elles rient. Elles tremblent de peur. Elles s’émeuvent…

Il s’agit bien d’une émotion collective, d’une expérience humaine avec laquelle aucun écran individuel ne saurait rivaliser. Marguerite Duras disait : « quand on regarde la télévision on baisse la tête, alors qu’au cinéma on lève les yeux ». Lever les yeux c’est abandonner pour un temps donné les contingences de nos vies. Etre dans l’obscurité permet de nombreux voyages, intimes, et collectifs. Voyages imaginaires nourris par le rêve. Voyages dans nos fantasmes, notre pensée, notre réflexion, notre être au monde (paradoxalement tout en étant à l’écart de celui-ci). Nous sommes captivés, saisis, stupéfaits, révoltés, enchantés.

Marguerite Duras dit aussi à propos du spectateur dans Les Yeux verts : « Quand il va se donner au cinéma, le film s’occupe de lui ».

Et demain ?

Les cinémas sont fermés. Ils devraient rouvrir fin juin. Le principal obstacle pour la salle est le confinement : ce lieu entièrement clos est conçu pour la proximité sociale et un rapprochement émotionnel qui font son charme et sa spécificité. Alors, faut-il pour des raisons sanitaires, utiliser un fauteuil sur deux ? Faut-il supprimer des séances afin que les publics ne se croisent pas ? Et au-delà de ces premières hypothèses posées par la profession, surgissent d’autres problèmes. Pendant le confinement c’est plus de 150 tournages qui ont été annulés et cela affecte directement les intermittents du spectacle. Par ailleurs, cela risque de perturber la diffusion et par ricochet modifier l’offre de Netflix et autres consorts.

Après la crise sanitaire, les spectateurs ayant pris l’habitude de regarder des films à la demande et de manière solitaire, abandonneront peut-être les salles obscures au profit de la consommation en ligne.

On peut craindre la fermeture de salles et dans ce cas, ce sont d’abord les petits qui disparaîtront : salles indépendantes, salles art et essai, circuits itinérants. Et quand une salle ferme, elle ne reprend jamais son activité.

En attendant la reprise, certaines salles organisent des drive-in avec les conditions cinématographiques tarifaires des cinémas (Billetterie CNC etc.) Il s’agit bien de pallier à l’absence de films sachant que l’habitacle d’une voiture n’égale pas l’expérience émotionnelle de la salle de cinéma. Pour l’instant cela permet d’attendre la réouverture.

La saison des projections en plein air arrive.
Peut-être…

Le cinéma, les salles de concert, le spectacle vivant, les musées, le cirque et la culture dans son ensemble subissent le contrecoup du Covid 19. Etrangement pourtant, le confinement fait ressentir à quel point nous avons besoin de rêver quoiqu’il arrive. En cas de souffrance collective nous avons besoin de retrouver la douceur de l’art, car la culture panse les blessures : les balcons italiens et leurs rendez-vous musicaux ont révélé la nécessité de rompre l’isolement en partageant la solitude le plus joyeusement possible.

En attendant des jours meilleurs, les artistes vivent comme des funambules, sur un fil extrêmement fragile et il serait grave de ne pas les soutenir.

Peut-être aussi que les films à venir gagneront en beauté essentielle. Beaucoup de scénarii ont été écrits pendant le confinement. Que raconteront les réalisateurs après cette période ? Quels films pour demain ?

Peut-être que la communion culturelle retrouvera sa place avec la liesse des jours heureux sur les places des villages, dans les rues et les cours avant la réouverture dans les salles.

Peut-être que le désir de culture reviendra comme un cheval fougueux, secouer ce monde policé et trop lisse.

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