« Kokaïne Airlines » sous les verrous

Et pourquoi le théâtre ne franchirait pas la porte des prisons ? Même avec un titre provocateur comme Kokaïne Airlines ?

Et pourquoi le théâtre ne franchirait pas la porte des prisons ? Même avec un titre provocateur comme Kokaïne Airlines ? Surtout. D'abord parce que la 146e représentation de la pièce du bisontin Guy Boley a été, hier, le support d'une action d'éducation à la santé, de « sensibilisation des détenus aux problèmes de toxicomanie », explique la directrice de la maison d'arrêt, Corinne Puglierini. 
Seule sur une scène dépouillée de tout artifice, la comédienne Cécile Thévenot tient la cinquantaine de spectateurs en haleine, malgré les fréquents bruits de clés et de serrures. Elle joue tour à tour trois personnages : une jeune droguée en souffrance, sa mère disant au juge ses efforts et son amour, sa soeur enregistrant un message qu'elle lui enverra en prison : « frangine, je t'aime... » 
Les trois monologues ont été écrits à partir d'entretiens réalisés par l'auteur avec des toxicomanes et leurs proches à la suite de la chute d'un réseau. D'où leur intensité et leur vérité humaine. 
Commande du metteur en scène Dominique Farci, du Théâtre de Cristal, la pièce prend une autre dimension entre les scènes. Une voix d'hôtesse d'aéroport vante les mérites de Kokaïne Airlines. A côté du vécu des situations, la fiction analyse le marché de la drogue. « Vous souhaitez voyager à tout prix ? Avec Kokaïne Airlines départs toutes les heures, toutes les demi-heures, toutes les minutes, toutes les secondes... Toutes les destinations en une seule ligne... Des hépatites de toute beauté... Des millions de points de vente dans le monde entier. Kokaïne Airlaines, la seule compagnie où tous les avions sont sûr de s'écraser, et vous avec... » 
Un débat s'en suit entre les détenus, les artistes et Philippe Voillequin, directeur de Soléa, structure d'accompagnement des toxicomanes. Un quinquagénaire souligne « l'absence du père » dans la pièce. Guy Boley n'a quasiment parlé qu'avec des femmes, des mères, des soeurs... Le quinqua demande si le spectacle, beaucoup joué en milieu scolaire, a suscité des sevrages. « Des gens dans la came m'ont dit que la pièce montre bien les processus », répond Guy Boley. 
Un trentenaire place le débat au niveau sociétal : « la surconsommation des drogues est davantage un problème de société que de santé. C'est dû à l'explosion des structures familiales en Occident, aux gens trop préoccupés par le travail ou l'argent... » Il évoque la responsabilité des « marchands de flingues et de pétrole ». Philippe Voillequin admet : « C'est vrai, mais il y a d'autres phénomènes en cause ». 
Il surprend des plus jeunes en parlant de l'alcool comme d'une « drogue dure dont la plupart des gens font un usage modéré, comme avec le cannabis : il y a les festifs qui fument une fois de temps en temps, et ceux qu'on reçoit parce que ça leur pose problème ». Un homme fait le rapprochement avec les groupes de parole des associations d'anciens buveurs. Philippe Voillequin regrette n'avoir « ni la disponibilité ni les locaux » pour faire de même. Pourtant, « ce serait bien que ça existe : c'est utile de s'apercevoir qu'on n'est pas seul au monde... » Il parle de la nicotine, « très addictogène, autant que l'héroïne. C'est difficile d'arrêter le tabac car il ne change pas le comportement comme l'alcool... » 
La discussion se termine sur la responsabilité individuelle. « Les dealers ne forcent pas l'achat », s'exclame un jeune homme. « On a le pouvoir de faire ce qu'on veut de sa vie. N'ayez pas peur de la vie », dit un à peine plus âgé. 
Avant de retourner en cellule, chacun vient serrer la main des artistes et des visiteurs. « Merci. C'est courageux, ce que vous faites », s'entend dire Cécile Thévenot. 
C'est vital. 

 
 
 

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