Jean-Christophe Kroll : « L’Europe est suicidaire »

« La répartition française des quotas laitiers par département figeait la production localement », elle a été remplacée par une répartition au sein de neuf grands bassins. Les conséquences sont déjà inscrites dans leurs premières décisions. J-C Kroll s'attend à « l'explosion de la production dans certains secteurs. On a préparé une guerre économique des régions et un effondrement de la production. Je crains que L'Europe soit en train de préparer la prochaine crise laitière ».

« À Bruxelles, dès que vous remettez en cause le découplage (entre les aides PAC et la production), on ne vous écoute plus. Et dans ses appels d'offres, la Commission ne sélectionne que les chercheurs favorables au découplage. »
Jean-Christophe Kroll, professeur d'économie et de politique agricole à Agrosup-Dijon, est « frappé par l'autisme des technocrates de la Commission ». Cela fait plusieurs années qu'il reproche aux économistes ayant « l'écoute du prince parce qu'à son écoute » de ne plus voir les faits. Et ceux-ci, selon lui, montrent que le découplage n'empêche ni la volatilité des prix agricoles, ni les crises.
Pour Jean-Christophe Kroll, la « vraie question » à se poser est celle-ci : « Les marchés fonctionnent-ils bien en agriculture ? Car le signal des prix est une machine à casser les outils industriels. L'ajustement par les prix est une erreur théorique » qui a mis l'Europe dans une « position suicidaire », dont les ingrédients sont la « mise en compétition des régions » et le « déménagement de la production ».

« La guerre économique entre régions prépare l'effondrement de la production »

Un exemple ? « La répartition française des quotas laitiers par département figeait la production localement », elle a été remplacée par une répartition au sein de neuf grands bassins. Les conséquences sont déjà inscrites dans leurs premières décisions. Kroll s'attend à « l'explosion de la production dans certains secteurs. On a préparé une guerre économique des régions et un effondrement de la production. Je crains que L'Europe soit en train de préparer la prochaine crise laitière. Quand la Chine pourra être autosuffisante, elle le fera. L'Europe serait bien inspirée de voir ce qui se fait aux États-Unis, mais c'est subversif d'en parler car elle est aveuglée par l'idéologie libérale ».
Outre-Atlantique, on classe le lait en quatre catégories de TVA, selon l'élaboration des produits. Il y a un « encadrement des marges industrielles, une segmentation des marchés par intervention publique pour éviter que des productions contaminent le lait frais. Et les industriels n'ont pas fait faillite. Les USA avaient découplé en 1996. Ils ont remis des aides contra-cycliques en 2002 : quand la marge du producteur baisse, il y a paiement compensatoire de 45 % de la perte. Ils ont instauré un système d'aide d'urgence en 2009, et soutiennent leurs exportations. »
 

« Il faut un arbitre et une volonté politique »

Attention danger, prévient-il : « Si l'Europe, qui produit 150 millions de tonnes de lait, en met 15 millions de plus sur un marché mondial de 45 millions, il y aura effondrement des cours. » Or, avec la fin des quotas pour 2015, on y va tout droit. Les solutions mises en avant par la FNSEA et inscrites dans la loi de modernisation agricole, « contractualisation et maîtrise privée », ne sont, à ses yeux, pas à la hauteur : « Quand on voit que les producteurs suisses n'arrivent pas à faire fonctionner leurs interprofessions, on peut se poser des questions pour l'Europe. »
Les productions AOC-AOP (comté, morbier...) peuvent-elles résister dans ce contexte ? « Il est plus facile de renégocier un accord interprofessionnel quand il y a plus de valeur ajoutée à partager que dans un produit industriel. Mais le devenir des AOC dépend beaucoup de l'étanchéité entre les marchés. Je crains que si le prix du lait standard baisse d'ici quelques années, il y ait un effet sur les AOC. En fait, il faut un arbitre et une volonté politique. »
 
 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !