ISBA : l’enquête administrative pointe de graves dysfonctionnements, mais écarte les accusations d’agressions sexuelles

Les premiers résultats de l’enquête administrative diligentée par la mairie suite aux accusations d’agressions, de harcèlements sexuels et de viols lancées par l’association Balance ton école d’art ont été rendus. Celle-ci n'est pas en mesure d'apporter d’éléments suffisamment probants pour accréditer ces faits, toujours l’objet d’une enquête judiciaire. En revanche, de graves dysfonctionnements sont constatés au sein de l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon, au point que trois autres études sont lancées. Elles concernent les questions de budget, le volet pédagogique et des faits de discriminations racistes et sexistes.

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Les accusations lancées par l’association Balance ton école d’art le week-end du 19 et 20 septembre 2020, ont rapidement franchi les frontières de la ville et choqué au-delà du monde artistique. Plusieurs témoignages anonymes d’agressions et de harcèlements sexuels de la part de certains personnels du corps enseignant et de l’administration de l’ISBA sur des étudiants sont successivement publiés sur les réseaux sociaux et largement repris par la presse.

Face à cette « crise existentielle » de l’école, Anne Vignot, maire de Besançon, a mandaté une enquête administrative le 22 septembre. Ce dispositif vise à confronter les témoignages et à infliger rapidement des sanctions sans attendre l’issue judiciaire si des faits graves étaient avérés. Le premier volet de l’enquête a été rendu le 16 novembre. Et celle-ci ne relève pas d’éléments suffisamment probants pour infliger une ou plusieurs suspensions ou autres mesures disciplinaires concernant les faits d’agressions sexuelles qui auraient été perpétrés par des membres du personnel de l’ISBA.

Les enquêteurs de la mairie ont demandé aux personnes interrogées la probabilité que de tels actes puissent avoir été commis, et une majorité de réponses est négative sur ce point. Si l'expression d'une parole libre était aussi possible, il est permis de s'interroger sur cette méthode. En outre, l’une des personnes particulièrement visée dans les dénonciations publiées sur les réseaux sociaux et désignée par une initiale n’exerce d’ailleurs plus à l’ISBA depuis juin. Cela rend donc de fait impossibles toutes sanctions administratives à son égard. Aujourd’hui, seule l’enquête judiciaire poursuit ses investigations concernant les faits d’agressions sexuelles. Elle serait au point mort, mais le parquet ne souhaite pas communiquer à ce sujet.

Finances, discriminations, pédagogie : des enquêtes supplémentaires à l’ISBA

Aline Chassagne, adjointe à la maire de Besançon, notamment en charge de la culture, a été élue présidente de l’ISBA le 22 octobre. Elle a adressé une lettre aux personnels et aux étudiants de l’école le 30 novembre où elle fait état de cette situation. L’enquête, qui a permis d’auditer 53 personnes et de recevoir 9 témoignages écrits, pointe toutefois « un certain nombre de faits, de potentiels dysfonctionnements, de points dont la matérialité devra être éclaircie ». Avant de communiquer officiellement sur le sujet, la ville attend la publication du rapport final prévu pour fin février. Car les éléments recueillis ont débouché sur le lancement de trois nouvelles enquêtes.

L’une porte sur l’aspect financier. De nombreuses voix se sont fait entendre au sein de l’école sur la qualité de la gestion et le fléchage des budgets, trop peu concerté et pas assez transparent. Le budget alloué aux étudiants à travers les Contributions de la vie étudiante et des campus (CVEC), fait notamment débat.

Le volet pédagogique sera également approfondi. Il s’agit de faire la lumière sur les conditions précises d’entrée à l’ISBA, d’obtention du diplôme, et des questions plus pragmatiques quant aux choix pédagogiques de l’école. Plusieurs témoignages font aussi part de cas de favoritisme. Enfin, la question des discriminations fera l’objet d’une troisième étude complémentaire, suite aux multiples témoignages qui signalent des propos et des faits à la fois racistes et sexistes.

Pour étudier en détail ces trois aspects, il faut maintenant éplucher les comptes de l’école, analyser ses documents administratifs et recueillir de nouveaux témoignages écrits, afin d’éviter les interprétations à répétition. Le rendu du rapport final fin février pourrait aboutir à des sanctions.

Beaucoup de souffrances à l’école

Dans ce laps de temps, et afin de retrouver de la « sérénité » au sein de l’école, la présidente de l’ISBA a initié des groupes de travail ouverts à toutes et tous. Deux ont d’ores et déjà eu lieu. Aline Chassagne assure qu’un accord a été trouvé sur la question du budget et que les étudiants disposeront bientôt d’un Bureau des étudiants (BDE) chargé de la gestion du CVEC. La deuxième réunion s’est concentrée sur les enjeux de gestion et la demande des enseignants à travailler plus fortement sur des objectifs pédagogiques clairs.

« Ces rencontres permettent de poser des bornes temporelles qui nous mettent dans une situation de mouvement plutôt que dans une posture d’attente qui serait délétère sur les enjeux psychosociaux », explique Aline Chassagne, qui tente la voie de la médiation entre « plusieurs corps de métier qui ont du mal à échanger » et qui constate « beaucoup de souffrance » au sein de l’école. Lors du CA du 22 octobre, des étudiants ont lu une lettre pour indiquer qu’ils ne voulaient plus travailler avec l’administration et la direction pour différentes raisons : perte de confiance, gestion du budget opaque, transmissions des documents de délibération à la dernière minute.

Pour accompagner et écouter cette souffrance, des cellules psychologiques ont été mises en place. L’une pour les étudiants, l’autre pour le personnel, pour beaucoup bouleversé par les accusations de violences sexuelles et de deux viols. Mais la présidente souhaite aller de l’avant et relève les côtés positifs. « Beaucoup de gens sont très engagés dans leur mission de service public et très attachés à leur école et à l’enseignement de l’art. C’est une richesse et il y a beaucoup de talents qui en sortent ». Elle ajoute que l’institut « n’a pas perdu son attractivité et reste bien coté ».

« On a hâte de que des décisions soient prises »

De son côté, l’association Balance ton école d’art affirme que des témoignages d’agressions et de harcèlements sexuels ont bien été versés à l’enquête, tout comme ceux qui font état de diffamations, de discriminations, ou d’outrages sexistes. Que les premiers ne soient pas retenus par l’enquête ne surprend pas vraiment Félix, l’un des membres de l’association et ancien étudiant de l’ISBA. « C’est le cas de toutes les violences sexuelles, souligne-t-il, il manque toujours des preuves, et c’est bien la problématique ». Cependant, il espérait que la « convergence de témoignages suffirait à prouver certaines responsabilités ». Des manques, dit-il, qu’il avait déjà constatés quand il avait alerté l’administration concernant des propos racistes, sans que cela ne soit suivi d’effets.

D’autres voix se sont élevées pour questionner l’impartialité des deux enquêteurs, supposés proches de la direction. Les requêtes, non officielles, pour nommer d’autres professionnels à leur place n’ont pas été prises en compte par la mairie. Félix, lui, se rappelle avoir été « un peu rassuré par les propos très fermes de la maire, qui ne laissaient pas de place à l’ambiguïté », et espère que le travail d’enquête portera ses fruits. « On l’attend, on a hâte que les résultats sortent et que des décisions soient prises », lance-t-il. Mais, bien qu’il reconnaisse que le travail de recherche de preuves prenne du temps, il craint aussi les lenteurs administratives propices à « étouffer » les affaires.

« Quels que soient les faits, le mal est fait. Même si ça ne va pas plus loin d’un point de vue judiciaire, il y aura toujours de la méfiance, du doute, de la suspicion », craint Aline Chassagne. « On a conscience d’avoir porté la parole pour la première fois au sein de la communauté, après, la victoire ou non de ce mouvement, elle dépend de ce qu’en feront les étudiantes et étudiants », ajoute Félix. Avérées ou non, les accusations d’agressions sexuelles ont provoqué en tout cas bien des remous et ont permis de mettre au jour de graves dérives et des problèmes administratifs à l’ISBA. Un nouveau collectif d’étudiants s’est constitué mi-novembre, ISBAsta, qui explique vouloir « œuvrer pour une école d’art plus inclusive par le moyen d’interventions préventives et pédagogiques, d’ateliers artistiques, de création d’une charte d’équité » dans l’école.

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