Futur Parc naturel régional du Doubs horloger : simple label ou véritable engagement écologique ?

Alors que le Parc naturel régional (PNR) du Doubs horloger va bientôt être labellisé, on pourrait légitimement supposer que la zone va être mieux protégée, notamment au niveau environnemental. Or, un PNR n'a rien d'une zone préservée. Pire, il est facile d'en faire un élément de greenwashing : un simple label pour les produits du terroir et les gîtes ou hôtels du coin. Une commission d'enquête de 2019 a ainsi relevé des faiblesses sur les enjeux écologiques de la charte du PNR sans que rien n’ai été changé sur ce point. Et ce, alors que ce territoire frontalier situé autour de Morteau connaît de graves problèmes d'extension urbaine et que la rivière du Doubs souffre de pollution chronique.

paysage du haut doubs

« Un PNR, ce n'est pas un parc national. Ça n'interdit rien du tout. » Cette phrase, Gilles Robert, président de la Communauté de Communes du Plateau du Russey a du la marteler maintes et maintes fois pour rassurer les élus et les habitants de la zone concernée par le projet de parc, allant de la Vallée du Dessoubre au Val de Morteau. Car au premier abord, quand on entend le terme de parc naturel régional, on pense à un espace protégé, préservé. À l'équivalent d'un parc national, mais géré par la région. Il n'en est rien. Étonnant mais pourtant vrai : un parc naturel régional ne suppose pas beaucoup de contraintes en termes environnementaux, voire... aucune !

Si un parc national réglemente les activités dans son territoire, un PNR n'a aucun pouvoir réglementaire1. Quand le parc national a pour objet la protection des milieux et la limitation de l'impact humain, le PNR, lui, se contente d'accompagner les projets de développement durable. Le statut de PNR est ainsi accordé à un territoire qui a un patrimoine naturel, architectural, industriel à valoriser, souffrant de fragilités et s'engageant à mettre en œuvre des politiques publiques innovantes pour les résorber.

Un PNR dans le Doubs horloger, comme outil de développement

Les balbutiements du PNR dans le Doubs remontent au début des années 1990. Le Groupe Doubs, composé de militants écologistes, de naturalistes et d'élus français et suisses se réunit de part et d'autre de la rivière. Il édite un rapport, fait l'inventaire du patrimoine naturel du territoire et propose la création d'un PNR. Levée de boucliers d'autres élus locaux, du conseil départemental : la proposition fait un tollé. La méconnaissance de ce qu'est un PNR provoque des craintes, notamment celles d'être  « mis sous cloche », de devoir subir des réglementations fortes au niveau industriel, agricole, ou encore foncier.

À la fin des années 2000, le projet est relancé par le conseil régional, soutenu cette fois-ci par le Pays horloger2. Gilles Robert, aussi vice-président du Pays horloger, l'explique ainsi : « On avait deux locomotives, Annie Genevard et Joseph Parrenin, pas du même bord politique mais qui tiraient dans le même sens, en considérant que le PNR pouvait être un formidable outil de développement du territoire. Il ne s'agissait pas seulement de protection, et surtout pas d'une mise sous cloche, ça a été tout de suite affirmé. » L'argument du PNR comme outil de développement du territoire fait mouche, les élus moteurs du projet répètent et rassurent : « le PNR ne va rien empêcher de faire, au contraire ». Cette fois, la machine est lancée. Le Pays horloger mène le projet, mettant de côté l'ambition transfrontalière.

Un parc du Doubs en Suisse
De leur côté, les Suisses ont créé un PNR en 2013, des suites du Groupe Doubs. Le parc du Doubs en est d'ailleurs à l'heure du bilan. Ses gestionnaires ont fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de la part de l'association Pronatura, qui se demande si le parc ne fait pas de la nature « un simple argument publicitaire », sans réelle action en sa faveur. Pour Pronatura, un PNR « n'est pas un système qui permet une meilleure protection du Doubs mais dont les intérêts économiques / touristiques prévalent sur les intérêts de protection des biotopes. »

Le périmètre du futur PNR (cartographie issue du site http://pays-horloger.fr/)

Des engagements écologiques faibles malgré des alertes récurrentes

En 2012, les premiers avis d'opportunité émanant du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) et de la Fédération des PNR mettent le Pays horloger en garde : de gros efforts seront à fournir, notamment en termes d'urbanisme, si le territoire veut se voir décerner un jour le fameux label. Le CNPN avait même demandé des mesures immédiates pour limiter l'artificialisation des sols. Or, depuis, l'urbanisation est loin d'avoir ralenti, comme en témoignent les photographies aériennes.

A gauche : photographies aériennes de Villers-le-Lac avant 2010
A droite : photographies aériennes de Villers-le-Lac en 2017
, depuis, de nouvelles constructions ont vu le jour.

Des nouveaux pavillons sur une pente à Villers-le-lac, aux caractéristiques bien éloignées de celles du bâti local.

Des engagements ont cependant été pris sur ce domaine dans la charte du PNR, document valable 15 ans, qui structurera les actions en faveur du développement durable sur le territoire. On retrouve certes tous les éléments du diagnostic quant aux problèmes d'extension urbaine de la zone. Toutefois, bien qu'emplie de bonnes intentions, la mesure relative à la maîtrise de l'urbanisation, appelée « urbanisation frugale », ressemble à un vœu pieux : les résultats à atteindre ne sont en effet pas quantifiés, hormis l'objectif de 100% du territoire couvert en documents d'urbanisme. Or, depuis la loi dite SRU (loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains) en 2000, se doter de documents d'urbanisme est inscrit dans les plans de politique territoriale, et donc obligatoire.

Extrait du projet de la charte V5 de PNR du Doubs Horloger, mesure 2.1.1 « Ménager le territoire par une urbanisation frugale ", p.121

Le PNR ne s'engage donc que très faiblement voire nullement en faveur de ladite urbanisation frugale, se bornant à suivre le cadre juridique existant. Une commission d'enquête de 2019 recommande donc à cet effet « avec la plus grande fermeté » que les objectifs soient clarifiés. Malgré les remarques sur le manque de précision et de cohérence sur ces enjeux écologiques, à ce jour, la dernière version de la charte n'a subi aucune modification à ce propos. Interrogé quant aux actions entreprises pour lutter contre les dommages causés par une urbanisation mal maîtrisée, le président du Pays horloger Denis Leroux évoque le lancement du SCOT3, ce qui, à nouveau, fait partie des documents d'urbanisme inscrits dans des plans de politique territoriale.

Le site du Pays horloger précise bien d'ailleurs que « le PNR ne se prononcera pas sur les permis de construire ou les autorisations de travaux. Les communes ou les communautés de communes conserveront cette compétence. Les villages pourront continuer de s’agrandir s’ils le souhaitent. »4 Une absence de volontarisme qui interroge d'autant plus que l'artificialisation des sols peut avoir des répercussions sur la recharge des nappes d'eau5 et donc influencer les crues et sécheresses du Doubs, rivière au cœur du projet du PNR.

Une simple marque pour touristes ?

« Le gros intérêt du PNR, c'est que c'est un label » explique Denis Leroux. En effet, lorsque le territoire aura la certification finale de PNR, il pourra ainsi proposer à une palette d'acteurs d'adhérer à la marque « Valeurs parc naturel régional », dont des hébergements, des produits du terroir, etc. Le volet touristique est d'ailleurs particulièrement développé dans la charte, en faveur d'un tourisme vert, et plus haut de gamme. Une mention est ainsi faite dans les objectifs de développement de la charte quant à la « montée en gamme de l'offre camping ». Des réflexions sont aussi lancées pour le développement d'un tourisme 4 saisons, pour s'adapter au changement climatique et recevoir des touristes quand il n'y a pas de neige. Cette démarche touristique de territoire est enclenchée depuis quelques années : en 2017, les offices de tourisme de Maîche, le Russey, Saint-Hippolyte et du Val de Morteau-Saut du Doubs avaient fusionné pour devenir l'office de tourisme du Pays horloger.

Bien que le manque de participation et d'adhésion du grand public soit déploré, de nombreux acteurs associatifs de la préservation de l'environnement ont toutefois été intégrés à la constitution de la charte. Parmi eux, Noël Jeannot, naturaliste et membre de l'association Les Gazouillis du Plateau, estime que le PNR « n'a pas une notion très virulente sur l'aspect de la conservation de la nature » et espère au mieux une plus grande prise de conscience des enjeux écologiques des habitants. « Ce n'est pas la panacée pour un naturaliste comme moi » confie-t-il, « mais ça va dans le bon sens. » Des inquiétudes demeurent toutefois quant à la capacité de favoriser à la fois le développement économique du territoire et la préservation du patrimoine naturel.

L'avis du garde-pêche
Patrice Malavaux, garde-pêche de l'Association Agréée pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique (AAPPMA) la Franco-Suisse, connaît bien les problèmes de préservation de l'environnement. Dans la rivière franco-suisse, on retrouve de l'azote, principalement à cause de l'intensification de l'agriculture sur les plateaux, et du phosphore, en lien avec les eaux pas ou mal épurées. Ces deux nutriments favorisent la prolifération d'algues et des épidémies chez les truites et les ombres. Pour le garde-pêche, « il n'y a rien pour protéger la rivière » au niveau agricole. Or, difficile pour lui d'imaginer un PNR avec une identité basée sur le Doubs, sur l'eau, si aucune action n'est mise en place pour la protéger. « On sait bien qu'un PNR, ce n'est pas un parc national, ce n'est pas du tout écolo. Mais on espère quand même que ça contribuera à une amélioration du milieu naturel », escompte-t-il. La crainte du garde-pêche ? « Que le PNR soit juste une étiquette, un label. Et que, par exemple, la filière Comté profite de l'étiquette pour dire : "regardez notre fromage, il est produit dans une région PNR", mais sans changer leurs pratiques.»

De l'argent est et sera mis sur la table pour faire tourner le PNR, de la part des 94 communes impliquées dans la zone, des communautés de communes mais également de la part du département du Doubs (120 000€) et de la région Bourgogne-Franche-Comté6. La région financera en particulier 6 postes en 2021, à hauteur de 117 590€, à savoir un poste de direction, et des postes de chargés de mission (milieux naturels, économie industrielle, tourisme, urbanisme, architecture et paysage, évaluation de la charte, communication). Certains postes vont être créés, d'autres sont déjà mis en place au Pays horloger. La structure va d'ailleurs disparaître lors de la labellisation officielle pour devenir le syndicat mixte du PNR. Reste à voir si cela sera suffisant pour faire bouger les lignes alors que par définition, un PNR doit  « convaincre et non pas contraindre » : le nouveau syndicat aura un rôle « d'accompagnement », et donc un rôle uniquement consultatif par rapport aux collectivités.

1La seule chose qu'un PNR peut réglementer est la circulation des véhicules à moteur et l'affichage de publicité.

2À ces débuts, le Pays horloger était un établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Il est devenu en 2015 un pôle d'équilibre territorial et rural (PETR). Ce type de structures permet une coordination et une coopération de collectivités locales à plus grande échelle que les communautés de communes.

3Schéma de cohérence territoriale. C'est un document d'urbanisme à l'échelle d'un EPCI ou d'un PETR.

4http://pays-horloger.fr/franche-comte/395-haut-doubs/actions-projets/adhesion/.php

5Sols artificialisés et processus d’artificialisation des sols : déterminants, impacts et leviers d’action. Synthèse du rapport d’expertise scientifique collective, Ifsttar-Inra (France), 2017.

6D'après le compte-rendu du Comité du PETR du Pays horloger du 03/12/2020.

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