Front syndical paysan contre le robot de traite en comté

Vercel doit être lundi 7 mars la capitale d'une mobilisation sans précédent des éleveurs pour le respect du cahier des charges de l'AOP. Confédération paysanne, Coordination rurale, Jeunes agriculteurs et FDSEA de trois départements appellent à un pique-nique géant et à la signature d'un manifeste.

montbeliardes

La filière comté est atypique. Exemplaire avec son AOP permettant de payer correctement les paysans, de garder des fromageries et des emplois sur tout le territoire. Elle est aussi à la base d'une unité syndicale rare mais qui s'est déjà manifestée sur les grands principes. Celle-ci a permis aux chambres d'agriculture de la zone de production de se prononcer il y a quelques années contre les OGM, à celle du Doubs d'adopter l'an dernier une position de défiance vis à vis du projet d'accord de libre échange transatlantique (TAFTA).

Cette unité est aujourd'hui assez spectaculaire avec un appel commun à refuser les robots de traite dans la filière. Quatre syndicats de l'Ain, du Doubs et du Jura (FDSEA, Jeunes agriculteurs, Confédération paysanne et Coordination rurale) organisent ensemble un pique-nique géant à Vercel lundi 7 mars avec signature d'un manifeste (voir ici). Il s'agit de soutenir la coopérative de Pierrefontaine-les-Varans qui avait refusé de collecter le lait d'un de ses sociétaires, Eric Jeanningros, qui a équipé sa ferme d'Ouvans d'un fameux robot... et a gagné la première manche d'un bras de fer judiciaire devant le tribunal de grande instance de Besançon.

Les mots et l'esprit du cahier des charges

« Le robot n'est pas interdit par le cahier des charges du comté », dit-il. Formellement, il n'a pas tort. Le cahier des charges n'est en effet qu'implicite quand il indique que « la traite doit se faire deux fois par jour, le matin et le soir, à des heures régulières, de ce fait la traite en libre service n'est pas possible » (lire ici, page 8). Pour le CIGCcomité interprofessionnel de gestion du comté, c'est jouer sur les mots et l'esprit du texte. Sa dernière assemblée générale, le 27 novembre, a précisé les choses en adoptant une résolution au titre on ne peut plus explicite : « la traite par robot est interdite et les premiers jets doivent être éliminés à la main ».

L'effet troupeau... Bien être animal, socialisation, nourriture au pâturage...

Mais qu'est-ce qu'un robot de traite ? C'est une machine devant laquelle la vache se présente quand elle le souhaite, qui enregistre diverses informations quantitatives, qualitatives, sanitaires, installe et désinstalle automatiquement les aspirateurs à lait sur les pis de la mamelle. Chez Eric Jeanningros, il y a deux robots qui ne peuvent traire chacun qu'une vache à la fois. Du coup, chaque traite dure quatre à cinq heures, mais, assure l'éleveur, « ça nous apporte un bien-être terrible : moins de pénibilité et moins de fatigue car ce n'est plus un travail physique ».

« Le robot pose la question de la mise à l'herbe »

A l'inverse, dans une salle de traite, six à huit vaches peuvent être traites simultanément, mais les éleveurs doivent installer à la main la trayeuse. La traite dure en général moins de deux heures. Pour Philippe Monnet, président de la FDSEA du Doubs, le robot a au moins deux inconvénients majeurs : « la traite durant plus longtemps, le lait est moins refroidi, d'où davantage de risques que des germes pathogènes se développent, ce qui pose problème pour des fromages au lait cru. Lactalis enlève ainsi des laits traits par robot pour fabriquer du brie de Meaux... »

Philippe Monnet, président de la FDSEA du Doubs.

Le second problème est le moindre recours au pâturage puisque les vaches sont plus longtemps dans le bâtiment de traite : « le robot pose la question de la mise à l'herbe et donc de l'effet troupeau qui est au cœur du comté ». Président de la Coordination rurale du Doubs, paysan à Surmont, Daniel Pépiot ne dit pas autre chose : « on défend l'image de marque du comté. On ne veut pas faire croire aux consommateurs que les vaches vont aux champs. Des fermes de plus en plus grosses signifient davantage de mécanisation, et les robots conduisent à des difficultés pour mettre les vaches aux champs ». Alors même que l'AOP « interdit de nourrir les bêtes jour et nuit dans un bâtiment... »

« Le robot en comté, c'est l'industrialisation »

Or, le cahier des charges du comté prévoit qu'elles mangent de l'herbe ! « Si elles restent dans le bâtiment, on n'est plus dans l'herbe, et on a peur de finir à l'ensilage » (lui aussi proscrit par le cahier des charges), ajoute Daniel Pépiot qui s'avoue « remotivé de voir les quatre syndicats ensemble ». Pour Didier Guyot-Jeanin, éleveur à Loray et militant de la Confédération paysanne, « le robot en comté, c'est l'industrialisation ». 

De fait, c'est cette orientation industrielle que la bataille anti-robot symbolise. Ce n'est pas la machine seule qui pose problème, d'ailleurs Eric Jeanningros a dû réduire la taille de son troupeau pour rendre compatible le robot avec d'autres obligations figurant dans le cahier des charges, comme les deux traites quotidiennes obligatoires. Ce qui fait dire à Philippe Monnet que cet exemple « n'est pas économique ». D'ailleurs, la décision du tribunal bisontin « ne traitait pas du robot », souligne le président du CIGC Claude Vermot-Desroches, « on était assigné car on aurait donné de mauvais conseils à la coopérative de Pierrefontaine ».

Si la décision devait être confirmée, il y verrait le signe que « que des producteurs peuvent modifier [un] cahier des charges » qui représente un énorme travail collectif. C'est pour cela qu'il se réjouit de l'appel des quatre syndicats : « il fait chaud au cœur : il y a peu d'endroits en France où tous les syndicats s'organisent ensemble car on touche à notre comté. Le cahier des charges n'est pas un archaïsme, et si une filière se modernise, c'est bien celle-ci ».

La coop de Pierrefontaine-les-Varans n'a pas fait appel dans les délais du premier jugement, mais le CICG l'a bel et bien formé. La cour d'appel de Besançon doit examiner l'affaire le 28 juin.

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