Forum commun pour une réforme des retraites progressiste, mais pas d’union

S’organiser pour la suite et faire des propositions pour combattre la réforme des retraites. C’était le mot d’ordre d’un forum initié par le PCF en décembre salle Battant à Besançon et qui a rassemblé l’ensemble des syndicats et des partis politiques écologistes et de gauche : EELV, NPA, FI, PS, LO et Génération.s. Cela ne s’était pas vu depuis longtemps, mais malgré un constat commun, l’heure n’est pas tout à fait à l’union. Fin janvier, certains partis dont le PS, le PCF et EELV présentaient un contre-projet commun de réforme des retraites financé en taxant le capital et en créant des emplois liés à la transition énergétique.

forumretraites

Il y a eu, semble-t-il, quelques petits couacs au démarrage, mais le PCF a fini par inviter tous les partis qui se revendiquent de la gauche et des écologistes salle Battant le 14 décembre à Besançon. La séance est introduite par Matthieu Guinebert, jeune secrétaire de la fédération du Doubs du Parti communiste qui rappelle que ce rassemblement s’inscrit dans le cadre du meeting qui s’est tenu quelques jours plus tôt et dans les mêmes circonstances à la Bourse du travail de Saint-Denis. Il s’agit de « s’organiser pour la suite et de faire des propositions pour construire un autre avenir pour nos retraites ».

Évelyne Ternant, secrétaire générale du PCF pour la Bourgogne–Franche-Comté déroule l’argumentaire et dresse son constat. En 1960, 4 actifs cotisaient pour 1 retraité, ils étaient 2 pour 1 en 2000 et les prévisions pour 2040 indiquent 1,5 actif pour 1 retraité. Vu comme ça, c’est sûr que le système parait bien précaire. Mais elle indique un autre élément à prendre en compte : les gains de productivité. « Les travailleurs des années 2000 produisent 4 fois plus de richesse que ceux des années 60 », précise-t-elle. Avec cette donnée, c’est comme si les 2 actifs des années 2000 produisaient l’équivalent de 8 actifs de 1960 et les 1,5 de 2040 l’équivalent de 10 actifs des années 60.

Pour trouver l’argent, pas de mystère, c’est le capital qui est visé

Pour le parti, une bonne retraite c’est déjà un SMIC à 1500 € net et pas une retraite en dessous, 75 % du salaire moyen des 10 meilleures années, primes incluses et un taux plein à 60 ans. La différence du budget avec le système actuel s’établirait à 70 milliards, soit 3 % du PIB. « Il faudrait donc passer de 13,8 % du PIB consacré aux retraites à 16,8 %. Pourtant, l’objectif du gouvernement est justement de plafonner ce montant à 14 %. » Pour trouver l’argent, pas de mystère. C’est le capital qui est visé. « Au début des années 80, la part des salaires et cotisations sociales représentait 75 % de la valeur ajoutée, aujourd’hui elle n’en représente plus que 67 %. Dans la même période, les profits des entreprises ont suivi l’évolution inverse, passant d’un taux de marge de 23 % en 1980 à 32 % », indique une brochure du PCF, qui précise que 67 % de ces profits partent aux dividendes, 27 % aux investissements et 5 % aux intéressements des salariés.

Pour récupérer cette manne, le PCF propose de taxer les revenus financiers comme les salaires, ce qui rapporterait 31 milliards, de moduler le taux de cotisation sociale selon le comportement plus ou moins vertueux de l’entreprise, avec un gain attendu de 70 à 90 milliards en 5 ans. Le simple fait d’appliquer l’égalité salariale femme-homme rapporterait 6 milliards de cotisations en plus. 30 milliards de cotisations supplémentaires sont attendues avec la création de 3 millions d’emplois pour répondre aux besoins sociaux et écologiques. Pour le parti c’est simple : « en 5 ans, ce sont 10 points de PIB qui peuvent être récupérés pour les salaires, la sécurité sociale et les services publics, dont 3 pour les retraites. L’exposé est très apprécié par l’assemblé et les syndicalistes prennent un tour de parole avant le tour des représentants des partis politique.

EELV, Gérard Mamet

On assiste à une remise en cause du programme du CNR depuis une vingtaine d’années. Sur les conditions de travail, les chômeurs et maintenant sur la retraite. Je suis d’accord sur la présentation. L’objectif principal est de bloquer autour de 14 % la part des retraites dans le PIB. Si le nombre de retraités augmente, c’est évident que les retraites vont prendre un coup important. D’accord aussi avec l’idée que les dividendes ont explosé et qu’une part qui revenait au travail revient maintenant au capital. C’est préoccupant, cette évolution entraine un affaiblissement des services publics et des politiques publiques. Il y a une nécessité de faire des investissements, mais l’État prétend qu’il n’a pas les moyens, puisqu’on a délibérément affaibli les finances publiques. J’aimerais aussi intervenir sur un problème qui me tient particulièrement à cœur : la pénibilité. C’est une évidence que nous devons en tenir compte à court terme, et que les personnes concernées doivent partir en retraite plus tôt. Sur le moyen et long terme, on observe une différence d’espérance de vie de 10 ans entre certaines catégories sociales, c’est peut-être la pire des injustices. On peut améliorer les conditions de travail en utilisant les gains de productivité, en finir avec la nourriture industrielle pour les plus pauvres, les produits toxiques, en finir avec les pressions psychologiques dans les entreprises, instaurer un impôt sur le revenu beaucoup plus progressif, créer une autre tranche d’impôt. Le déséquilibre étant lié au manque d’emplois, il faut développer l’emploi pour répondre aux besoins de la transition énergétique et écologique.

NPA, Jean Le Floc

Nous voulons un partage du temps de travail et des richesses, une amélioration des salaires et l’égalité hommes-femmes. Retrouver ces 3 % du PIB nous ferait revenir à une la situation de 1975. Il y a facilement 0,01 % des personnes qui s’accaparent 30 % du PIB. Ce n’est pas compliqué, on sait où l’argent se trouve. On veut un vrai travail digne, et après le travail, pas une survie. Je ne suis pas tout à fait d’accord sur l’idée que le gouvernement ne souhaiterait que l’allongement du temps de travail. Il veut faire sauter les derniers verrous de la sécurité sociale, ils ne supportent pas de voir passer l’argent des retraites ailleurs que dans leurs mains. Cela représente 130 % du budget de l’État. Avec un petit tour de passe-passe, ils vont dire que leur réforme va favoriser les femmes, qu’elles auront 5 points supplémentaires par enfant pour compenser les trimestres. Avant, elles récupéreraient le même nombre de trimestres des mois enceintes. Maintenant ce sera 5 %, ceux qui ont les moyens financiers de faire garder leurs enfants ne seront pas obligés de s’arrêter. À l’arrivée, une femme qui obtient 5 % mais qui n’a pas pu travailler tout le temps obtiendra une majoration de 50 € sur sa retraite. La personne qui avait les moyens, sur un salaire de 10 000 €, elle va toucher peut-être 500 € de plus. Nous devons encourager toutes les initiatives autoorganisées qui permettent aux personnes qui ne sont pas encore entrées dans le mouvement de le faire. Plus la grève sera massive, plus le gouvernement enterrera le projet. Battre Macron et sa clique, mais surtout leurs mandants. Ce ne sont que des marionnettes aux mains du capital.

FI, Séverine Vézies

Il faut recontextualiser. Le projet que nous sommes en train de combattre vise à détruite une habitude d’organisation et de solidarité intergénérationnelle. L’objectif de la retraite à points est de remettre en cause ce grand projet et cette solidarité. Il va se poser la question du convertissement des points en euros, du taux de remplacement. Il y a une volonté de faire en sorte que les pensions diminuent pour favoriser la capitalisation, ce qui revient à détruire dans les faits l’ancien système. C’est une stratégie en plusieurs étapes, la loi Pacte qui défiscalise l’épargne salariale et dans un deuxième temps on baisse les pensions pour inciter à capitaliser. Sur la part du PIB, c’est la part de chacun qui va diminuer. On dit qu’on finance les retraites avec la croissance, mais croissance sans fin, recherche de la croissance à tout prix, ce n’est pas bien. Il faut travailler sur les questions d’éco-croissance. Il y a la stratégie de scinder la population, il faut faire comprendre que l’on sera tous perdants avec un système de solidarité détruit. Nous avons un point commun avec les propositions, retraite à 60 ans et 40 annuités, pas de retraite minimum en dessous du SMIC, pas de pension sous le seuil de pauvreté. S’il y a un régime spécial qu’il faut attaquer, c’est le régime du capital. La France est championne du monde des dividendes. On assiste depuis les années 80 à un holdup des actionnaires, il y a une injustice flagrante entre le capital et le travail. Si on augmente les salaires on a mécaniquement plus de cotisations. Il faut augmenter les emplois selon un projet global, minutieux, idéologique et méthodique, groupé sur l’ensemble de nos acquis. En 2013-2014, on était déjà avec le PCF contre le projet Ayrault, nous avons des camarades en lutte depuis plus d’un an dans la rue. Les Gilets jaunes ont pris cher dans leurs chairs avec la répression. Il y a une dérive autoritaire, et force est de constater que le régime ne tient plus que par la police, qui a obtenu un régime spécial.

PS, Nicolas Bodin

Je n’avais pas forcément préparé, et ce n’est pas notre sujet de prédilection… On va voir si je m’en sors. L’ancien secrétaire de Hollande au Budget, Christian Eckert, défend l’idée qu’en 2024, le régime ne sera plus en déficit. Il y aura 24 milliards € de disponibles en 2024, ce n’est pas un problème si grave que ça et cela fait relativiser par rapport à l’impatience du gouvernement. Ce projet de loi n’est pas bon, il monte les organisations les unes contre les autres, les hommes et les femmes les uns contre les autres. Et dans le Doubs, le PS était opposé à la loi El Khomri. En 97, il y a eu les 35 h, on peut discuter sur la mise en œuvre, mais cela a constitué un progrès social. Notre candidat à la présidentielle a défendu le revenu universel, une idée à défendre, du moins à étudier. On est revenu de la vieille lune d’une croissance infinie dans un monde fini. Il faut revenir à une réduction du temps de travail pour un taux de chômage faible, mais il reste des emplois non pourvus, dans l’hôtellerie ou l’industrie. Autre problème, il existe des travailleurs salariés, mais qui sont des travailleurs pauvres. Nous sommes pour la répartition et un système de solidarité intergénérationnel. Hollande avait instauré le fait de partir à 60 ans pour les carrières longues dès son arrivé. Je suis aussi très étonné pour qu’au bout de 18 mois de négociation, il ait fallu attendre mercredi (Ndlr : le 11 décembre) pour que le Premier ministre présente sa copie. On rejoint la FI, les inégalités croissent sans cesse et il faut mettre un terme à tout ça.

LO, Claude Cuenot

Nous sommes en grève, mais pas reconductible, ce n’est pas évident. On fait une journée, deux journées, mais mes collègues n’en sont pas encore là. En écoutant, ce qui ressort c’est qu’on est facilement d’accord sur le constat. De l’argent, il y en a pour financer les retraites, on doit en être complètement convaincu. Mais comment les obliger à financer tout ça ? Il faut un rapport de force entre les classes, les capitalistes et les ouvriers. Il s’est modifié au profit des capitalistes, on a reculé progressivement et des gens ont leur part de responsabilité. Je ne vais pas faire l’historique, mais des choix ont été faits d’accompagner ou de laisser faire. Il y a les mesures de Balladur en 93, où ni la CGT, ni FO n’ont appelé à des journées d’action comme celles de cette année. (Ndlr : protestations dans la salle). On pourra en rediscuter. Ce n’est pas au salarié de payer ces mesures. Quand la retraite s’est imposée au début du XXe siècle, ils refusaient un système de financement par les cotisations employeurs et salariés. C’est au capitaliste de payer. Aujourd’hui on se défend tous ensemble parce que l’on est vraiment attaqués. Si la mobilisation se renforce, si dans les jours ou les semaines qui viennent, si notre camp se renforce, il faut avoir la conscience d’avoir un rôle particulier à jouer. Il faut qu’on aille jusqu’au bout et oser remettre en cause l’ensemble du capitalisme.

Genération. s, Kevin Bertaglioni

C’est une réforme vicieuse, qui attaque principalement la jeune génération après déjà la baisse des APL, l’instauration du service national, de la hausse des frais dans les universités… Ils attaquent en priorité les plus jeunes, ceux qui ne sont pas en âge de voter. Ils cassent les principes de base d’une solidarité entre les générations, ils veulent diviser pour mieux régner et cela marche très bien. Nous sommes pour un système par répartition, avec le principe d’une solidarité intergénérationnelle. On considère qu’il faut une pension minimum pour toutes et tous. On nous annonce 1000 € pour une carrière à temps plein, mais on voit bien ce qui se passe. Les carrières sont morcelées, il y a du temps partiel. Imaginer celles de la génération qui arrive. Comment vont-ils avoir une retraite à taux plein ? Il faut prendre en compte les meilleures années, réfléchir à la réduction du temps de travail, ce qui pourrait empêcher le chômage de masse. Notre avenir est basé sur nos acquis sociaux et sur notre planète. On rappelle que l’on a eu un candidat pour un revenu minimum, c’est l’idée que nous méritons tous, vivre dans de bonnes conditions et terminer notre vie sans qu’il y ait de baisse. On veut aussi la reconnaissance du burn-out, la réduction de l’écart de salaires entre hommes et femmes. Où on va chercher cet argent ? On l’a tous dit, il faut mettre à contribution le capital. Réduire les niches fiscales, mettre une taxe sur la VA des entreprises si elles obtiennent cette VA par une robotisation, etc. Comment on fait pour compenser ces emplois qui vont disparaitre ? Le principe est simple, il faut travailler mieux, moins et toutes et tous.

Le PIB en débat

Lors des questions de la salle, la question de la méthode de calcul du PIB et de la nécessité ou non de baser les hypothèses de financement sur sa hausse a fait débat. « Tout dépend de comment on compte. La richesse immatérielle produite n’est pas prise en compte dans le PIB mais elle est pourtant positive. La logique n’est pas d’opposer l’écologie au social. On ne veut pas moins d’activité, mais plus d’activités humaines », rétorque un partisan d’une éco-croissance. « J’en ai assez d’entendre que l’on consomme trop, parce que l’on oublie qu’il y a des gens qui ne consomment pas, qui sont dans la rue. Je comprends cette course effrénée, mais c’est un leurre » dira un autre.

Pour Génération. s « je pense qu’il faut que l’on travaille ensemble pour construire un projet commun. J’ai de l’espoir, je suis optimiste et je pense que le pays ne se laissera pas avoir. » Sans suspens, LO rejette l’idée d’une nouvelle union de la gauche. « L’alliance avec Mitterrand, Hollande ou Jospin a laissé des plumes. On nous fait croire aux changements, mais à chaque fois on reculait. Aujourd’hui, mon collègue, pas mon camarade, qui est assis à côté de moi (Ndlr : Nicolas Bodin), nous dit qu’il a défendu ci ou ci. Mais il a reculé », envoie-t-il en direction du PS. « Il faut augmenter notre capacité à s’organiser et à agir nous-même, c’est la seule perspective riche de sens », finit-il dans une tirade applaudie.

« Macron nous enferme dans un duel entre lui et le FN, mais il n’est pas sûr de le gagner »

Nicolas Bodin, du PS, revient sur ce qui est pour lui l’enjeu fondamental du débat. « Macron nous enferme dans un duel entre lui et le FN, mais il n’est pas sûr de le gagner. Et s’il ne le gagne pas, ce sera la faillite pour tout le monde », dit-il en rappelant, très inquiet, le résultat des élections régionales de 2015 en Bourgogne–Franche-Comté, où le FN était arrivé en tête avec plus de 31 % des suffrages et avait valu une triangulaire qui a finalement adoubé Marie-Guitte Duffay. « Elle a gagné et tant mieux, mais la prochaine fois, ce sera dangereux ».

Matthieu Guinebert, du PCF, constate la difficulté de l’affaire. « Il n’y aura peut-être pas d’union de la gauche, mais peut-être un front commun. On ne fait pas que descendre un projet de réforme, on a des propositions pour une retraite viable. C’est possible, c’est un choix de société, et là, le gouvernement a fait le choix de donner de l’argent à ceux qui en ont déjà tout un tas. Nous sommes tous unis pour dire stop à la précarisation massive et je m’en réjouis en tant que jeune et militant communiste. Ce forum a posé les bases d’une construction commune et pour proposer un grand contre-projet. »

« Offrir un débouché politique à la lutte »

Cette réunion de tous les partis a eu le mérite de rassembler toutes les forces écologistes et de gauche, un phénomène peut-être encore trop rare pour faire converger efficacement la lutte dans le champ politique. Fin janvier, plusieurs de ces partis appelaient à une conférence de presse avant le départ d’une manifestation pour présenter un contre-projet issu d’une plateforme commune à Ensemble, EELV, Générations. s, Nouvelle Donne, PCF, PS, etc. Vous retrouverez la liste complète ainsi que le programme sur ce lien. Et cette fois, ni LO, ni la LFI, ni la LCR n’avait été informé de l’initiative locale, qui s’inscrivait dans le cadre d’une opération nationale.

Matthieu Guinebert, qui est là pour le PCF, signale « l’importance d’offrir un débouché politique à cette mobilisation, » et que cela montre que « l’on peut travailler ensemble malgré nos différences, proposer un autre choix avec des financements possibles. » Le programme repose sur un système par répartition, pas d’allongement de la durée de cotisations mais sans âge défini, l’assurance d’une parité du niveau de vie entre les retraités et les travailleurs du public comme du privé, une meilleure prise en compte de la pénibilité, une retraite minimum au niveau du SMIC et l’égalité salariale femmes-hommes.

Les pistes de financement du programme Retraites : d’autres choix sont possibles ! seraient les suivantes : mobiliser les fonds de réserve des retraites, baisser les exonérations de cotisations sociales actuellement à hauteur de 66 milliards d’euros par an, mise en place d’un mécanisme de bonus-malus sur les cotisations en fonction de plusieurs critères sociaux ou environnementaux des entreprises, récupérer 30 milliards aux revenus financiers en leur imposant une cotisation vieillesse à un taux égal à celui des employeurs du secteur privé, maintenir un taux de cotisation à hauteur de 28,1 % jusqu’à 27 000 € de revenus, création d’emplois, notamment publics, pour la transition écologique, augmentation des salaires et égalité femmes-hommes. À l’heure où il est question de la conférence sur le financement, voilà quelques pistes intéressantes de réflexions.

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