Eoliennes de Moini : un projet en panne ?

Le projet de construire six éoliennes sur la crête séparant les vallées du Doubs et de la Loue entre Quingey et Arc-et-Senans est suspendu à deux rapports ministériels attendus depuis plusieurs mois. Trois maires mettent les pieds dans le plat alors que les opposants ont saisi l'Unesco qui protège la saline. L'opérateur semble hésiter.

« Ce n'est pas l'éolien qui supprimera le nucléaire », dit Jean-Luc Bertron, sur le pont de la Loue à Quingey. Dans le fond, la crête de Moimi où six éoliennes pourraient être implantées. Ph D.B.

Jean-Luc Bertron revendique des soutiens solides à sa cause. Cet habitant d'Abbans-Dessus, chef de projet d'une entreprise de plasturgie, est le coordinateur de l'association Le Vent tourne qui réunit des opposants au projet de parc éolien de la côte de Moini, entre Byans-sur-Doubs, Lombard et Quingey. Il assure ainsi avoir l'appui de Miguel Arias Cañete, commissaire européen au climat et à l'énergie.

A l'automne 2014, la nomination du commissaire espagnol avait été vivement contestée par la gauche ibérique et les écologistes européens qui soulignaient les accointances avec les milieux pétroliers de cet ancien ministre de l'agriculture des gouvernements conservateurs d'Aznar et Rajoy. Il avait d'ailleurs dû vendre ses parts dans les deux sociétés pétrolières qu'il avait créées... Son arrivée à Bruxelles ne « présage rien de bon pour les énergies renouvelables », soulignait en septembre 2014 le portail d'information européen €urActiv.

Équilibre éolien-patrimoine

M. Bertron indique aussi avoir le soutien de Petya Totcharova, en charge de l'observatoire mondial de lutte contre la piraterie à l'Unesco. Elle avait été sollicitée en 2012 dans un autre poste de l'Unesco par la Fédération environnement durable, également opposée aux éoliennes, alors vent debout contre un projet éolien proche du Mont Saint-Michel. La directrice générale de l'Unesco, Irina Bokova, avait un an plus tard indiqué souhaiter « un équilibre entre développement des parcs éoliens et protection du patrimoine » (lire ici). 

Car le patrimoine est l'ultime cheval de bataille du Vent tourne. L'association invoque la proximité de la saline d'Arc-et-Senans, classée au patrimoine mondial de l'Unesco, et située à une dizaine de kilomètres de la côte de Moimi. « Il y a co-visibilité depuis la route de Cramans, la maison du directeur et des chambres d'hôte », assure Jean-Luc Bertron dont l'association a saisi l'Unesco qui a interrogé l'État, lequel a mandaté des inspecteurs généraux des ministères de l'Environnement et de la Culture dont on attend toujours le rapport.

Lorsqu'on emprunte la route au bout de laquelle se trouve l'entrée de la saline, on peut en effet apercevoir au loin la crête de Moimi en tournant la tête à droite. Mais à moins de loucher, il est difficile de les voir simultanément... Quant à la visibilité depuis l'intérieur de la saline, elle est réelle mais minime : les éoliennes ne feraient qu'un à deux centimètres pour un regard qui sortirait du site... Pour Nicolas Combe, le directeur du site, « les arguments utilisant la saline le sont à mauvais escient... Je ne suis pas convaincu que le paysage de la saline soit déformé par le projet ».

C'est aussi l'avis d'une source interne à l'Unesco qui pense que « ce n'est pas raisonnable de considérer la vision sur le parc comme une menace directe ». Cette source rappelle aussi que « les sites Unesco doivent contribuer au développement durable au niveau local et contribuer activement à la lutte contre le changement climatique ». Ce qui est justement l'objectif des éoliennes.

Couloir de manœuvre de l'armée de l'air

Avant d'évoquer le patrimoine de l'Unesco, le Vent tourne avait invoqué celui de ses adhérents et sympathisants : « L'impact peut aller jusqu'à une baisse de 40% de la valeur d'une maison, je suis personnellement à 600 mètres de la zone », dit M. Bertron. La présidente du Vent tourne, Francine Morel, adjointe durant le précédent mandat à Byans-sur-Doubs, possède la ferme du Goulot, dans une prairie de la côte de Moimi. C'est un bâtiment d'élevage très rustique où elle a voulu créer un petit logement en déposant une déclaration préalable à travaux, mais le maire, Didier Paineau, a refusé : « c'était pour contrer le parc éolien, il n'y a aucun réseau... ». Qu'il y ait une habitation et le projet devenait en effet caduc... Le litige pourrait être tranché par la justice administrative.

Le Vent tourne assure que l'Armée de l'air et le ministère de la Défense sont opposés au projet parce qu'il est « en bordure du couloir de manœuvre aérien 45C ». Pour Didier Paineau, ce « problème de manœuvre est résolu depuis la ZDE car le couloir est au-dessus ». La ZDE, ou zone de développement aérien, a fait l'objet d'un arrêté préfectoral du 21 janvier 2013 (voir ici). Président du collectif EMNE, Ensemble mobilisons nos énergies, Jean-François Dugourd confirme : « l'armée a discuté avec Opale, le porteur du projet, et n'est pas contre ». Il n'est par ailleurs plus question de huit éoliennes mais de six. M. Bertron reste sur le premier chiffre : « on n'a rien d'officiel, rien d'écrit ».

A Lombard...

Pour s'opposer aux éoliennes, Le Vent tourne invoque la proximité d'un site Natura 2000. Jean-Luc Bertron défend aussi une autre énergie : « ce n'est pas l'éolien qui supprimera le nucléaire. Il faudrait 4000 éoliennes pour remplacer Fessenheim. Et bientôt la fusion remplacera la fission nucléaire... » Il dénonce « le saccage des paysages », défend aussi des arguments sanitaires qui font sourire un adhérent du collectif EMNE : « ils se sont discrédités en parlant de risque d'énurésiepipi au lit ».

De huit à six éoliennes

Sur place, les panneaux refusant les éoliennes ne sont pas très nombreux. Nous en avons vu un à Quingey et un autre à Lombard. Il y en a sans doute d'autres car Le Vent tourne revendique plus de 200 adhérents.

Didier Paineau, Jacques Breuil, Philippe Edme, maires de Byans-sur-Doubs, Quingey et Lombard : « le projet est en panne... »

Quoi qu'il en soit, le projet est aujourd'hui « en panne », constatent Didier Paineau, Philippe Edme et Jacques Breuil, maires de Byans-sur-Doubs, Lombard et Quingey, qui veulent « réveiller l'institution ». « Tous les services de l'Etat ont validé l'arrêté de zone de développement éolien, et quand l'Unesco a été alerté du risque de co-visibilité avec la saline, une étude a été faite ». Elle est à l'origine de la réduction à six éoliennes qui produiraient « l'équivalent de la consommation des 20.000 habitants des deux communautés de communes » de Quingey et de Saint-VitAvec la loi NOTRe, la première va fusionner avec celles d'Ornans et d'Amancey, la seconde éclater entre celle de Marnay et le Grand Besançon.

Rapport attendu depuis mai 2015

Dans une conférence de presse commune, les trois élus s'interrogent. Ils s'inquiètent de ne toujours pas voir arriver le rapport des ministères de l'Environnement et de la Culture. Jacques Breuil, le maire de Quingey, tente de se rassurer en soulignant que des sites Unesco, comme Carcasonne, sont proches de parcs éoliens... En fait, le changement de préfet, la restructuration des services de l'État et le bouleversement des compétences des collectivités par la loi NOTRe - la saline appartient au département du Doubs - pourraient avoir relégué au second plan la préoccupation de l'administration pour le dossier.

Le développeur attend-il de savoir ce qu'il y a dedans avant d'officialiser les choses en déposant un dossier d'ICPE, installation classée pour la protection de l'environnement ? Si c'est le cas, on entrerait alors dans une procédure de déclaration d'utilité publique, comprenant notamment une enquête publique... Reste, indique Jean-Philippe Setbon, le secrétaire général de la préfecture, que « si l'on n'a pas le rapport officiellement, on en connaît les grandes lignes : diminution significative de la hauteur des éoliennes et suppression de l'une d'elle ».

Dans ces conditions, le projet n'est-il plus prioritaire pour la société Opale en raison de l'impact économique de ces éléments ? Le président de l'entreprise, Jean-Pierre Laurent, déclarait, un peu énigmatique, à France 3 : « le projet reste compliqué : j'ai peur que le train passe et qu'on ne le prenne pas... » Nous avons sollicité l'entreprise sur ce point, elle n'a pas encore retourné notre appel.

De son côté, le collectif EMNE tente de s'approprier une partie du dossier en militant, à l'instar de Chamole, pour qu'une éolienne du parc soit propriété collective territoriale afin qu'il n'y ait pas que des retombées fiscales pour les communautés de communes, mais aussi des dividendes pour les habitants qui s'impliqueraient par le biais d'une Cigales (club d'investisseurs pour une gestion alternative et locale de l'épargne solidaire). Ce montage là aussi prend du temps... 

 

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