Dominique Bourg. Questions, réponses…

Le marché contre L'humanité, et Retour sur Terre, 35 propositions. Deux essais du philosophe Dominique Bourg chroniqués dans Factuel.info. Être lucide ne rend pas optimiste. Dominique Bourg reste quand même combatif. Il a accepté de répondre à quelques questions pour notre journal.

dominique

 DS  Vous êtes philosophe. Qu’est-ce qui vous a conduit à, en quelque sorte, vous spécialiser dans les questions environnementales, climatologiques… et plus encore, à prendre position jusqu’à un engagement politique.

 DB Les questions écologiques ne sont pas sectorielles. La pensée écologique n’a cessé depuis le 19e siècle de remettre en question la séparation homme – nature, laquelle a été au fondement de la modernité. Le dérèglement climatique a définitivement condamné cette séparation. Nous ne pouvons pas comme Gédéon arrêter le soleil dans sa course pour finir une bataille, mais nous n’en changeons pas moins la température moyenne à la surface de la Terre. Cela donne pour le moins à penser ! Quant à l’engagement politique, il a été de courte durée et je ne l’ai accepté que pour porter une parole d’expertise.

 DS « Être philosophe ne consiste pas simplement à avoir de subtiles pensées, ni même à fonder une école, mais à chérir assez la sagesse pour mener une vie conforme à ses préceptes, une vie de simplicité, d’indépendance, de magnanimité, et de confiance. Cela consiste à résoudre quelques-uns des problèmes de la vie, non pas en théorie seulement, mais en pratique », a écrit Henri David Thoreau, dans son livre, Walden ou la vie dans les bois. ... Vous sentez-vous une filiation avec ce philosophe, poète et essayiste du 19° siècle ? Son Walden ou la vie dans les bois est-il toujours d’actualité ?

 DB Oui à cette différence près que c’est désormais tout le monde, à commencer par ceux qui détruisent le plus en raison de leur niveau de vie élevé, qui est désormais appelé à la sagesse et modération. Vaste programme !

 DS Vous êtes implacable dans l’analyse que vous faites du gouvernement Macron. Parlant des Trump, Poutine, Xi Jinping… vous n’hésitez pas à les qualifier de mafiosi. Quelles formes peuvent prendre les luttes afin d’abattre ces gouvernements totalitaires, climatosceptiques ?

 DB Je viens indirectement de l’évoquer, ce sont les substrats matériels et énergétiques de nos modes de vie, avec à l’amont nos infrastructures et notre appareil de production, qui détruisent rapidement l’habitabilité de la Terre. Nous en connaissons un avant-goût avec les inondations ravageuses des vallées de la Vésubie ou de la Roya, avec les méga-feux qui ont détruit des agglomérations en Californie, les cyclones de plus en plus destructeurs qui ont détruit la gendarmerie en dur de Saint-Barthélemy dans les Caraïbes, les rendements agricoles qui dégringolent sous la pression conjointe des vagues de chaleur et des sécheresses, etc. On ne va pas changer une telle puissance de destruction en déposant un cierge à la cathédrale. Cela exige des transformations profondes et même gigantesques. Sans des mesures politiques fortes, et à l’échelle internationale qui plus est, nous n’y parviendrons pas. Et le moins qu’on puisse dire est que l’horizon est bouché. Les peuples se sont en effet ingéniés à se choisir des dirigeants qui les conduisent en sens inverse. Y compris en France ! L’écart entre ceux qui ont compris, à commencer par la part de la jeunesse la mieux formée, et les obtus, se creuse dangereusement. Nous sommes mal partis, mais l’histoire nous surprend parfois.

 DS Vous dénoncez les agissements de la police du gouvernement Macron, en particulier à l’encontre des Gilets jaunes. Quoi que l’on pense de ce mouvement, cette brutalité est-elle le signe d’un pas en avant vers un régime totalitaire ?

 DB J’ai connu dans une université précédente un collègue issu de la police. La police dont il me parlait, garante d’une forme de non-violence, en s’interdisant le contact, n’a effectivement plus grand chose à voir avec celle d’aujourd’hui. De toute évidence les autorités publiques ont encouragé cette métamorphose et dénient le fait que la police soit devenue un jardin à chiendents d’extrême droite. Cette police n’aura pas à se bousculer outre-mesure si le régime franchit le Rubicon de la démocratie, comme Trump et les Républicains aujourd’hui, refusant par avance le verdict électoral. A la décharge des policiers, la violence d’en face a aussi facilité cette dérive. Les deux phénomènes se confortent.

 DS Ce gouvernement est-il climatosceptique ?

 DB En parole non, dans les faits oui, comme le montrent par exemple les efforts déployés pour différer ou écarter les mesures proposées par la Convention Citoyenne sur le Climat.

 DS  Vous expliquez, dans Le marché contre l’Humanité, que l’État – dont vous donnez une définition – s’efface, voire disparait, pour s’apparenter aux grands groupes financiers, seuls véritables décideurs des politiques à conduire. Comment le peuple peut-il reprendre le pouvoir sur sa vie, sachant que l’abstention devient de plus en plus massive lors des élections ? Que ce processus démocratique devient une pantalonnade ?

 DB J’explique en effet en quoi la globalisation a rendu impossible le rôle régulateur exercé par les États-Nations en termes de répartition de la richesse. Les gouvernements sont devenus des facilitateurs du commerce international, lequel contribue à la destruction de l’habitabilité de la planète. Toutefois il n’est pas impossible que cet ordre global s’effondre au profit de grands empires qui recouvriront les moyens d’une régulation interne. Et de toute façon, et les dégradations écologiques, et la montée des inégalités conduiront à l’effondrement de ces sociétés.

 DS Ce qui est intéressant dans le développement de votre propos, c’est que vous ne dissociez pas le fait d’écologiser la société, et le fait de réduire les inégalités sociales, de revenus… En quoi les deux démarches sont-elles indissociables ?

 DB Il n’y a d’écologie possible que sociale, car ce sont les plus hauts revenus qui détruisent de loin le plus. 1 % de la population émet 15 % des gaz à effet de serre mondiaux, les 10 % les plus riches émettent 50 % des gaz à effet de serre, et les 50 % les plus pauvres n’émettent que 10 % des gaz mondiaux.

 DS  Si l’on regarde l’état du monde, entre guerres et terrorisme, comment le projet écologique peut-il se glisser au milieu des bombes et des attentats ?

 DB Les catastrophes écologiques occasionnent les guerres et entrainent la misère sociale (la crise syrienne a commencé par l’exode de plus d’un million de paysans condamnés à l’exil par une sécheresse hors norme), lesquelles alimentent la machine à catastrophes. Des idéologies d’un autre âge comme l’islamisme, ou le fondamentalisme évangéliste aux USA ou au Brésil, interdisent à ceux qui les portent de comprendre quoi que ce soit et nourrissent à leur tour la machine à catastrophes. Effectivement, rien à attendre de ce côté, si ce n’est le naufrage général.

 DS Nous en venons, pour terminer, à quelques-unes de vos propositions. Certaines ferons sans doute consensus chez nos lectrices et chez nos lecteurs, telles celles sur la fin des paradis fiscaux, sur l’annulation des intérêts de la dette, sur l’encadrement des écarts de revenus… D’autres, sont plus…surprenantes, qui demandent à la population active de, en quelque sorte, retourner aux champs afin de participer aux travaux agricoles quand le besoin s’en fait sentir. Et ce, en plus de leur travail habituel. De plus, vous développez l’idée que les agriculteurs devront revenir à l’énergie humaine, ou animale, pour les travaux des champs. Nous en sommes vraiment là ? D’autant que vous admettez que le travail de l’agriculteur, du paysan, est loin d’être une partie de plaisir. 

 DB Nuançons. Selon toute vraisemblance, l’avenir nous réserve une disponibilité énergétique probablement sensiblement plus faible qu’aujourd’hui. Or, il faut grosso modo dix calories (essentiellement fossiles) pour produire aujourd’hui une seule calorie alimentaire. L’Agence Internationale de l’Énergie annonce elle-même des tensions quant à la disponibilité de pétrole dans la décennie. Or, moins d’énergie signifie ipso facto plus de travail humain. Maintenant cela ne signifie pas nécessairement plus de tracteurs dans les champs, mais une partie de récoltes pour l’énergie des tracteurs. Etc. Par ailleurs, dans un monde où l’énergie est devenue nettement plus rare, on ne fera plus venir de loin une main d’œuvre étrangère, pour les récoltes notamment. Il faudra bien la trouver ailleurs. Ce sont autant de défis auxquels il conviendra de répondre.

 DS Changer de civilisation, écologiser la société, écrivez-vous. Rechercher des relations plus équilibrées et entre êtres humains, et entre êtres humains et non humains. Est-ce possible en dix ans ? Au prix du sang et des larmes ? Sachant, écrivez-vous, qu’il n’est pas de société écologisée, ni de survie possible, sans une forme de renoncement à notre souveraineté économique.

 DB Le défi devant nous est gigantesque et nous n’avons plus que dix ans effectivement pour éviter d’exploser les 2° à partir de la décennie 2040, et ce pour finir par réduire drastiquement l’habitabilité de la Terre. Il en est ainsi parce que nous n’avons rien fait, ou si peu, depuis que nous avons signé en 1992 le Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique. Depuis 30 ans, les responsables ont tablé sur les progrès techniques, et continuent … Si nous avions agi il y a 30 ans, nous ne serions pas désormais devant un mur !

 DS Dominique Bourg, merci d’avoir répondu à nos questions. Les lectrices et les lecteurs de Factuel.info apprécieront. Merci également d’avoir écrit ce qui suit : l’écoféminisme fait au reste partie intégrante de cette base commune. Comme l’a en son temps montré, l’une des premières, Françoise d’Eaubonne, la refonte de nos relations à la nature est inséparable d’un rééquilibrage fondamental entre les sexes et d’un enterrement définitif du patriarcat.

 

 

 

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