Daniel Prieur : « la concurrence effrénée entre nous va nous coûter cher »

Paysan à Pierrefontaine-les-Varans, le président de la chambre d'agriculture du Doubs et secrétaire général adjoint de la FNSEA, livre son analyse de la situation du marché laitier et de la place de la Chine.

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La Chine est-elle devenue autosuffisante en produits laitiers au point de déstabiliser les prix mondiaux ?

Elle a surtout sécurisé ses marchés et ses approvisionnements. Cette année, les Chinois ont acheté en Nouvelle Zélande, à Sodiaal, aux Pays-Bas...

Ils nous ont aussi acheté ces dernières années des technologies fromagères...

Oui... Mon analyse par rapport à la Chine est celle d'un paysan à peine avisé. Regardons ce qu'elle a fait dans l'automobile, par exemple. Peugeot n'était pas bon pour les châssis communs, mais parmi les premiers en recherche, il est allé loin dans les motorisations de demain avec des moteurs à trois cylindres, deux cylindres, à air comprimé, hybrides... Si les Chinois sont venus chez Peugeot, ce n'est pas parce que les carrosseries leur plaisaient.

Font-ils pareil en agriculture ?

Ils ont fait des investissements à Saint-Dizier avec le rachat par Yto d'une usine de tracteurs qui faisait les boites de vitesses légendaires de Case, International ou McCormick. Ils ont intérêt à la fiabilité pour passer d'une agriculture vivrière à une agriculture professionnelle. Ils ont fait des investissements stratégiques pour leur alimentation, en cherchant du lait infantile chez Sodiaal afin de régler leurs problèmes sanitaires. Ils ont des parts dans des embarcadères d'Amérique du sud pour importer du soja... Leur objectif est de nourrir leur peuple. La Chine a peur de la sous-alimentation et de la révolution. Elle continue d'intervenir sur les marchés agro-alimentaires, mais d'une façon différente.

On leur vend moins au moment où on sort des quotas et que notre production augmente...

On a préparé la sortie des quotas, mais on n'est pas seuls en Europe. La montée des prix est liée à la demande, mais aussi à la capacité à faire ou non de l'offre. Quand le lait standard augmente, c'est la conséquence d'une crise quelque part. A chaque fois que les conditions de production sont normales partout, les prix sont orientés à la baisse. J'ai toujours dit aux gens de la FNPL et de la FNSEA que l'agriculture chinoise n'a pas été intensifiée. Quand la Chine et l'Inde passent d'une production par vache de 2500 litres par an à 4 ou 5000 litres, c'est assez facile. C'est beaucoup plus difficile de passer de 5000 litres à 8000. Ils ont donné le premier coup d'accélérateur sur un nombre important d'animaux...

L'ont-ils fait ?

Je l'ai toujours dit, mais on m'a souvent regardé comme un martien. C'est pourtant ce qui s'est passé. La Chine a l'objectif d'avoir un solde commercial positif...

Cette situation paraît durable, non ?

C'est une donnée à prendre en compte. Ce n'est plus conjoncturel... La vraie question de la sortie des quotas est celle de la concurrence effrénée entre nous et va nous coûter cher, et de la place internationale prise par des pays ayant évolué et qu'on n'a pas analysée.

Il y a la concurrence des Allemands et de leurs fermes de 1000 vaches...

Et même de 5000 vaches ! Elles ont été montées sur les anciennes fermes collectives de l'ex RDA, mais il y en aussi depuis longtemps de très grosses dans la Rhur. En 1983-84, quand ont été institués les quotas, les plus grosses fermes étaient britanniques, suivies des néerlandaises et des danoises, puis des allemandes. Nous étions derrière avec l'Italie... Nous avions en France 450.000 producteurs de lait à 60.000 litres... Il y avait 30.000 producteurs dans la Manche où j'étais mardi...

L'économiste d'Agrosup Dijon Jean-Christophe Kroll annonçait en 2011 ce qui arrive aujourd'hui...

C'est évident. On n'est plus dans l'Eldorado ! Les paysans que j'ai vu dans la Manche ont perdu 80 euros par 1000 litres depuis janvier, sont passés de 370 à 290 euros...

En Franche-Comté, il y a aussi du lait standard qui baisse...

Il est un peu mieux payé car il y a davantage de valorisation fromagère, mais les données sont proches... On saute dans l'inconnu.

Y aura-t-il des arrêts ?

Ça va être dramatique...

 

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