Daniel Conversy : « nous ne pouvons pas assurer la sécurité des populations en cas d’accident nucléaire »

Ancien président de l'association nationale des sapeurs-pompiers, ce colonel à la retraite favorable à une sortie du nucléaire qui prendra selon lui 30 à 40 ans, est l'auteur d'une étude analysant les failles du dispositif de protection civile et formule des propositions susceptibles de construire une « culture du risque ». Il l'a adressé à La France insoumise où il milite à Besançon, et au réseau Sortir du nucléaire.

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Colonel de sapeurs-pompiers à la retraite, Daniel Conversy reste un passionné des questions de sécurité civile. Habitant la proche banlieue de Besançon, il a réalisé une étude sur les failles de la sûreté nucléaire, s'appuyant notamment sur des rapports parlementaires ou l'association regroupant les 37 commissions locales d'information qui sont obligatoirement créées en regard de chaque site nucléaire. 

On entend souvent parler des soucis sur les centrales nucléaires (problèmes de fissures, d'étanchéité, de protection des travailleurs du secteur…), des difficiles questions relatives au traitement, au recyclage ou au traitement des déchets. Dans son étude, Daniel Conversy s'attache à ces sujets, mais il insiste surtout sur notre impréparation à l'éventualité d'un accident majeur. Favorable à l'arrêt du nucléaire, il sait bien qu'on en a encore pour au moins 30 ou 40 ans, et que pendant ce laps de temps, des questions cruciales de maintenance ou de sécurité des populations continueront à se poser. 

Son texte analyse la situation et conclut par un constat bien connu des militants anti-nucléaire, moins du grand public : nous ne sommes pas prêts à faire face à un accident majeur. Que ce soit en termes d'information ou de prévention, mais aussi d'organisation institutionnelle. C'est sur ce dernier point, qu'il connaît bien pour avoir dirigé le service départemental d'incendie et de secours de la Loire, qu'il formule des propositions. 

Pour un périmètre de sûreté de 100 km au lieu de 20

Prenant acte du passage de 10 à 20 km du rayon du périmètre de sécurité autour des centrales, il rappelle que l'accident de Fukushima a eu des effets à 100 km, et celui de Tchernobyl à 300 km, sans oublier le nuage radioactif qui a touché la bordure est de la France… Il demande cependant le passage du périmètre de sûreté à 100 km comme le préconise une directive européenne. Il suggère de s'engager plus résolument dans un processus de construction d'une culture de la sécurité civile, notamment en proposant la création d'un service national universel de sécurité civile de 9 mois. Il propose l'adoption d'un système d'alerte par sms à l'instar des USA, du Japon ou des Pays-Bas, ou encore l'unification du commandement des opérations…

Il a adressé son étude à La France insoumise où il milite (il a été suppléant de Claire Arnoux aux élections législatives de 2017) et au réseau Sortir du nucléaire.

Après l'entretien qui suit avec Daniel Conversy, nous publions sont étude qui fait près de 50.000 signes, soit l'équivalent une quinzaine de pages A4…

Pourquoi commencez-vous par évoquer le rapport du GIEC ?

Parce que les lobbys nucléaires s'en sont servi au prétexte que le GIEC dit que le nucléaire émet peu de gaz à effet de serre. Mais si on parle des transports ou du retraitement des déchets nucléaires, là on produit du CO² dont ces lobbys ne parlent pas. 

Vous affirmez qu'il y a un nombre très important d'incidents dans les centrales dont ont ne parle quasiment pas. D'où tenez vous ça ?

Chaque incident doit être déclaré à l'ASN, l'agence de sûreté du nucléaire, de l'incident mineur à l'accident majeur. Récemment, un grue a lâché dans la centrale du Tricastin. Les arrêts intempestifs sont nombreux dans certaines centrales car il n'y a plus de refroidissement…

Vous écrivez que le retraitement et le stockage des déchets pourraient avoir un impact sur la facture d'énergie des consommateurs. Vous l'avez évalué ?

Cela n'a jamais été évalué. Le problème du stockage, c'est qu'on est en saturation. Il y a d'abord un premier stockage dans chaque centrale : on change un tiers du réacteur tous les 18 mois. Ces déchets sont mis en piscine pendant deux ans pour refroidissement avant le transport vers l'usine de La Haugue où ils subissent un nouveau refroidissement de 4 à 8 ans avant le retraitement. La Haugue reçoit aussi d'autres produits à retraiter de tous les pays d'Europe. C'est pour ça que c'est saturé, on n'a pas les moyens de stocker, sauf à Cigéo (Bure)…

Que vous proposez d'abandonner…

Oui. C'est vrai qu'on maîtrise des technologies, mais un accident, on ne maîtrise pas. Quand on voit les catastrophes de Fukushima ou Tchernobyl, on voit qu'on n'a pas les moyens de protéger la population. A Fukushima où on a déplacé les populations, on a déjà constaté une augmentation du taux de cancers chez les enfants…

Une génération pour construire une culture du risque

Vous dîtes qu'en France, on n'a pas la culture du risque. C'est quoi ?

De l'information et la formation en permanence, mais pas seulement à propos du nucléaire : aussi en matière de tremblement de terre, de glissement de terrain, d'inondation… Au Japon, les habitants l'ont pour les tremblements de terre. Quand on voit les difficultés de l'intervention des sapeurs-pompiers à Notre Dame, l'enchevêtrement de bois et d'échafaudages, dans le cas d'un accident nucléaire, l'intervention des pompiers avec une lance est impossible, la mort serait immédiate. A Tchernobyl, les premiers morts sont survenus dans les 48 heures, à cause de l'irradiation. a Fukushima, huit ans après l'accident, ils sont allés fin mars avec des robots au coeur du réacteur…

A cause de la température ?

Oui, c'est plusieurs milliers de degrés au moment de l'accident…

C'est trop pour des robots, non ?

La température est encore de plusieurs centaines de degrés. On ne peut utiliser que des robots « durcis », protégés contre les rayonnements. La présence humaine est toujours impossible huit ans après. Le poste de pilotage des robots est situé à plus de 500 mètres du site… 

En combien de temps construit-on une culture du risque ?

Cela commence à l'école, par des cours de secourisme…

…Ça a commencé…

… mais ça ne concerne pas toute la population.

Faut-il une génération ?

Cela peut se passer sur une génération… On entend souvent dire : vous faites du catastrophisme alors qu'on parle de prévention.

Tous les plans d'interventions pour un périmètre de 20 km
ne sont pas établis, alors pour 100 km…

Vous évoquez les protestation des parlementaires à qui on oppose le secret défense pour ne pas leur répondre…

C'est la peut de divulguer de la technologie, alors qu'on vend es centrales à l'étranger ! Il faut se souvenir qu'on a développé en France le nucléaire pour développer la bombe atomique du temps du général De Gaulle. Le secret défense évite que des journalistes ou des associations de défense de l'environnement aient connaissance des dysfonctionnement…

Si l'on vous lit bien, on a en permanence des déchets nucléaires sur nos routes. Et les maires des villes traversées, ou contournées de près, ne sont pas au courant…

Oui. Seules les préfectures reçoivent des telex avec les heures et les itinéraires. Les services départementaux d'incendie et de secours ont l'information. Cela relève du confidentiel défense pour éviter des manifestations de protestation ou des actes terroristes…

Avec des périmètres de sûreté de 10 km (hier) ou 20 km comme aujourd'hui, la Franche-Comté n'est pas concernée. Mais si on passe à 100 km, elle l'est forcément : Fessenheim est à 50 km du Territoire de Belfort, Saint-Vulbas (Bugey) est à 70 km de Genvèe, du Haut-Jura ou de la Petite montagne, à 50 km de Bourg-en-Bresse, 35 km de Lyon… 

Les périmètres de 10 km, puis 20 km après la réforme de 2016, sont ceux où l'information dans les communes est obligatoire, pour expliquer au habitants comment se comporter en cas d'accident : le confinement, l'évacuation, la prise d'iode… Il y a une distribution d'iode chez les particuliers dans ce périmètre. Au-delà du périmètre, l'iode est distribué aux pharmacie après l'incident… Mais l'information ne va pas partout : les PPI, les plans particuliers d'intervention qui définissent les mesures à prendre, n'ont pas été établis partout…

Vous parlez des PPI sur des périmètres de 20 km de rayon, alors qu'il faudrait 100 km ?

Oui, c'est une directive donnée par l'Europe… Mais le plus gros problème, c'est l'alerte. Enfin, un des plus gros, parce qu'il y en a un autre important, c'est l'évacuation.

Pas assez d'hébergements pour accueillir
d'éventuels réfugiés d'un accident nucléaire

Commençons par l'alerte. A vous lire, les opérateurs de téléphonie traînent les pieds pour le système par sms qu'on adopté plusieurs pays…

Oui, notre réseau de sirène, mis en place après la Seconde guerre mondiale, est obsolète. On a du mal à convaincre les opérateurs à mettre en place le système par sms…

N'y a-t-il pas un risque à miser sur un système par sms quand on songe à Bug, la fiction du bédéaste Enki Bilal qui scénarise la disparition de toutes données numérique de la planète ?

Peut-être… En tout cas, c'est un problème gigantesque. Quant à l'évacuation des millions de personnes, cela semble impossible. Dans les plans, on parle d'évacuation, mais on n'a pas défini de système d'hébergement. A Fukushima, on oblige les réfugiés à revenir chez eux 8 ans après l'accident alors qu'il y a 20 millisieverts alors que le maximum est d'un millisievert…  

La centrale de Nogent-sur-Seine est à 110 km de Paris… Mais avec des vents d'est, c'est la région parisienne qui pourrait être impactée en cas d'accident. 

Le risque est de ne pas évacuer mais de confiner, voire de sacrifier une partie de la population.

Au-delà de la zone impactée par un accident, il faudrait accueillir des réfugiés…

Ce n'est pas possible pendant 8 ans ! Et puis, l'évacuation de l'ensemble des personnes à l'instant de la décision - parents, enfants à l'école, etc. - éclaterait les familles. Comment les regrouper ? En plus, il faudrait plusieurs hypothèses de destination en fonction des vents…

Vous voulez dire qu'on arriverait vite au chaos ?

Oui, ce serait une crise majeure, déstabilisatrice du pays. Quasiment aucun secteur de France n'est pas concerné… 

Un service national de sécurité civile de neuf mois…

Vous proposez une organisation différente des secours. Pourquoi ?

Dans l'attente du remplacement du nucléaire, il faut assurer la sécurité. 

Vous préconisez une unification du commandement. Quel problème pose pour vous la situation actuelle et quelle est-elle ?

Le problème, c'est qu'il y a les opérationnels et le préfet qui dirige les opération de secours. Il faudrait une autre solution : les préfets n'ont pas de formation à la direction d'opération de secours : ils ont l'autorité, mais pas la technique. Il faudrait unifier le commandement dans un même site pour coordonner les forces de police, de gendarmerie, les sapeurs-pompiers et la sécurité civile, plus les services concernés comme EDF…

Ça n'existe pas aujourd'hui ?

Il n'y a pas de structure permanente unifiée. Cela se met en place au moment de l'opération, avec des personnels n'ayant aucune formation opérationnelle. Dans les préfectures, quand on déclare un plan Orsec, on met en place des centres opérationnel qui ne fonctionnent pas, n'ont pas les outils. Les SDISservices départementaux d'incendie et de secours ont les outils. 

Vous proposez un service national de sécurité civile de neuf mois. C'est quoi ?

Ça existe déjà pour les sapeur-pompiers ou la sécurité civile dans le service national universel. Il faut bien neuf mois pour acquérir une formation pour intervenir.

C'est une réflexion à vous ? Vient-elle de l'association nationale des sapeurs-pompiers que vous avez présidée ?

L'association a initié la réflexion. Sur le service national civil, on avait déjà des sapeurs-pompiers auxiliaires… C'est indépendant des sapeurs-pompiers volontaires : un volontaire à 16 ans pourrait servir. On a des difficultés à maintenir les effectifs des volontaires qui sont confrontés aux gardes, aux permanences, aux interventions qui font quitter le travail…

Vous proposez aussi une refonte du statut. sacré morceau !

Oui. Personne ne s'en empare… Les syndicats sont réservés car ça ferait des pompiers professionnels sur certaines activités, et des salariés sur d'autres… J'avais présenté sans succès cette piste au ministère de l'Intérieur…

Et la Garde nationale de sécurité civile que vous préconisez, c'est quoi ?

Elle existe dans la police, chez les militaires. On en parle dans la sécurité civile. Elle pourrait coordonner l'ensemble des moyens, créer une unité de techniciens ayant les mêmes moyens et le même niveau.

Comment ont réagi La France insoumise et le réseau Sortir du nucléaire à qui vous avez adressé cette étude ?

Ils doivent réfléchit, je n'ai pas de nouvelles…

Votre initiative a forcément été influencée par votre passage à la présidence de l'association nationale des sapeurs-pompiers…

Et aussi parce que j'ai participé à des exercices sur les centrales nucléaires. Je connais bien les rouages locaux et nationaux. L'association est reconnue, représentée dans diverses commissions nationales, participe aux jurys de concours. L'EHESI s'intéresse à ce qu'elle fait… L'école nationale supérieure des officiers des sapeurs-pompiers d'Aix-en-Provence aussi…

La militarisation des pompiers de paris et de Marseille complique-t-elle la problématique ?

C'est un problème quand il y a des interventions communes. La militarisation a été créée à la suite d'événements importants. A Paris par Napoléon après qu'un incendie à l'ambassade d'Autriche a failli tuer sa femme en 1810. A Marseille en 1939 à la suite de l'incendie des Nouvelles Galeries en face du lieu du congrès du parti radical au pouvoir… Il faudrait unifier ces deux corps…  

  

 

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