Comment adapter l’agriculture comtoise au climat qui change

Deux agronomes de la chambre d'agriculture ont fait des simulations à partir des scénarios du GIEC et proposent des pistes pour une réflexion stratégique : réduire la taille des troupeaux, bien gérer les apports d'engrais, implanter des prairies multi-espèces, de la luzerne, revenir à la betterave fourragère...

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On n'a pas vu beaucoup de vaches dans les pâturages comtois cet été. La plupart étaient à l'abri du soleil dans les bâtiments. Elles y étaient aussi à table. Car le peu d'herbe que la canicule n'avait pas séché sur pied leur coupait l'appétit. Il a donc fallu les nourrir avec du foin prévu pour cet hiver. Voire du fourrage acheté hors de la zone AOP comté ou des compléments, ce que le CIGC a, exceptionnellement validé ici ou là, non sans se couvrir en demandant à l'INAO, et en effectuant un contrôle systématique sur place. On a bien vu quelques génisses brouter dans les prés pour qu'elles laissent aux vaches les rations bonnes pour le lait. D'ailleurs, on a plutôt vu les jeunes bêtes s'agglutiner autour des abreuvoirs ou des citernes apportées quotidiennement par les éleveurs : « j'en ai puisé une par jour dans la Loue »,  dit ainsi Claude Vermot-Desroches, le président du CIGC qui passé « le plus mauvais été » de sa vie...

Des étés comme ça, on risque d'en connaître de plus en plus souvent. Il y en a déjà eu quelques uns vraiment très secs depuis la fameuse canicule de 2003. Aujourd'hui, il faut se préparer à les affronter. C'est pourquoi la chambre d'agriculture du Doubs et du Territoire-de-Belfort a consacré une bonne heure, jeudi 11 septembre, à la présentation d'une étude des agronomes Mathieu Cassez et Jean-Marie Curtil. Conseillers au service économie de l'entreprise de la chambre, ils ont commencé par un bilan de la sécheresse de cette année qu'un chiffre résume assez bien : « la pousse mensuelle entre le 20 juin et le 20 juillet ne représente que 14% de la pousse mensuelle de référenceCette référence est basée sur la moyenne de la période 1982-2009 ».

Les deux-tiers de la région entre 75 et 90% des rendements de référence

La région a été inégalement touchée. Au 20 juillet, le rendement des prairies permanentes se situait entre 75 et 90% de la moyenne de référence pour les deux tiers de la Franche-Comté (Haut-Saône, Belfort, plaines et basses vallées du Doubs et de l'est et du nord du Jura). La région de Vesoul a été particulièrement touchée avec des rendements inférieurs à 75%, tandis que le Haut-Doubs et le Haut-Jura ont eu au moins 90% du rendement de référence.

Les agronomes ont fait tourner leurs modèles pour évaluer les conséquences économiques en fonction des types de ferme et de leur situation géographique. Les systèmes en AOP des plateaux et de montagne ont ainsi davantage perdu avec les coûts induits par la sécheresse qu'ils n'ont gagné avec l'amélioration de la conjoncture : « les déficits d'excédent brut d'exploitation vont de 16% (AOP montagne) à 24% (maïs-herbe en plaine) ». On comprend dès lors l'intérêt de prévoir « l'évolution de la productivité des pariries dans un contexte de réchauffement climatique ». C'est ce qu'ils ont cherché à savoir en utilisant les scénarios du GIEC, optimiste et pessimiste, à un horizon proche envisageant (2020-2046) ou plus lointain (2070-2096).

« Les aléas d'aujourd'hui deviendront la norme demain »

« La répétition des sécheresse et des pluvioméries très importantes nous alerte », dit Mathieu Cassez, « les aléas d'aujourd'hui deviendront la norme demain et les systèmes d'exploitations doivent devenir plus souples. Davantage de pluie signifie de l'herbe en plus, mais sera-t-elle récoltable ? La taille des troupeaux augmentant génère des problèmes de piétinement... » On le voit, les enjeux sont importants et mettent en cause des dimensions essentielles de l'élevage : sécurité fourragère et autonomie, quantités produites, rôle des fromageries, places respectives des cultures et de l'herbe... Il y a vraiment de quoi s'interroger quand on constate que la production laitière a crû de 10% en cinq ans dans certains secteurs de la région !

Les agronomes suggèrent d'ailleurs d' « envisager des adaptations » parmi lesquelles figurent « la réduction des effectifs du troupeau dans la mesure du possible » et la « prévision d'un plan d'alimentation complémentaire pour l'hiver » : paille pour nourrir les génisses, aliments de remplacement... Ils notent qu'au-delà des différences de milieu, par exemple la profondeur du sol, des « pratiques d'éleveurs différentes peuvent se révéler favorables ou défavorables à la maîtrise du système fourrager, notamment au printemps ». Ils préconisent par exemple de bien repérer le moment où l'on atteint 200° en température cumulée depuis le début de l'année : c'est celui où repart la végétation, donc le moment d'apporter de l'azote. Ils suggèrent une « gestion rigoureuse du déprimage et du pâturage », une proportion « cohérente » entre laitières et jeunes bovins... A l'inverse, « une complémentation en concentrés avec des teneurs élevées en protéines n'est pas toujours très économique », et des « apports d'azote ou des épandages d'engrais de ferme tardifs sont moins valorisés »...

Prairies multi-espèces avec graminées et légumineuses

Bref, ils encouragent une « réflexion sur la cohérence des systèmes fourragers et les stratégies à adopter ou développer », soulignant que « les pistes relevant de la stratégie à moyen et long termes sont plus durables pour l'exploitation ». Parmi celles-ci, ils proposent d'implanter des prairies multi-espèces avec graminées productives (dactyle, fétuque élevée, fléole) ou apétantes (fétuque des pré, ray grass) et légumineuses (trèfle, luzerne, lotier...). Les essais ont conclu à des rendements meilleurs et plus réguliers sur des prairies nécessitant moins de fertilisants car les légumineuses piègent l'azote. Ils encouragent à implanter de la luzerne, « la légumineuse la plus productive en conditions de déficit hydrique ».

Outre le semis de cultures dérobées (après les moissons) dont certaines peuvent intégrer les obligatoires 5% de surfaces d'intérêt écologique (SIE), les agronomes invitent à penser à planter des betteraves fourragères : « il y en avait dans le Doubs il y a quarante ans, elles peuvent revenir au goût du jour et sont compatibles avec l'AOP », explique Mathieu Cassez. Productive, sûre, captant les nitrates, elle a beaucoup d'avantages et quelques limites : elle n'aime pas le gel et doit être rationnée en raison d'une forte teneur en sucre !

« L'intensification est porteuse d'une image terrifiante »

Pour Charles Schelle, qui préside la Fredon, les pistes des agronomes « rejoignent la problématique campagnols ». Conscient que « l'intensification [de l'agriculture] est porteuse d'une image terrifiante », Claude Vermot-Desroches considère que les réflexions agronomiques vont dans le sens d'une « optimisation des systèmes ». Connaissant bien son monde, le monde paysan, Daniel Prieur, le président de la chambre, voit l'ampleur de la tâche : « pour réussir ce challenge, il faut être relativement professionnel, c'est une condition nécessaire ». 

Une autre condition nécessaire réside sans doute, aussi, dans une tout autre politique agricole ! Le débat d'actualité qu'avait eu la chambre un instant auparavant a montré que la critique de son actuelle orientation libérale est plus partagée que jamais. « Est-ce normal que 5% de la production fasse 100% du prix ? », avait tonné Daniel Prieur en dénonçant « un système économique pervers qui ne crée pas de valeurs mais de la frustration. La régulation n'est pas un gros mot, même si je suis tous les mercredis matins avec des gens qui ne pensent pas comme moi... » Il siège en effet chaque semaine au bureau de la FNSEA...

 

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