Chasse dans le Jura : des consultations publiques qui ne servent à rien ?

La préfecture du Jura proposait aux citoyens d’exprimer leurs observations sur deux projets d’arrêtés relatifs à la chasse d’été d’une part, et aux quotas d’animaux à prélever durant la saison de chasse qui arrive d’autre part. Malgré les 855 commentaires s’opposant à ces textes, les deux arrêtés ont été publiés sans modifications.

chasse

Ce 23 juin se terminait la consultation du public sur un projet d’arrêté relatif à l’ouverture et à la clôture de la nouvelle saison de chasse. Une consultation qui intervient un mois après une procédure semblable qui n’a pas manqué de faire réagir les opposants à la chasse. Et pour cause : malgré leur mobilisation, les deux arrêtés présentés à la consultation ont été adoptés sans tenir compte de leurs remarques.

Ce n’est pas la première fois que la préfecture du Jura invite les citoyens à envoyer leurs commentaires sur un projet d’arrêté, comme l’y oblige le Code de l’environnement sur des sujets tels que la chasse. Mais cette année, elle a certainement été étonnée du nombre d’observations reçues. Derrière cet engouement : le lancement d’une pétition en ligne, emmenée par le collectif Nature Jura, créé pour l’occasion. « Nous n’avons pas pour vocation à nous focaliser sur la chasse, rapporte l’un de ses fondateurs et porte-parole, Jean-Christophe Vié, mais cette thématique a été notre premier combat, car nous estimons qu’elle recouvre trop de passe-droits. »

97 % des répondants contre les arrêtés

Outre les 66 000 soutiens à sa pétition, ce collectif invitait surtout les signataires à participer à la consultation publique. Sur le premier arrêté tout d’abord, qui traitait de la chasse d’été. Dans le Jura comme dans d’autres départements, l’ouverture de la saison de chasse de certains animaux est en effet avancée au 1er juin. Rien de nouveau, argue la préfecture, qui fait remarquer dans sa synthèse post-consultation que « bien qu’ils [les participants à la consultation] l’ignorent, la chasse au 1er juin est possible depuis 1993 ». Mais, malgré un certain mépris de la préfecture à leur égard, une grande majorité des personnes ayant adressé des commentaires cette année se sont prononcées contre cette mesure, avançant plusieurs arguments. En tête : les dommages collatéraux occasionnés sur les renards, également chassés durant cette période, en plus des chevreuils et des daims. L’entrave à la sécurité et à la tranquillité des promeneurs, « à la sortie du confinement, et alors que tout le monde a un besoin de nature », apparaît aussi dans plusieurs des remarques reçues. Les opposants dénoncent aussi les menaces de cette chasse sur le lynx, dans la mesure où l’on s’attaque à ses proies, qui plus est sur son territoire. D’autres messages reçus par la préfecture concernaient le deuxième arrêté, portant sur les quotas minimal et maximal d’espèces à « prélever » au cours de la prochaine saison de chasse. Des quotas que la majorité des répondants ont jugé trop élevés. « Les chasseurs rapportent qu’il y a de moins en moins de chevreuils, mais les quotas continuent à augmenter, note le collectif, c’est paradoxal. »

Des arguments rejetés par la préfecture

Mais à la publication de ces arrêtés, aucune des remarques des participants à la consultation ne semble avoir été prise en compte. Dans sa synthèse, la direction départementale des territoires, en charge de ces questions, tente de justifier ses arrêtés en contrant les arguments des contestataires de façon plus ou moins argumentée. Ainsi, selon elle, les quotas de chevreuils tiennent compte de la « baisse des populations », même si le maximal est en hausse ; « les craintes concernant la baisse de la ressource alimentaire pour les lynx peuvent être écartées », avance-t-elle aussi, en assurant que les plans de chasse du chevreuil restent stables et que les taux de prélèvement demeurent faibles. Quant aux conséquences sur les renards, elle ne se déclare pas compétente pour se prononcer sur cette autorisation inscrite dans la loi.

Concernant la chasse d’été, à laquelle beaucoup de répondants s’opposaient, la préfecture balaie d’une phrase leur avis : « La consultation proposée ne concernait que les modalités de chasse, sans remettre en cause les dates d’ouverture. » « Mais nous ignorons à quoi ils font référence en parlant des modalités », s’agace Florence Lethier, autre porte-parole de Nature Jura. S’il s’agit des horaires, les arguments de tranquillité des participants à la consultation n’ont pas plus été pris en compte que les autres : « [cette chasse] se pratique tôt le matin ou tard le soir, et n’est pas de nature à perturber le tourisme en nature », tranche la synthèse. Une justification qui ne satisfait pas les opposants, d’autant plus dans un contexte « d’étés caniculaires » qui s’enchaînent, et au cours desquels les promeneurs privilégient les balades aux heures fraîches.

« Comme si ce mécanisme n’était qu’une formalité »

 Face à cette réponse que Florence Lethier qualifie de « laconique et peu respectueuse », les associations qui ont pris part à la consultation expriment leur déception. D’abord sur la forme : « Au lancement de la consultation, il n’y avait même pas de lien pour expliquer comment y participer, regrette Jean-Christophe Vié. L’adresse mail que l’on m’a ensuite communiquée était erronée, et les avis des organismes qui servent de base à ces arrêtés n’étaient pas accessibles », énumère-t-il. La préfecture reproche aussi aux répondants de ne pas avoir clairement identifié l’arrêté sur lequel portaient leur remarque. Il n’aurait ainsi « pas été possible » de séparer les messages reçus en fonction de leur objet. « La majorité des contributions pouvaient être identifiées, relève à l’inverse Florence Lethier, qui a trié les griefs, la réponse de la préfecture montre qu’elle n’a pas mené une lecture attentive des messages ». « Depuis des années, les commentaires adressés dans le cadre de ces procédures sont ignorés, comme si ce mécanisme n’était qu’une formalité », ajoute Jean-Christophe Vié. « Comme si chaque année, la préfecture faisait un copié-collé de son arrêté », renchérit Delphine Durin, membre de Jura Nature Environnement et du Pôle Grands Prédateurs.

La Fédération de chasse défend le dialogue

Pourtant, la Fédération départementale des chasseurs du Jura assure avoir « toujours privilégié le dialogue ». « Il y a un travail technique préparatoire avant toute prise d’arrêtés », informe son président Christian Lagalice. « Echanges, consultations, réunions, se succèdent donc toute l’année, poursuit-il, et ce sont les Commissions départementales pour la chasse et la faune sauvage (CDCFS), rassemblant chasseurs, forestiers, agriculteurs, Office français de la biodiversité, associations environnementalistes, etc., sous l’autorité de l’État, qui donne un avis final avant signature préfectorale pour validation. » Une commission au sein de laquelle Jura Nature Environnement, l’une des associations agréées pour la protection de la nature et de l’environnement, ne se sent pas écoutée, nous fait savoir Delphine Durin. « Nous envisageons parfois la stratégie de la chaise vide, tant nos arguments sont peu entendus ».

« Comment prétendre dialoguer et vouloir interdire en même temps ?, estime de son côté Christian Lagalice. [Le compromis] ne peut remettre en cause un droit fondamental comme nos détracteurs le souhaitent », affirme-t-il, rappelant que le Jura compte 8 000 chasseurs. « Doivent-ils se manifester pour utiliser un droit garanti par la loi ? » demande-t-il encore. « La plupart des messages ne se réduisaient pas à une opposition à la chasse », tempère Florence Lethier. Et Delphine Durin s’interroge : « Il faut trouver des espaces pour vraiment s’exprimer sur le fond : l’activité de chasse en elle-même et ses pratiques excessives. Or, où le faire si ce n’est lors d’une consultation publique ou dans une pétition ? ». « On ne nous donne aucun argument à l’ouverture de la chasse d’été, ajoute de son côté Jean-Christophe Vié ; elle est ouverte par principe, parce qu’elle existe depuis 1993. Pourquoi ne pas s’y opposer aussi par principe ? » provoque-t-il. Quant à la réponse de la préfecture avançant que les citoyens n’étaient pas invités à se prononcer sur cette mesure, le fondateur du collectif a une solution : « Le préfet peut aussi ne pas prendre l’arrêté ».

Pour le collectif Nature Jura, c’est un véritable « lobby » de la chasse qui s’exerce dans le département. « C’est une idée ancrée chez les opposants à la chasse que nous faisons du lobbying auprès des élus locaux, répond Christian Lagalice, mais le président, le directeur et d’autres administrateurs de notre fédération sont eux-mêmes élus locaux et ne font pas de lobbying auprès d’eux-mêmes ». La préfecture n’avait pas souhaité répondre à nos interrogations, en raison de la réserve imposée par la période électorale. Mais pour les associations environnementales dénonçant les « excès » de la chasse, il semble temps d’« écouter le mécontentement croissant vis-à-vis de ces pratiques ». Il apparaît légitime de s’interroger sur l’intérêt d’une consultation publique si les avis de plus de 90 % des participants sont négligés.

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