Chaprais : le cadre de vie, combat quotidien

Depuis 1998 à Besançon, l'association Vivre aux Chaprais cherche à impliquer les habitants pour peser sur les projets d'urbanisme. Entretien avec Jean-Claude Goudot, président depuis 16 ans et pour encore trois semaines.

Jean-Claude Goudot, Vivre aux Chaprais

Il est loin le temps où les maraîchages des Chaprais fournissaient les légumes de Besançon. Au-delà du Doubs, entre les deux gares ferroviaires de la Viotte et de la Mouillère, le quartier fleure bon la bourgeoisie triomphante du XIXè siècle et ses belles villas de pierre, peu à peu enserrées dans les immeubles collectifs. En lisière de centre-ville, parsemé d'entreprises, d'artisans, de commerces, les Chaprais attirent toujours les investisseurs, les promoteurs immobiliers. 

C'est d'ailleurs un projet de construction, entre les rues de Belfort et de la Rotonde, qui est à l'origine de la création de l'association Vivre aux Chaprais, en octobre 1998. Riverain de l'immeuble alors en projet, Jean-Claude Goudot en est le premier président. Un poste qu'il quittera le 20 novembre prochain, lors de l'assemblée générale. « On contestait la hauteur de l'immeuble. A l'époque, le plan d'occupation des sols autorisait cinq à six étages... L'actuel plan local d'urbanisme les limite à trois. Ils ont fini par en faire trois plus un attique... »  

Jean-Claude Goudot se souvient de tous les détails, du refus du maire d'alors, Robert Schwint, d'accorder le premier permis de construire, du promotteur qui avait saisi le Tribunal administratif pour obliger la ville à argumenter... Un utile débat sur le niveau de densification urbaine s'en était suivi. Un débat sur le cadre de vie, l'environnement immédiat, les conséquences énergétiques de l'étalement urbain, l'appétit des promoteurs... Un débat actuel, politique au sens noble du mot.

Devenu maire, Jean-Louis Fousseret a défendu une certaine densification urbaine...

Le maire a décrété qu’il n’y aurait plus, à Besançon, d’immeubles de grande hauteur. Nous avions souligné, lors de l’enquête publique du PLU qu’une densification horizontale allait remplacer une densification verticale. Par exemple, en face du lycée Saint-Joseph, De Giorgi a acheté un terrain au conseil général qui a obligé la construction d'une maison de retraite de 60 lits. L'ensemble propose en plus une centaine de logements et la ville a voulu garder un accès au petit parc Saint-Vincent à proximité de la Cassotte. Le tout, sur quatre étages plus attique, donne l'impression que c'est haut. On a eu deux réunions de concertation avec De Giorgi et les conseils syndicaux de copropriétés de la rue Chopard et de Saint-Vincent. Ils ont demandé de reculer la construction de 4 mètres par rapport à la rue, mais il n'y avait plus assez de place pour le nombre de parkings réglementaire. En intégrant la maison de retraite, on a recalculé moins de places de parking et un bâtiment a pu être reculé de 2 m. On peut se demander si, dans ce cas, une densification verticale intelligente, soucieuse des immeubles voisins n’aurait pas été préférable à une densification horizontale....

Cet article a été amendé le 2 novembre 2014. Jean-Claude Goudot a souhaité apporter deux précisions à cet entretien : la réponse à la première question a été complétée ; la dernière phrase de la réponse à la dernière question a été modifiée en raison d'une erreur factuelle.

Sur quels autres projets d'urbanisme êtes-vous intervenus ?

Sur le projet Seger au carrefour de l'avenue Fontaine-Argent et de la rue Beauregard[ancien garage Opel, nous sommes intervenus au stade de la conception car nous étions en demande de locaux pour des professionnels de santé.

Que peuvent les associations comme la votre ? Quelles sont les limites de leur action ?

Aller devant le Tribunal administratif n'est valable que s'il y a erreur de procédure. Faire juger sur le fond est beaucoup plus difficile car il y a souvent appel, voire cassation. Donc, nous avons privilégié la médiation et la négociation en impliquant les gens concernés par les projets. C'est ce qu'il faut faire en premier. On a de bons rapports avec De Giorgi, Seger et un troisième, mais pas avec la SMCI.

Pourquoi ?

Fabrice Jeannot avait reçu une délégation à propos du projet Via Rotonda et dit en gros : vous allez voir ce que vous allez voir ! Il a ensuite refusé tout contact et nous a attaqués au tribunal de grande instance pour perte d'image, nous réclamant 300.000 euros. On avait symbolisé la hauteur du projet avec des ballons, pendu du linge « à l'italienne » pour montrer l'étroitesse des espaces entre les fenêtres ! On était venu casser un pot de terre pour montrer que s'attaquer à un promoteur était s'attaquer au pot de fer : c'est là qu'il nous avait attaqué en justice... Il a perdu avec 24 attendus... Il a fait appel, a reperdu... On n'a pas crié victoire car l'immeuble existait et on a dépensé plus en frais de justice que ce qu'on a eu...

Est-ce un échec quand un litige va en justice ?

C'est la ville qu'on attaque au Tribunal administratif pour les permis de construire. Quand un permis est à l'instruction, on n'a pas accès au dossier. Quand il est accordé, on a deux mois pour faire des remarques, contester ou former un recours gracieux. On aimerait pouvoir intervenir au moment de l'instruction.

Vous n'en avez pas le droit ?

Non. Les associations sont considérées comme des empêcheurs de construire en rond. Pour faire un recours, il faut que l'association existe avant le dépôt de la demande de permis de construire, or, bien souvent, les gens réagissent quand ils voient des actions sur le terrain...

Quand le chantier commence, il est trop tard ?

L'intelligence collective du bureau de l'association a été, lorsque nous nous sommes constitués, de faire de notre objectif de ne pas régler les problèmes particuliers, mais de nous occuper des Chaprais. Nous ne savions pas que nous héritions d'une longue tradition du quartier. Dès le XIXè siècle, il y eut le Cercle des Chaprais qui réunissait des notables déplorant que les rues ne soient pas baptisées ! Ils critiquaient aussi les « palais construits par la République » : les écoles ! Puis en 1887, il y a eu le syndicat de l'amicale des Chaprais qui disait : « on paie des impôts comme au centre-ville sauf qu'on n'a ni trottoir ni tout à l'égoût » ! Une femme avec un très jeune enfant s'était fait frôler par une voiture parce qu'il n'y avait pas de trottoir...

N'est-ce pas la tradition associative bisontine ?

Non... Il y a seulement une association aux Vaîtes. Il y a plutôt une tradition bisontine des comités de quartier qui interviennent sur les loisirs, de temps en temps sur l'urbanisme...

Comment s'y prend-on pour mobiliser les habitants ?

En parlant des projets. Ça a commencé par des papillons manuscrits dans les boîtes aux lettres dans le style « halte au béton », puis une réunion, puis la création de l'association. Le lendemain, nous écrivions à Robert Schwint que nous allions nous occuper de tous les problèmes du quartier !

Avec combien d'adhérents ?

182 sont à jour de cotisation...

Vous avez sans doute davantage de sympathisants...

On a eu 1.325 visiteurs uniques de 9.100 pages pour le nouveau site internet. Le premier a eu 182.755 consultations en cinq ans. Le blog est plus récent : en deux ans et demi, il a eu 59.646 visites, 90.847 pages vues pour 693 billets...

Le site de votre association, très riche et documenté, est-il un outil de revitalisation ?

Oui et non... Les consultants ne sont pas forcément les adhérents. On fait des adhésions avec notre journal papier Vivre aux Chaprais qui est distribué quatre fois par an à 6.500 exemplaires. Il est connu et reconnu... Les réflexions générales sont dans le genre : « c'est bien, vous faites connaître les problèmes du quartier ». Du parc Micaud à la Cité parc des Chaprais, le quartier est limité par les voies ferrées et va même un peu au-delà, comme rue Nicolas-Bruand... C'est un quartier sans unité, à la différence de Saint-Ferjeux. Deux étudiantes de l'IRTS avaient fait une étude comparatives. Lorsqu'elles demandait d'où ils étaient, les habitants de Saint-Ferjeux répondaient « Saint-Ferjeux ». Ceux des Chaprais donnaient le nom de leur rue... Les Chaprais ont aussi deux églises : Saint-Martin qui s'est d'abord appelée Saint-Martin de Bregille, et le Sacré Choeur qui a été consruit après la guerre de 14-18. Elles appartiennent à deux unités pastorales différentes...

N'est-ce pas plus bourgeois vers le Sacré Choeur, plus proche de la Mouillère, de la rue de Vittel ou de l'Helvétie ?

Quand on essaie de comprendre le quartier, on sent qu'il est très divers, très varié. Les revenus élevés sont vers la Mouillère. C'est aussi un quartier avec beaucoup de personnes âgées, surtout des femmes. C'est un quartier vieillissant, c'est pour ça qu'on aimerait qu'on se penche sur le renouvellement des habitants plutôt que sur la construction. Souvent des maisons sont vendues à des promoteurs pour être démolies. Il y a deux conceptions de l'urbanisme. Une telle que le permet le PLU qui vise une rentabilité maximale, et une qui inscrit dans la ville des nouveaux types d'habitants. On comprend qu'un promoteur ne veuille pas perdre d'argent, pas qu'il fasse la bascule ! C'est pour ça qu'on est d'accord avec un petit programme de neuf logements au lieu de vingt rue de la Rotonde, près du Chateau Rose. On n'est pas d'accord avec le PLU qui dit quatre étages + attique sur les grands axes. Mais il vaut mieux densifier en ville que sur les terres arables...

L'immeuble Promogim rue de Belfort-passage Rambaud paraît très dense, mastoc...

C'est à cause du bonus apporté par le coefficient d'occupation des sols ! Grâce au toit végétalisé, l'emprise au sol peut être plus importante. Résultat, des balcons dépassent sur le passage Rambaud... J'ai accompagné la présidente du conseil syndical à la mairie où on a pu régler plusieurs problèmes. Les locaux poubelles n'étaient pas conformes. Il y avait une profonde sortie du garage, comme faite exprès pour les dealers : ça a mené Pomogim à rajouter une grille. Cet immeuble, c'est du Scelllier qui tire les prix vers le haut pour des prestations médiocres. Il n'y a que trois propriétaires habitant sur place pour plus de vingt logements.

Vivre aux Chaprais n'intervient pas que sur l'urbanisme ?

Aujourd'hui, on intervient sur les problèmes de voirie. On est intervenu sur le chantier du tram : on n'a pas pris position, mais on a suivi le chantier, on a fait plus de dix visites avec le médiateur des travaux, surtout pour la sécurité des piétons. On a obtenu, parfois difficilement, des améliorations. Il a parfois fallu intervenir auprès du cabinet du maire, par exemple pour obtenir qu'un chef de chantier déplace deux palettes de pavés et un petit engin de chantier qui bloquaient la circulation !

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !