Ces canards carnivores qui raffolent des moules zébrées…

Les fuligules morillon ont pris leurs habitudes dans les plans d'eau de Franche-Comté où la pollution a favorisé la présence du petit coquillage... Les 80 comptages d'oiseaux et 15 sorties publiques, organisés ce week-end dans la région par la LPO, participent de la connaissance des enjeux pour l'aménagement ou l'agriculture.

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La Ligue de Protection des Oiseaux organise ce week-end un grand comptage d'oiseaux d'eau et fait appel aux bénévoles pour y participer (programme ici). Combien serez-vous ?

Il y a 80 sites de comptage dont douze ouverts au public, avec des sorties organisées. Il y aura une seule personne sur la plupart des sites, mais jusqu'à une vingtaine sur les sites avec sortie. On attend entre 150 et 200 personnes. On fait des comptages réguliers sur six mois dont l'hiver, celui de janvier est officiel.

La Franche-Comté a-t-elle des particulaités ?

Il y a les oiseaux qui nichent, comme les grèbes, ou les harles bièvre où vit une grande partie de la population française à Besançon. Beaucoup d'espèces, absentes en nidification, fréquentent la Franche-Comté en hiver. Par exemple, en grands nombres, le fuligule morillon et le fuligule miloin. Ce sont des canards, plus petits que les colverts, plongeurs carnivores plutôt qu'herbivores.

Que mangent ces fuligules ?

Des moules zébrées ! Elles se sont développées avec l'eutrophisation, l'accroissement de l'oxygène dans l'eau. Les fuligules viennent sur les plans d'eau de Franche-Comté. A Besançon, une quinzaine de fuligules morillons, noirs et blancs, sont vers le pont de Velotte. Les fuligules morillons et les fuligules miloin forment des groupes mixtes sur les lacs de barrages de Blye ou de Coizelay, sur l'Ain. Très peu nichent, mais beaucoup viennent tous les ans en hiver, ils sont environ dix fois plus nombreux... Ils arrivent du nord et de l'est de l'Europe.

Le retour du milan royal, la bromadiolone, le campagnol et les haies
Compté lors du week-end des 10/11 janvier, le milan royal est, comme une observation empirique permettait de le supposer, en augmentation. « On l'a noté cette année », confirme Guillaume Petitjean en invoquant le plan national de conservation. 
Ayant cherché à comprendre les raisons pour lesquelles il avait presque disparu, à tout le moins n'hivernait plus en Franche-Comté, la LPO met catégoriquement en cause la bromadiolone, le raticide anti-coalgulant utilisé pour la lutte contre les campagnols qui ravagent les paturages du Haut-Doubs. « Le milan mangeait le campagnol mort ou affaibli et s'empoisonnait alors que c'est un régulateur de la population de campagnols ! Il y a eu de très gros traitements dans les années 1990-2000. La montée au créneau des associations de protection de l'environnement a conduit à limiter l'usage de la bromadiolone ».
Cela suffit-il à expliquer le retour du bel oiseau ?
« On constate son retour, mais les raisons de l'accroissement des effectifs sont toujours multiples. Si on pouvait interdire la bromadiolone et faire du piégeage mécanique, ce serait mieux ! On sait aussi que plus il y a de linéaires de haies ou de cultures entre les pâturages et les prairies, plus le campagnol aura du mal à se disséminer. C'est pour ça qu'il pullule surtout de Maîche à Nozeroy. Par contre, dans le Haut-Jura ou la Petite Montagne, les pullulations n'ont pas le même impact. Maintenir et replanter des haies est la solution anti-pullulation. Les racines ralentissent le campagnol et dans les haies nichent ses prédateurs généralistes : martre, fouine, et surtout renard, buse et faucon crécerelle... »

Ils tentent d'échapper aux glaces ?

Ce n'est pas forcément le gel qui les fait venir, mais un mouvement prévisible. Il n'y a pas eu de gel de plan d'eau en Europe de l'est. Ils arrivent à la même date. C'est dû à une habitude dictée par la photo-période, la diminution de la durée du jour, plutôt qu'à un phénomène climatique. On voit deux vagues lors des comptages : une première quel que soit le temps, puis une seconde après de grands froids ayant gelé les plans d'eau. Quand les plans d'eau du Haut-Doubs gèlent, ils repartent vers les vallées de l'Ain ou du Doubs...

Pourquoi le harle bièvre s'est-il installé à Besançon ?

La première nidification date de 1992, à Rancenay, près de Besançon. C'est une population qui vient du Léman, qu'on a pu suivre et documenter. Le harle bièvre est piscivore, comme le cormoran. Il mange surtout du poisson blanc, comme le chevesne qui se développe du fait de l'eutrophisation : la biomasse a augmenté avec la pollution. C'est raccourci un peu provocateur, mais si le harle bièvre est là, c'est parce qu'il y a eu la pollution ! Il n'y a évidemment pas que ça. S'il est en Franche-Comté et dans la vallée du Doubs, c'est parce qu'il niche en falaise ou un trou d'arbre mort...

Que s'est-il passé au Léman ?

Ils étaient de plus en plus présents et sont allés chercher des sites à proximité : vallées de l'Ain et du Doubs. Et ils ont fait venir d'autres harles bièvres en provenance du nord. L'effectif a dépassé les 200 en 2008, on en a compté 722 en 2013...

Fait-on la même observation en Suisse ?

Oui, mais il y a eu une stabilisation. Traditionnellement, les mâles perdaient leurs plumes à voler lors de retrouvailles près du cercle polaire. Là, ils ont moins besoin d'aller loin en été, dépensent moins d'énergie à migrer et davantage à se reproduire, ce qui augmente les populations.

Qu'ont donné les précédents comptages de fuligules ?

C'est autour d'un millier de fuligules morillons : 700 en 2013 ; 1000 en 2001 ; 2000 en 1996... 72% sont sur l'Ain...

Et les autres oiseaux ?

On voit toute l'année les colverts et les foulques macroules. En hiver des foulques arrivent, ils sont alors près de 3000, les colverts 6000. On compte une centaine de goélands, environ 500 mouettes...

Que nous dit l'évolution des populations d'oiseaux ?

Cela nous permet de mettre l'accent sur les espèces en liste rouge, de suivre les populations, de proposer des mesures de gestion. La surveillance du fuligule miloin, qui a diminué en 2013, nous fait discuter avec les aménageurs, comme EDF qui gère les ouvrages hydro-électriques pour que les milieux restent favorables.

Il s'agit d'éviter les lâchers d'eau qui noieraient les nids ?

Le barrage de Vouglans est peu favorable aux oiseaux, le lac fonctionne à l'envers : peu d'eau en hiver, beaucoup en été. Le lac de Coizelay est plus petit : on agit sur la hauteur de marnage pour que les rives restent favorables à la nidification.

Que faut-il faire ?

Il faut des conditions de nourriture, de la végétation. Le lac de Vouglans n'a par exemple pas de végétation sur les bords. C'est pour ça qu'il est peu favorable aux oiseaux. Celui de Coizelay a des marais, des roselières... On conseille les partenaires, on leur donne notre expertise. On travaille avec les sites Natura 2000 qui mettent en place des plans de gestion, comme en Bresse. On travaille avec les carriers en préconisant des aménagements favorables aux animaux. On cible les espèces les plus menacées, celles de la liste rouge, comme le fuligule morillon dont on essaie de favoriser la nidification : il faut être attentif à son accueil hivernal.

Certains oiseaux sont chassé...

Oui, mais pas le foulque. En Camargue, il y a eu du tir au pigeon sur des foulques ! La LPO travaille avec l'ONCFSOffice national de la chasse et de la faune sauvage qui utilise nos données que l'état reconnaît comme scientifiquement valables. Les compteurs de la LPO savent reconnaître les oiseaux.

Comment sont-ils formés ?

Cela démarre par les sorties comme celles que nous organisons ce week-end. Sur chaque site, un responsable bénévole apprend comment on reconnaît une espèce. Après, il y a de la formation continue. Les observateurs de la LPO notent leurs observations sur des bases de données en ligne que nous contrôlons.

Quels sont les oiseaux chassés ?

Le harle bièvre, le goéland, le cygne sont protégés... La plupart des canards, les oies sont chassés. On espère que les pouvoirs publics vont mettre le hola sur la chasse aux espèces en diminution. En Franche-Comté, il y a peu de chasse aux oiseaux d'eau, il n'y a pas de problème de chasse...

Même avec la bécassine ?

J'allais y venir. La Franche-Comté a la seule population nicheuse de France où elle est au bord de l'extinction. Quand la chasse à la bécassine s'ouvre, en automne, personne ne peut dire si celle qui est tuée est nicheuse ou hivernante, si elle vient de Russie ou si elle est du Haut-Doubs. Si elle est du Haut-Doubs, elle ne se reproduira pas, il y reste une vingtaine de couples. C'est la même chose pour le vanneau, une centaine de couples dans la région dont une dizaine dans le Jura. Et on le tire en hiver...

Ce serait si compliqué de suspendre la chasse à la bécassine et au vanneau quelques années ?

C'est une question politique. La LPO travaille en lobbying... On siège dans les commissions départementales de chasse. On a dû se battre sur la non reprise de la chasse à la gelinotte qui est en grande régression...

Vous comptez aussi les cormorans qui ne sont pas très appréciés...

Oui, on va sur les dortoirs...

Comme les arbres de l'île Saint-Pierre à Besançon ?

Oui... La présence du cormoran est sensible dans les secteurs d'étangs avec des pêcheurs professionnels, comme la Dombes. Mais les secteurs de pêche de loisir, il n'est pas responsable de la disparition du poisson !

Est-il migrateur ou nicheur ?

Il est surtout là en hiver. Depuis deux ou trois ans, il se reproduit sur un étang de Bresse.

 

 

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