Center parcs : une analyse juridique flingue le projet

La note confidentielle d'un cabinet d'avocats mandaté par la région pour évaluer les risques juridiques et financiers d'une société d'économie mixte portant les bulles aquatiques des projets de Poligny et du Rousset, pointe l'absence d'intérêt général pour une collectivité publique à s'engager dans une telle aventure. Cela ne décourage pas le vice-président au tourisme, Patrick Ayache.

La forêt de Poligny (photo d'archives DB)

Le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté témoignerait d'une opiniâtreté certaine, voire d'une certaine témérité juridique, en confirmant son soutien aux deux projets de Center parcs dans les forêts de Poligny et du Rousset, plus particulièrement en participant financièrement à une société de portage de la bulle couvrant les commerces et la piscine à vagues où il fait toujours 29 degrés, appelé aquamundo.

C'est ce qu'il ressort d'une note confidentielle de 42 pages analysant le risque du montage juridico-financier que lui a adressée le 2 septembre 2016 le cabinet spécialisé d'avocats Latournerie-Wolfrom que Factuel a pu consulter.

Le premier risque consisterait à oublier que les protocoles signés en 2014 entre les collectivités d'alorsrégion Bourgogne et département de Saône-et-Loire, région Franche-Comté et département du Jura et le groupe Pierre-et-Vacances sont aujourd'hui « caducs ». Ils comportent des échéances dont le non respect, « malgré le manque de clarté des stipulations » souligné par le cabinet, était une condition suspensive. Or, selon ce cabinet, quatre échéances n'ont « pas été tenues » pour le projet du Rousset : la signature en octobre 2014 de la promesse de vente de la forêt des Harcholins à Pierre et Vacances, une délibération définitive de la commune pour la cession d'une emprise foncière au 31 décembre 2014, l'approbation du PLU en février 2015, les autorisations de travaux au 31 décembre 2015.

« Le silence de Pierre-et-Vacances »

Conséquence : « le protocole ne dispose plus d'aucun caractère exécutoire et n'engage plus les parties ». Pointant « le silence de Pierre-et-Vacances », les avocats estiment « nécessaire de réévaluer la volonté des parties de maintenir le projet », et si elle est confirmée, de « rédiger un avenant » ou « d'élaborer un nouveau protocole ».

Ayant comparé les différents statuts d'entreprise publique, le cabinet conseille à la région d'opter pour une SEM (société d'économie mixte locale) plutôt que pour une SPL (société publique locale), une SEMOP (société d'économie mixte locale à opération unique), un GIE (groupement d'interêt économique) ou encore une prise de participation au capital des filiales commerciales du groupe. La SEM serait plus « pertinente [car] elle permettrait d'associer la région, les départements et les opérateurs privés et investisseurs (notamment la Caisse des Dépôts) autour d'un objet social permettant le portage d'équipements touristiques ».

La SEM présente cependant un « inconvénient » de taille : « l'absence de caractérisation d'un intérêt général » du projet. Or, une SEM doit par définition avoir une activité d'intérêt général. Ce que ne cessent de répéter les opposants qui, comme le cabinet d'avocats, ont lu l'article L 1521-1 du code général des collectivités territoriales...

Le conseil des avocats :
bétonner l'argumentation !

Cependant, ajoute le cabinet, « plusieurs éléments pourraient tendre à démontrer et caractériser l'intérêt public du portage d'équipements touristiques ». Il conseille donc de bétonner l'argumentation visant à démontrer cet intérêt général, faute de quoi des malveillants pourraient obtenir que le juge administratif déclare « illégale la constitution d'une [telle] SEM ».

On souhaite bon courage aux rhétoriciens ! S'appuyer sur la « carence d'équipements touristiques pour justifier l'intérêt général » paraît fragile. Certains élus l'évoquent pour le projet du Rousset, mais l'avancer à propos du Jura est une vaste plaisanterie. Le cabinet d'avocats douche encore plus les enthousiasmes aménageurs en présentant deux jurisprudences qui devraient leur faire abandonner tout espoir.

Le première souligne que « la création d'une SEM pour mettre à disposition d'entreprises privées divers avantages et facilités n'ayant qu'un caractère commercial et un but lucratif [exclut] toute activité d'intérêt général », a estimé en 2004 la Cour administrative d'appel de Paris. La commune d'Ozoir-la-Ferrière avait cru bon de créer une SEM pour faire parler d'elle parce qu'elle accueillait l'équipe de foot du Brésil lors de la coupe du monde de 1998... Certes, les projets sont très éloignés, mais la philosophie commune est apportée par la note d'analyse : « une structure de portage n'ayant aucune autre vocation que la réalisation de profits à travers une activité commerciale est exclusive de tout intérêt général »

Des jurisprudences qui renforcent les opposants

La seconde décision, un arrêt du Conseil d'Etat de 1994, précise qu'une SEM, créée par la commune mosellane d'Amnéville, « ayant pour objet la reproduction de fleurs, plants et dérivés, ainsi que leur distribution, et ce pour participer à la reconversion du bassin sidérurgique lorrain, n'a pas été jugé comme constituant une activité d'intérêt général ». De quoi refroidir l'allant de ceux qui voudraient invoquer la reconversion économique de la région de Montceau-les-Mines-Le Creusot...

Poétiquement traduit par le cabinet Latournerie-Wolfrom, cela donne : « l'analyse [de ces jurisprudences] démontre que le contour de la notion d'intérêt général n'est pas clairement défini, de telle sorte qu'il est difficile d'obtenir une certitude juridique sur sa caractérisation ».

Les rédacteurs vont même plus loin en estimant que « la constitution de cette SEM vise uniquement à réunir des acteurs publics et privés afin de porter les équipements touristiques mais ne semble pas disposer d'un intérêt général particulier : il n'est pas démontré qu'il y ait une carence de l'initiative privée en ce qui concerne l'offre d'équipement touristique ; il semble que le projet puisse être considéré comme la mise à disposition d'une entreprise privée d'un équipement dans la mesure où la SEM se contente d'acheter et de louer le Center Parc à la filiale de la holding ».

« Démontrer l'intérêt économique, touristique, environnemental ou social... »

Les juristes ont ceci d'admirable qu'ils ne renoncent jamais et finissent par trouver que, néanmoins, le projet peut s'inscrire dans un intérêt général s'il s'insère dans « une logique de développement durable et de respect de l'environnement » et qu'il présente des « retombées économiques et financières liées à l'activité de la SEM pour les collectivités territoriales ». C'est maigre, mais ça permet l'apparence d'une analyse équilibrée. Ceci étant, le conseil donné à la région vaut sans doute le coût des études : « dans le cadre d'un éventuel contentieux, tout élément tendant à démontrer l'intérêt économique, touristique, environnemental ou social de la création de ces équipements touristiques devra être mentionné dans l'argumentation ». On n'est jamais trop prudent.

Les conseillers régionaux n'en ont pas pour autant fini avec les risques juridiques et économiques du projet. Les avocats estiment insuffisante la pénalité de 8 ans de loyer en cas de non renouvellement par Pierre et Vacances du bail commercial de 12 ans de la bulle, comme prévu dans le protocole de 2014. Ils suggèrent un bail ferme de 20 ans, ou une promesse de renouvellement de 8 ans à l'issue des 12 premières années, avec des indemnités réévaluées et des garanties rehaussées.

Le cabinet Latournerie-Wolfrom écarte enfin le risque de voir l'Union européenne reprocher à la région une aide d'Etat parce que les prix envisagés sont « conformes au marché » et qu' « aucun avantage n'est conféré à Pierre et Vacances ».

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !