Cécile Claveirole : « L’agroécologie, c’est ce que demande la société »

Auteure d'un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental national sur les « défis et enjeux de la transition agroécologique », l'ex Jurassienne Cécile Claveirole qui siège pour France Nature Environnement, explique à Factuel pourquoi et comment réorienter toutes les politiques publiques agricoles. C'est loin d'être gagné au vu des freins opposés par la FNSEA dont la plupart des représentants se sont abstenus.

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Rapporteure de l'avis du CESE sur les défis et enjeux de la transition agroécologique adopté en novembre 2016, Cécile Claveirole en fait désormais la promotion. Représentante de France Nature Environnement au sein de cette assemblée censée représenter les forces vives de la société civile organisée, Mme Claveirole est ingénieure agricole. Elle a notamment dirigé le comité interprofessionnel des vins du Jura.

Voté à une très large majorité du CESE, l'avis est aussi destiné à tenter de donner un second souffle à la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014. Initié par Stéphane Le Foll, le texte créait les GIEE (groupements d'intérêt économique et environnemental) et introduisait dans le Code rural la notion d'agroécologie. Mais à entendre Cécile Claveirole, l'idée vient d'elle : « j'avais entendu plusieurs fois le ministre dire que ça n'avançait pas assez vite, je lui ai suggéré une saisine... »

« Réponse pertinente aux crises du secteur agro-alimentaire »

Celle-ci émane en mai 2016 de Manuel Valls, alors Premier ministre. Il expose d'emblée les enjeux : « développer des systèmes de production agro-écologiques (...) en réduisant leur consommation d'énergie, d'eau, d'engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires ». Constatant « les bénéfices environnementaux et économiques de ce choix à l'échelle des exploitations », il souligne qu'il « reste nécessaire de confirmer que le projet agro-écologique constitue une réponse pertinente aux crises que traverse actuellement le secteur agro-alimentaire, par l'amélioration de sa rentabilité ». Et demande donc au CESE de dire quelles sont les conditions de la mise en œuvre de l'agro-écologie.

Il ne sera pas déçu. Le CESE préconise tout simplement de réorienter les politiques publiques en impliquant tout le monde : agriculteurs, chercheurs, coopératives, salariés, producteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs, banques, administrations... La tâche est en effet ardue et pas moins de « huit défis » sont identifiés : alimentation, santé, économique, social, sociétal, environnemental, territorial, technique...

Il s'agit en fait de proposer une rupture avec la tendance observée depuis 1945 : la surface moyenne des exploitations est passée de 15 à 55 hectares alors que la surface agricole utile du pays est passée en 50 ans de près de 40 millions d'hectares à moins de 30 millions tandis que la population agricole était divisée par sept, passant de 30% à 3% de la population active...

« Restaurer les fonctionnalités naturelles agronomiques des écosystèmes cultivés »

Cette rupture vise ainsi, notamment, à « restaurer les fonctionnalités naturelles agronomiques des écosystèmes cultivés » ou « lutter contre l'érosion des sols ». Il s'agit par exemple de réparer les dégâts : « l'utilisation d'intrants chimiques et d'antibiotiques dans les élevages, le remembrement souvent excessif, ont entraîné l'arasement des haies, talus et bosquets, dont on constate les effets négatifs a postériori. Ces pratiques perturbent les capacités de régulation du cycle de l'eau et du système climatique... »

Le CESE ne mésestime pas les « freins à l'essor de l'agro-écologie », à commencer par celui des consommateurs qui « se tournent vers une nourriture bon marché accessible toute l'année sans restriction de provenance ». Il y en a aussi pour ceux des « acteurs du secteur » qui bénéficient de l'organisation du système : « fabricants d'intrants, banques, industries de la recherche et développement dans la génétique, industrie agro-alimentaire et distribution (qui) n'ont pas vraiment intérêt à le faire évoluer ».

Sous la plume de Cécile Claveirole, le CESE formule sept recommandations. La première vise à « préciser la définition de l'agro-écologie » figurant dans la loi afin de mieux « mesurer son développement » en « tenant compte de l'importance des sols ». La sensibilisation de la société au mieux manger est mentionnée, mais aussi la « réorientation de la recherche » dont l'indépendance est jugée nécessaire « face aux risques structurels d'une concentration croissante des multinationales de l'agrochimie ». Il s'agit aussi d'appuyer le plan Semences et plants pour une agriculture durable engagé dès 2011 par le ministère de l'Agriculture.

« Finaliser la réforme des référentiels dans
le programme Apprendre à produire autrement »

Outre la recherche, les dispositifs de formation doivent selon le CESE être « adaptés à l'agro-écologie » car « l'enseignement agricole a toujours accompagné les mutations de l'agriculture ». Il suggère comme « première étape très concrète » de « finaliser la réforme des référentiels dans le programme Apprendre à produire autrement ». L'accompagnement des paysans et la réorientation des filières complètent l'avis qui propose ni plus ni moins que « réorienter les politiques publiques et les aides pour favoriser la transition vers l'agro-écologie et assurer leur cohérence ».

Votre rapport ne semble pas avoir été bien vu par le syndicalisme agricole...

Les abstentions sont seulement celles de la FNSEA. Et les autres syndicats ne sont pas dans la section agriculture du CESE. Il y a 19 FNSEA au CESE, ils verrouillent tout. Il y a bien un membre de la Confédération paysanne et un de la Coordination rurale, mais ils ne sont pas dans la section agriculture.

Il y a eu deux voix contre...

Le représentant de la Coordination rurale a voté contre car son  mouvement lui a dit de le faire... Quand on écrit un rapport, il faut viser le consensus... Etienne Gangneron, le président de la section agriculture a aussi voté contre, il est un vice-président de la FNSEA... Le vote s'est mal passé car ils ont essayé de faire voter contre le rapport...

Pourquoi ?

Ils se sont arcboutés. Ils sont contre Le Foll qu'ils identifient à l'agroécologie. Ils se sont servis de l'argument selon lequel le rapport serait à charge contre les agriculteurs...

Dominique Marmier : « l'agroécologie n'est pas la seule solution »

Agriculteur à Frasne où il est en GAEC notamment avec Sylvain Marmiersyndicaliste FDSEA, représentant du Crédit agricole à la Chambre d'agriculture du Doubs et Philippe Alpymaire, vice-président du Conseil départemental du Doubs, Dominique Marmier est président national de Familles Rurales et siège au CESE national où il représente l'UNAFUnion nationale des associations familiales. Il est vice-président de la section agriculture du CESE et a voté, comme les neuf représentants de l'UNAF, pour l'avis sur l'agroécologie.
Nous lui avons demandé d'expliquer sa position.
« C'était limite pour ce vote positif... Le texte condamne trop l'agriculture conventionnelle... Il est vrai qu'il y a eu des excès, il y a 30 ou 40 ans. Il y a eu beaucoup d'efforts, et pas seulement en comté, qui n'apparaissent pas dans l'avis...
L'avis n'est pas seulement dans la condamnation...
Le texte a été beaucoup amendé, infléchi.
Par exemple ?
Ce qui compte, c'est le texte final, des propos étaient trop durs... Mais on est d'accord sur l'agroécologie, les enjeux pour la santé, la pérennité des exploitations, la succession... L'agroécologie n'est pas la seule solution. On a eu un débat sur la ferme des 1000 vaches, ce n'est pas le modèle à défendre, mais il peut avoir sa place...
C'est contradictoire !
De l'extérieur oui... Les bêtes de la ferme des 1000 vaches ont le confort : une vache peut y être aussi bien que dans une ferme traditionnelle à 25 vaches... Il y a des endroits où la nature du sol ne permet pas le pâturage...
Quel sera l'impact du rapport du CESE ?
J'espère qu'il en aura beaucoup. C'est au ministère, au gouvernement, aux pouvoirs publics de s'en saisir pour alimenter le débat.

C'est un peu ce que dit Dominique Marmier, mais il a voté pour...

Il est ambigu. Il représente l'UNAF et prend position comme la FNSEA. C'est l'UNAF qui lui a dit de voter pour...

Pourquoi n'y a-t-il que deux voix contre .

Ils ont fait tant de pression que ça a énervé les gens qui se sont intéressés au sujet. Du coup, ça a mis la puce à l'oreille et il y a eu beaucoup de discussions.

Les 30 ans de l'avis de Joseph Wrezinski

Le CESE semble avoir peu d'influence...

On vient de fêter les 30 ans de l'avis de Joseph Wrezinski Grande pauvreté et précarité économique et sociale qui a été suivi du RMI, de la CMU, du RSA... C'est l'avis le plus suivi. Plusieurs personnes du ministère de l'agriculture m'ont dit que l'avis sur les sols était leur livre de chevet. C'est un avis du CESE qui est à la base des territoires zéro chômeurs qui sont en expérimentation... En fait, ça dépend beaucoup de la façon dont on porte l'avis ensuite. J'étais il y a quelques jours dans une commission parlementaire à l'invitation de la députée Brigitte Allain qui avait demandé que je sois auditionnée. Un élu de droite, content que je sois là, a dit : on devrait recevoir plus souvent le CESE...

Vous faites donc le service après-vente...

C'est important. Pour qu'un avis donne quelque chose, il faut le présenter, prendre les dispositions pour le faire. J'ai ainsi eu des rendez-vous dans les ministères, vu la direction de l'école supérieure d'agronomie, la direction générale de l'enseignement et de la recherche du ministère de l'agriculture, différents services du ministère... Je fais des conférences, participe à des tables rondes. C'est comme ça qu'on crée un réseau. Début mars, je vois la Safer et le Conseil départemental du Gard qui ont le projet de limiter l'artificialisation des sols...

Parce que vous avez rapporté l'avis sur les sols ?

J'ai participé à plusieurs colloques sur les sols. Un jour, Claire Chenu, que le CESE avait auditionnée, me dit après m'avoir croisée plusieurs fois : mais le sujet vous intéresse vraiment ! Et elle m'a proposée de participer à une conférence sur les sols avec une communauté d'Emmaus près de Pau...

Des CESE régionaux ont-ils traité le sujet ?

Je ne crois pas. C'est un défaut du système en cours de correction : il n'y a pas de liens systématiques avec les CESE régionaux.

Vous avez longtemps travaillé et vécu dans le Jura. Avez vous des interventions programmées en Franche-Comté ?

Il faut que je sois invitée ! Quand l'avis sur les sols est paru, j'étais encore au CESER de Franche-Comté. Nous avions écrit au président du CESER, à Sophie Fonquernie (vice-présidente de la région à l'agriculture), à Marie-Guite Dufay en leur suggérant d'organiser une conférence sur les sols avec les élus régionaux et les membres du CESER. Dominique (Roy, alors président du CESER-FC) m'avait dit : il faut qu'on le fasse... J'attends toujours !

Il y a quand même eu un débat sur les sols à la Maison de la réserve de Labergement Sainte-Marie...

Oui, mais il était organisé par FNE... On a aussi adressé un avis à la présidente de la commission du débat public sur le projet de Center parcs...

Avez vous des relations avec les Groupes de développement agricole ?

Dans le Jura, le GDA appartient à la chambre d'agriculture. ils pensent que je suis un agent secret !

« Beaucoup de gens sont prêts à balayer ce qu'a fait Stéphane Le Foll »

La campagne électorale est-elle propice à un débat sur l'agroécologie ?

Dans cette période politique, il y a beaucoup de gens prêts à balayer ce qu'a fait Stéphane Le Foll...

La Confédération paysanne dit qu'il a plus parlé qu'agi...

Jusqu'en 2013, il a fait pas mal. Après, il n'a plus eu les coudées franches car Manuel Valls et François Hollande étaient noyautés par la FNSEA. Il est plus favorable à la Confédération paysanne, il a beaucoup travaillé avec elle au début de ses fonctions... Mais l'agroécologie, ce n'est pas Le Foll. C'est une science adossée à des techniques, c'est ce que demande la société. La transition écologiste doit être partout. C'est une idée qui revient souvent dans les propos des gens, y compris les agriculteurs.

Vous proposez, entre autres, de mobiliser le système bancaire que vous identifiez comme un frein au développement de l'agroécologie. Il faudra du volontarisme !

Quand on a mis en place le système d'ensilage dans les années 1970, tout le monde l'a soutenu. On peut avancer avec le soutien de l'ensemble du monde agricole... AU CESE, on n'a pas celui du défunt président de la FNSEA...

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