Camp climat août 2020, j’y étais !

Du fait de la pandémie, Alternatiba, ANV Cop 21 et Extinction rébellion n’ont pas pu organiser leur Camp climat au niveau national cette année. Décision a donc été prise de proposer des stages décentralisés. Pour la Franche-Comté, il s’est déroulé du 19 au 23 août dernier à Port-Lesney, sympathique commune du Jura. À quoi ressemble un Camp climat pour qui n’y a jamais les mis pieds ? En voici un récit subjectif, drôle, pertinent et très vivant de la part d’un participant.

2020-08_camp-climat_amermet-10

Mercredi 19 août

Avec mon compère J. Marie, on décide d’y aller dès mercredi soir, afin de pouvoir s’installer tranquillement et opérer un premier repérage des lieux. Après un court déplacement, on arrive en vue de Port-Lesney. On est tout d’abord surpris par la présence d’un feu rouge au milieu du paisible village. En fait, on comprend rapidement que le Château de Germigney, célèbre hôtel-restaurant classé trois étoiles réalise des travaux pour aménager un hammam pour sa clientèle haut de gamme. Bon, ça va, on ne poireaute pas devant cet incongru feu rouge.

Un peu plus loin, une affichette en carton (Bon, le camp Climat, ce n’est pas franchement le même style que le Château…) indique qu’il faut passer à l’accueil du camping. Ce qu’on fait, même si sur la porte de l’accueil une affichette indique qu’il faut téléphoner au 06 etc. car il n’y a pas de permanence permanente. Du fond du camping, on entend le bruit de fond d’une musique qu’on connaît, mais qui nous semble assez inattendue. Michel Sardou, ça détonne un peu pour un camp climat. En s’approchant, on comprend en fait que c’est plutôt une soirée festive pour les personnes du camping qu’un grand raout pour l’accueil des festivaliers du camp. Par chance, on tombe au milieu de la foule sur Yves, un gars qu’on connaît qui nous indique qu’en fait l’accueil pour le camp se situe à l’opposé de là où on avait atterri.

On retourne sur nos pas et on se sent un peu plus en terre amie. Il faut dire que Michel Delpech a succédé à Sardou. Devant le bâtiment d’accueil, une bande de jeunes en t-shirt jaune (la couleur d’ANV Cop 21) attendent le chaland. Sur les portes d’entrée, d’immenses panneaux en carton. Ah, voilà qui nous rassure. Après les échanges de salutations, on nous fait passer par l’étape du gel hydro-alcoolique et rappel du port du masque. Pour être sûrs qu’on a bien compris, on nous fait signer un document attestant qu’on est bien conscients des mesures à prendre. On s’y plie volontiers. On s’apprête à rentrer dans le hall où s’aligne, derrière une grande table, un ensemble de bénévoles prêts à régler les questions administratives. Mais sur le parvis, on est arrêté par une jeune fille qui nous indique qu’une étape préalable doit être remplie : l’inscription au bénévolat, obligatoire. Pas de souci. Les fameux grands cartons servent à ça : nettoyage, vaisselle, cuisine, tenue du bar… Étant donné qu’on est parmi les premiers, on a le choix des tâches. Je m’inscris pour la vaisselle du lendemain, du vendredi, samedi et dimanche. Quand on aime, on ne compte pas. Mais la bénévole me fait remarquer qu’il faut aussi laisser de la place pour les autres participants. Finalement, j’opte pour la vaisselle du lendemain et la tenue du bar samedi, avec mon pote J. Marie. Elle inscrit nos noms (pas question qu’on tripote les marqueurs, Covid oblige…) et nos numéros de téléphone, des fois que j’oublie de me présenter aux tâches consenties.

Puis on pénètre dans le hall. Bien organisées les filles. Eh oui, derrière les masques qui nous attendent, il n’y a que des filles. Lucie, son nom figure sur un morceau de scotch collé sur son t-shirt, vérifie l’inscription et encaisse l’argent. On est entre amis, parce que la caisse déborde de billets, juste à côté d’elle. Affaire rondement réglée. J’ai opté pour le tarif le plus élevé, rédigeant mon chèque de 72 €. J.-Marie qui me succède lit trop vite et choisit, le tarif solidarité. Quand il entend qu’il doit payer 36 € pour 4 jours, il comprend que quelque chose lui a échappé. Pas de souci, le tarif solidarité, c’est pour les participant.es qui ont de faibles revenus. Pour ma part, je suis déjà à l’étape suivante : le bracelet. Etant présent pour les 4 jours, j’ai droit à une petite ficelle verte. Dernière étape, Marion, que je connais déjà, s’occupe de l’argent du Camp. Eh oui, pas d’euro dans le camp, mais des choupissons (je pensais que c’était un nom inventé pour l’occasion. Mais j’apprendrai par la suite, qu’en fait, il s’agit du petit du hérisson). Je pends également un écocup pour la consommation au bar et règle. Une autre fille figure, debout à proximité de la table. Elle s’avance vers moi et me demande nom prénom. J’ai doit aussitôt au bout de scotch qui permettra de m’identifier facilement. 

Avec J. Marie, on est quasiment les seuls participants à ce moment-là. J’en profite pour demander ce que je dois faire car je me suis inscrit à un atelier sur l’écoféminisme dont j’ai appris par la suite qu’il était non-mixte (ce qui n’était pas indiqué sur le site). Une des bénévoles m’explique que je pourrai changer d’atelier le jour prévu. Je lui pose la question du pourquoi de la non-mixité. Elle me répond que c’est bien que les femmes puissent débattre entre elles, à l’abri de toute domination masculine. Ça fait bien longtemps que je suis convaincu de moments non-mixtes dans le combat féministe. Mais, là, je ne comprends pas en quoi la non-mixité constitue un supplément d’efficacité pour la discussion autour de l’écoféminisme. J’insiste donc. Mais je ne reçois pas de réponse convaincante de la fille qui me répète son argumentation. Un attroupement se fait autour de ma personne, mais personne n’avance d’arguments convaincants (à mes yeux) sur l’apport de la non-mixité pour une meilleure appréhension de l’écoféminisme. L’échange patine et je suis renvoyé à l’organisatrice de cet atelier pour comprendre le sens de cette non-mixité. Affaire à suivre, donc.

Puis, on repart au camping. Tandis que J. Marie s’occupe de son camping, j’installe ma tente, dans l’espace réservé par la rubalise pour le camp. Puis, ceci étant fait, on se rend au bar. C’est là que j’apprendrais la signification de choupissons. Un gars (enfin un homme) tient le bar (étonnant non ?). On devise de choses et d’autres et la conversation s’oriente vers le petit déjeuner du lendemain, pour lequel les participant.es ont été sollicités pour l’alimentation en confitures. J. Marie annonce triomphalement qu’il a amené la meilleure confiture de fraises (de son jardin) de toutes les confitures possibles. Confiture de fraises dont il décline le mode particulier de cuisson. À mon grand étonnement, le jeune gars du bar lui rétorque que ça l’étonnerait que sa confiture soit la meilleure, car lui-même a confectionné une confiture prunes/poires/oignons rouges caramélisés et romarin (légère incertitude sur ce dernier ingrédient. Peut-être thym ou origan ???). Ma stupéfaction provient du fait que je pensais (naïvement) que les jeunes se contentaient d’acheter leurs confitures au supermarché du coin. Puis changement de bénévole derrière le bar. Jean-Pierre, nettement plus de ma génération, s’installe. Conversation sympathique, un verre de Jura à la main (J. Marie boit un verre d’eau). La nuit est tombée. On entend en bruit de fond les échos de la fête du camping. Il fait bon. Le camp démarre bien, même si la nuit fut exécrable.

Jeudi 20 août, 7 heures

J’émerge, le dos en compote. Une petite douche pour commencer cette première « vraie » journée de camp. Surprise (bonne), l’eau de douche est chaude. Vu qu’il est tôt encore, je me dirige vers le camion de J. Marie pour boire un café. Je sais qu’il est réveillé car j’entends le son de la radio, fort à mon goût, en m’approchant du véhicule. Je lui fais remarquer qu’il n’est pas tout seul et qu’il pourrait baisser le son. Il me rétorque d’une part que le son est très bien réglé et….. que ses voisins sont allemands et donc ne peuvent être gênés puisqu’ils ne comprennent pas France Inter !!! Interloqué par tant de mauvaise foi, je reste coi. On échange quelques propos, puis il va à la douche et je me rends au lieu de la séance de méditation. Chaque matin, la journée commence, pour celles et ceux intéressé. es, par une séance de méditation. Ce n’est pas franchement dans mes références, mais je suis curieux. Une dizaine de participant.es se rassemblent autour d’une dame aux cheveux blancs, vêtue de mauve. Exercices de respiration, de positionnement. Au bout d’une demi-heure, je ressens un mal de nuque, des épaules qui chauffent et une douleur persistante dans les lombaires. La méditation et moi, ça fait deux. Je ne renouvellerai plus l’expérience d’ici la fin du camp.

J’arrive sur le lieu du petit déjeuner. Une femme est en train d’allaiter son bébé de trois semaines. Y’ a de la vie. D’ailleurs, apparaîtront par la suite plusieurs enfants, certains en bas âge, d’autres tendant vers l’adolescence. Là également, léger étonnement, certains viennent au camp en famille. Le petit déjeuner est sympa. Chacun a amené ses confitures (depuis celle provenant de Lidl, si, si j’en atteste, jusqu’aux produits maisons ou siglés magasins bio), accompagné de bon pain bio (on est le premier jour et le pain est frais).

Moment de latence avant la première conférence du matin. J’en profite pour commencer à prendre des notes et régler quelques problèmes domestiques, mais je tombe sur des répondeurs.

10 h 30

C’est parti. Sous le barnum, il fait déjà chaud. L’ambiance est cordiale, chacun sourit à ses voisin.es et échange des propos divers. Julie, 27 ans, nous accueille officiellement au nom des associations organisatrices. Elle nous révèle l’origine des choupissons et rappelle quelques règles. Puis Pauline, permanente nationale d’Alternatiba démarre une conférence d’une heure trente de présentation du mouvement, de ses buts, de ses objectifs et de sa stratégie. Le propos est nourri, documenté, dense. Elle connaît son affaire et on sent qu’elle domine son sujet. À l’issue, impossible d’ignorer l’urgence et les enjeux de la lutte climatique, ainsi que les moyens qu’Alternatiba s’est donnés pour y faire face. Étant donné qu’on a besoin des chaises pour le repas, le débat est raccourci car il faut installer les tables à l’intérieur du bâtiment, la chaleur étant rédhibitoire pour manger sous le barnum.

Premier des repas, qui se ressembleront tous. Assiette végétarienne composée de diverses salades et pain bio. C’est goûteux, même si j’aurais apprécié un morceau de fromage pour accompagner le tout. Visiblement, en échangeant avec mes compagnons de table, je ne suis pas le seul, mais bon, ça ne dure que 4 jours (ça, c’est de la pure provocation). Je ne traîne pas à deviser à table car je suis inscrit à la vaisselle, que je compléterai par le balayage (seul) de la salle.

J’arrive en sueur à l’atelier « Les données scientifiques du changement climatique », au premier étage. Cinq conférences en parallèle sont proposées chaque après-midi et matin. Chaque demi-matinée a été pensée pour offrir à la fois des conférences orientées sur la mise en pratique (ex. pour ce premier après-midi, « Initiation à l’action non violente », « Organiser et coordonner une action non violente », « Techniques de blocage ») et d’autres plus théoriques (celle à laquelle je participe ou « Alternatives au modèle agro-alimentaire »).

Le conférencier (dont j’ai oublié le prénom) explique qu’il a choisi de s’impliquer dans le mouvement citoyen pour le climat après la démission de Hulot et qu’il a jusqu’à présent réalisé uniquement des conférences en ligne. C’est donc une première, en public, qu’il assure devant nous. Ça commence d’ailleurs bien, puisqu’il lui faut 15 minutes pour régler son ordinateur et le vidéoprojecteur. On est une dizaine dans la salle. Vidéo projection de très bonne qualité, avec de réels apports en matière de connaissances. Comme il y avait invité, de nombreuses interventions (essentiellement, pour ne pas dire exclusivement masculines) se succèdent. Bien que le conférencier ait expliqué qu’il ne se considérait pas comme un activiste, mais plutôt comme un vulgarisateur des données scientifiques disponibles, il n’en glisse pas moins à la fin de son exposé des données favorables au développement du nucléaire, comme énergie propre. Evidemment, son propos suscite un tollé parmi les auditeurs. Si l’on excepte son approbation plus ou moins honteuse du nucléaire, je suis très satisfait de cette première conférence qui correspond à ce que je cherche pour alimenter ma réflexion sur la question du changement climatique.

Très court temps pour souffler, car bien entendu on a fini notre atelier en retard et la suite du programme n’attend pas. Deux conférences se succèdent à 17 et 18 h.

La première est assurée par Karla, un trans végan, défenseure du véganisme et adepte de l’antispécisme, qu’elle définit comme le fait que l’espèce humaine n’est pas au-dessus des autres espèces vivantes. Les animaux éprouvent des sentiments et disposent, selon ses paroles, des mêmes droits moraux qu’homo sapiens. Bien que ses propos me hérissent le poil, je reste assis à écouter cet exposé complet sur ce que je considère comme une régression totale de privilégiés occidentaux qui se mobilisent pour le droit des animaux, tandis que la faim affecte plusieurs centaines de millions d’êtres humains à travers la planète et que deux milliards sont en état permanent d’insécurité alimentaire. D’autant que la conférencière conclut son speech par une apologie en faveur de l’industrie pharmaceutique, qui fournit à la demande (c’est même remboursé par la Sécurité sociale rappelle-t-elle, si on se débrouille bien) la Vitamine B12, nécessaire à un bon équilibre alimentaire, mais absente des composants d’un régime végan. Et vive les compléments alimentaires et l’agro-industrie qui la produit.

S’ensuit une table ronde sur les ZAD, lieu à défendre ou Zone d’activités désirable ? Trois représentant. es des jardins de l’Engrenage (Dijon), des Lentillères (Dijon), du Jardin des Luttes des Vaites (Besançon) et du Pic Noir (Poligny), présentent différents visages des mobilisations écologiques locales. Tranchent nettement, par leur âge, les deux représentants du Pic noir, qui se distinguent des nouvelles générations qui animent les luttes actuelles. Le décentrement du questionnement (ZAD comme lieu de désir) ne fonctionne pas vraiment (les militants du Pic Noir, notamment, rappellent qu’avant de désirer, il s’agit d’abord de mobiliser, de convaincre et de lutter). Là encore, la parole des intervenants est essentiellement masculine, ce qui sera noté lors du bilan final du camp.

Vite, il faut passer à table car l’heure avance (la table ronde a bien entendu débordé le temps imparti). Une soirée disc-jockey est prévue. Pour ma part, musique de m… Mon sentiment semble partagé car un groupe très clairsemé s’agite devant les baffles aux effets de distorsion sonore. Zou, il est l’heure d’aller au lit.

Vendredi 21 août, matin

J’évite la méditation qui réveille toutes les douleurs de mon corps pour me diriger vers le petit déjeuner. Les guêpes m’ont précédé, attirées par le goût du sucre. Une vraie plaie. Mais on ne touche pas au vivant, même si certains se feront piquer.

La journée commence par une « Introduction à la stratégie de campagne », atelier animé par Pauline, la responsable nationale d’Alternatiba. Sous le préau de l’école, on est une quinzaine, assis en rond sur des bancs devant Pauline et son paper-board. Le tour de table de présentation permet de se faire une idée de la provenance des participant.es. Les militants qui représentaient les Jardins de l’Engrenage et des Lentillières à la table ronde hier se retrouvent ici, la plupart provient de Besançon, mais on repère également des gens de Belfort, Lons-le-Saunier, mais aussi, plus exotique, Brest et Rennes. Pour un grand nombre, l’engagement en faveur du climat constitue une première expérience dans le militantisme. La présentation de Pauline était claire et nourrie par de nombreux exemples, même si l’on pouvait douter de la pertinence d’un certain nombre d’entre eux, en particulier dans leurs résultats à moyen terme. Illustration, la campagne contre AlphaCoal, une mine de charbon géant en Australie a certes conduit au désengagement de la Société générale, parmi la pléiade de banques engagées, mais n’a en rien affecté le développement de nouvelles mines dans cette région. Au-delà de cet aspect, j’ai été assez étonné par le côté très technique, pour ne pas dire parfois mécanique de la conception stratégique déployée. En effet, à certains moments, on aurait pu se croire dans un séminaire de développement marketing, alignant les acronymes. Le modèle PWOS, Pouvoir, faiblesse, opportunités, menaces) succédant aux objectifs SMART (c’est toujours mieux les anglicismes, même en matière de mobilisation environnementale), le tout renforcé par des schémas permettant de cartographier alliés et opposants. Ne manque plus pour parachever une bonne mobilisation un vrai Brainstorming associant le maximum d’activistes. L’insistance de l’oratrice sur la dimension non-violente (le film de Richard Attenborough, Ghandi, figurait en bonne place dans les recommandations filmographiques qui concluait un exposé de facture très universitaire) a suscité un échange nourri, à propos des Gilets jaunes (dont plusieurs participants avaient été partie prenante) et du rapport instrumental à la violence (« l’action sanguine » comme l’a caractérisé un des intervenants).

Déjeuner

sur lequel il n’y a rien à ajouter, si ce n’est précisément l’absence de dessert, comme la veille d’ailleurs.

L’après-midi était dédié à une initiation à la communication non-violente. Disons que la participation résultait largement d’une absence d’appétence pour les autres ateliers proposés (Comment alléger son empreinte carbone, Conception et fabrication de banderoles, jeu de la monnaie ou art’ivisme et banderoles). Animé par Blandine, une future professionnelle en communication non violente (CNV), cette approche constituait une nouveauté à peu près absolue pour moi. Disons pour faire rapide, que le travail social appliqué à l’action militante ne relève pas franchement de ma formation et culture politique. En fait, les exercices qu’a proposés Blandine m’ont laissé globalement assez dubitatif. Qu’il soit nécessaire de conscientiser et maitriser au mieux ses attitudes violentes envers les autres constitue un rappel nécessaire de toute posture militante. Mais la dimension psychologisante récurrente (se décaler de ses réflexes pour devenir l’observateur de la situation pour devenir vrai) doublée d’un rappel répétitif du fait que la CNV, c’est beaucoup plus complexe et complet que ce que nous avons entrepris durant l’atelier a suscité un sentiment de frustration. On peut parfaitement convenir que l’atelier ne constituait qu’une mise en bouche. Mais une mise en bouche ne devrait pas frustrer les participant.es de ce qu’ils sont précisément en train de déguster.

Puis retour dans la salle commune pour de nouveau deux conférences successives. La première était organisée par l’AVB (Association Vélo Besançon), sur les méfaits de la voiture et, en retour, les bienfaits du vélo, à Besançon. Conférence rondement menée par trois animateurs/trices qui ont développé chacun un aspect et suscité beaucoup de curiosité chez moi autant que chez d’autres si j’en juge par les demandes d’intervention. Hélas, le retard pris n’a permis qu’un micro-débat d’environ 5 minutes, avant d’enchaîner par la conférence « Des communes séparatistes écologiques, une utopie ? » animée par Sam. De fait, le conférencier s’est rapidement éloigné du thème proposé pour envisager à quoi pourrait ressembler la vie sociale après l’effondrement, hypothèse qui n’avait pas besoin d’être questionnée tant lui semblait évident que la catastrophe n’était qu’une question de (court) délai. Là encore, l’exposé, parfaitement sous tendu par des références économiques et philosophiques de bon augure n’a pu être prolongé par un débat, car le temps pressait. C’est fort dommage, car, personnellement, je ne fais pas partie de celles et ceux qui ont été subjugués par les développements du prof de philo. Disons, pour aller à l’essentiel, que l’analyse et les hypothèses proposées laissent dans les starting blocks le cinéma hollywoodien style Mad Max (que ce soit le I, le II, le III ou même le IV). Qu’on en juge, l’avenir de l’humanité repose sur un retour à une société de chasseurs cueilleurs, nomades par définition, qui saura renouer avec un équilibre avec ce qui restera de la nature après l’effondrement. Cette perspective primitiviste, pour dire rapidement, repose sur les prémisses d’une population mondiale (telle qu’elle a pu être estimée par les préhistoriens et anthropologues) se chiffrant, avant le néolithique de l’ordre de 10 000 individus, avec les incertitudes qui accompagnent ce gendre de dénombrement. On peut bien entendu envisager toutes les hypothèses possibles du devenir de l’humanité. Mais une projection qui repose sur l’élimination de 8 milliards, 999 millions 990 000 habitants de la planète (population actuelle 9 milliards -10 000 chasseurs cueilleurs qui goûterons les joies d’une vie en harmonie avec la nature après l’effondrement), une telle projection mérite nécessairement d’être confrontée à une certaine réalité pour être utile aux combats écologiques. Mais là encore, pas de discussions possibles, du fait du temps trop serré.

Après un repas serein (après tout, l’effondrement nous laisse encore un peu de temps pour échanger), soirée musique avec Chris et son accordéon. Soirée délicieuse et pleine d’émotion. Chris a amené photocopies des paroles de plusieurs chanteurs français qu’elle distribue et qu’on chante en commun. Brel, Brassens, Reggiani, Gainsbourg, mais aussi des classiques, La Butte rouge ou Bella Ciao, sont repris en commun par un public toujours plus nourri. A l’issue de ce tour de chant, chacun a le sourire aux lèvres et Chris enchaîne avec un petit bal pour celles et ceux qui ont envie de se dégourdir les jambes. Excellente soirée qui fait ressortir la dimension communautaire de nos existences. J’échange longuement avec les un.es et les autres, au bar, jusqu’à l’extinction des feux.

Samedi 22 août

Durant la nuit, il a plu. Pas suffisamment pour satisfaire les paysans et les jardiniers, mais assez pour que l’air soit plus frais au lever. Après le désormais traditionnel et roboratif (j’ai même goûté à de la purée de sésame et de la pâte d’amandes, bio, of course) petit déjeuner, je me dirige vers mon atelier « Migrations et climat », animé par Maryse Fischer du CCFD (Comité catholique contre la faim dans le monde). Présentation, sous-tendue par un power point (pas de souci de branchement du vidéo projecteur cette fois-ci), de très bonne facture. Contrairement à ce que l’on pourrait spontanément croire, les travaux sérieux sur les effets humains du dérèglement climatique sont beaucoup moins nombreux qu’on pourrait l’espérer. Mais l’oratrice avance des chiffres très convaincants, qui mettent en lumière la hauteur des défis à relever. C’est par centaines de millions, voire par milliards, dans le sud essentiellement, que les victimes du réchauffement climatiques se comptent déjà. Maryse est la première, sans affectation, à mettre en cause de manière aussi radicale les dégâts de l’économie capitaliste pour l’immense majorité de la population du globe. Dénonciation convaincante et argumentée, qui se prolonge par un exercice par petits groupes. On se retrouve à une dizaine autour du thème « Rester et/ou migrer ? » (Les deux autres thèmes : « Aider là-bas ou accueillir ici ? » ; « Quelle stratégie pour faire avancer les droits ? »). Maryse distribue une volumineuse documentation à chaque groupe et invite chacun. e à lire un texte. Malgré la longueur et la technicité de certains textes, ça marche. Chaque groupe discute, échange, et propose une synthèse de ses réflexions. J’avais personnellement des doutes liés au caractère plutôt encyclopédique de la documentation fournie. Mais la bonne répartition entre les différents membres de chaque groupe débouche sur d’utiles confrontations. Atelier de très grande qualité.

S’ensuit le repas de midi, avec fruits au dessert. J’apprécie. Au café qui suit, au bar, j’ai de nouveau l’occasion de revenir sur la question de la non-mixité lors de l’atelier Réflexions sur l’écoféminisme qui a lieu durant l’après-midi. Je constate qu’un des consommateurs de café développe des arguments qui vont dans le même sens que les miens. Estelle me rétorque de manière abrupte que de toute façon les féministes n’ont pas besoin de mon avis pour décider de ce qu’elles entreprennent. J’avoue que je ne m’attendais pas à cet argument et que je reste bouche bée.

Départ vers la cour de l’Eglise, lieu de l’atelier sur « Ruralité, urgence sociale et climatique ». Le soleil est revenu et j’apprécie de me trouver sous l’ombrage d’un énorme noyer. Hèlène, universitaire spécialiste des études rurales, ancienne animatrice du MRJC, revêtue du t-shirt vert du Mouvement des sans-terre brésilien, est notre animatrice. Elle commence par nous répartir en trois petits groupes invités à écrire à tour de rôle sur de grandes affiches disposées sur des tables nos idées sur trois thèmes : territoire, rural, alternatives. Un autre groupe se voit confier des ouvrages choisis (livres, BD, magazines…) dont ils doivent lire un extrait sélectionné. Dans un deuxième temps, chaque groupe produit une synthèse des termes et représentations inscrits sur les affiches, tandis que les lecteurs. trices exposent l’apport du support qu’il a lu. S’ensuit (décidemment, les techniques d’animation de groupes ont le vent en poupe dans ce camp climat. Ça me rappelle l’ambiance des colos de mon enfance). S’ensuit un débat mouvant. L’animatrice pose une question (ex. Avantages et désavantages de la vie rurale), puis chacun se positionne dans un des deux groupes ainsi constitués et échange des arguments avec le groupe opposé. En fonction de la pertinence argumentative, on peut passer d’un groupe à l’autre.

Dans un second temps, Hélène développe un exposé serré sur ce que l’on peut savoir sur le rural. Au final, en ressort une vision plutôt positive du rural et de la ruralité, qui pourrait donc constituer un horizon de dépassement et d’alternative au fonctionnement actuel. Si la tonalité du propos est nourrie par une vision romantique et plutôt idéalisée du monde rural, le questionnement proposé autour d’une repolitisation du rural et sa prise en compte comme territoire d’expérimentation de nouvelles pratiques retient l’attention. Un (trop) court débat s’ensuit, qui ouvre sur une perspective qui aurait nécessité plus de temps pour creuser la question, celui d’une ruralisation de la ville. Une piste à garder pour un prochain Camp climat ?

Samedi 22 août, 17 h

Il est temps d’assurer la tenue du bar, avec J. Marie. L’équipe qui devait nous remplacer à 19 h n’est jamais arrivée si bien qu’on a assuré cette tâche jusqu’à 21 h, sans déplaisir d’ailleurs. On fait un tantinet les fanfarons en promettant de faire exploser le chiffre d’affaires du bar. On fait les mariolles, on interpelle les passant.es. Et ça marche. Très bien même. Les gens rigolent, s’approchent, consomment. On ne voit pas le temps passer. Nettement plus gratifiant que la vaisselle, il faut en convenir. Vu que l’équipe qui doit nous succéder n’arrive pas, on mange dans la buvette, tout en tirant de la bière entre deux bouchées. Et miracle, en ce samedi soir, on a même droit à du gâteau au chocolat en dessert (NB. On peut aussi choisir de la crème au chocolat végane. Mais, là, on cède notre portion sans regret). Les gens passent devant le stand en rigolant, on met de la chanson française et on fredonne les refrains. Bref, on prend beaucoup de plaisir. On a même le temps de s’échapper un instant, car dans l’herbe, à quelques pas du bar, Pauline a ouvert un stand avec du matériel militant, livres, brochures… J’achète un t-shirt Alternatiba. J. Marie, Monsieur Plus du soutien, prend en sus un t-shirt ANV Cop 21.

Au programme de la soirée, un concert par Les Fées Minée, un jeu de mot pour un groupe de lesbiennes, engagées dans le mouvement féministe. Musique enlevée, très rythmée, paroles engagées. Certain.es dansent de manière endiablée. Bonne ambiance pour cette dernière soirée commune. Je repasse par le bar, histoire d’écluser mes derniers choupissons et discute le bout de gras avec Carine.

Le grand jour ?

Dimanche 22 août, matin. C’est le jour de la Simul’action, débouchés et mise en pratique des ateliers développés durant les jours précédents. L’idée est de développer une action pour dénoncer l’agriculture intensive qui pollue les rivières, en particulier la Loue qui coule précisément à Port-Lesney. Après un discours introductif d’un responsable de l’association Loue et rivières comtoises, chacun rejoint son groupe d’activistes, selon sa spécialité et on part bloquer le pont de Port-Lesney. FR3 est présent et d’autres journalistes également. Pour ma part, je ressens immédiatement le côté simulacre de l’exercice. Je n’ai pas envie de jouer au théâtre pour satisfaire le besoin d’images des médias. Je me sens très mal à l’aise, échange longuement avec Marc, le responsable de SOS Loue, puis m’éloigne du lieu de l’action, tandis que de vrais comparses, déguisés en faux policiers, tentent de déloger les activistes qui bloquent le pont. Je repars avec un sentiment de colère du lieu, ressassant la vanité (pour ne pas dire la vacuité) de l’exercice.

Cependant, le débriefing qui suit la Simul’action atténue fortement l’acrimonie qui m’animait. D’une part, lors du débriefing du groupe des activistes (auquel j’étais associé) me permet d’évoquer mon sentiment de facticité de la Simul’action. Et j’ai la surprise de constater que plusieurs interventions vont dans le même sens que ce j’ai éprouvé, ce qui me rassure un peu sur mon ressenti. Puis, dans un deuxième temps, c’est le débriefing général. Chaque groupe (Police, activiste, peace keeper, pôle communication, coordination, brigade des enfants, grimpeurs….) livre sa propre analyse critique de son rôle durant la Simul’action. Si pour beaucoup c’est une première expérience « enchantée » à l’action écolo qui domine, pour d’autres, le retour réflexif se manifeste à travers une vigoureuse ampleur. Au final, j’ai la confirmation, que, comme l’exprime un des participants à l’issue de cet exercice, « rien ne vaut l’intelligence collective ». Et c’est pour l’avoir éprouvée que ma première réaction, négative, se trouve fortement atténuée.

Lors du dernier repas de midi, les conversations vont bon train, même si un nombre conséquent a déjà plié bagage. Une équipe très efficace a eu le temps de déplier le barnum et démonter le bar. L’essentiel du travail de démontage, prévu pour l’après-midi, a en fait été réalisé avant le déjeuner.

Si bien que l’on peut tranquillement débarrasser les tables, passer le balai avant de se regrouper en trois petits groupes pour le bilan général du camp. On est une quinzaine, assis en rond à échanger à partir (toujours) d’une technique d’animation éprouvée : la pépite et le râteau. Chacun. e évoque en quelques phrases brèves l’élément le plus positif (la pépite) et le plus négatif de son séjour au Camp. Ce qui domine dans cette manière d’organiser l’expression des expériences, c’est une forte diversité des ressentis. Certain.es ont été ravis de tels ou tels ateliers, d’autres ont été charmés par un contact, par la découverte d’une personnalité… Puis ce premier tour de paroles étant effectué, se développe un débat libre pour conclure. C’est aussi le moment, la fatigue aidant, d’exposition des affects et des sentiments. Il y a eu des pleurs et l’expression d’émotions fortes dans le cercle auquel je participais. J’ai souri (intérieurement) quand un participant a remis sur le tapis la question de la non-mixité à cette question. Magda, qui avait été chargée d’objectiver autant se faire que peut, la question de la parité dans les prises de parole, en particulier durant la table ronde, a fait part de son malaise en constatant que même dans un milieu engagé, militant et, a priori conscient, cette dimension était très loin d’être respectée, que la domination masculine nécessitait d’être encore et toujours combattue.

Étant donné que nous étions largement en avance sur le programme prévu, que l’étape suivante était le discours du maire de Port-Lesney en fin d’après-midi, nous avons décidé de repartir. Et comme on avait un peu de temps libre, en arrivant à Besançon, nous avons fait un crochet par la Vigie des Vaites. Mais ça, c’est une autre histoire.

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !