Né dans le Nord il y a 15 ans, le SAMU de l'environnement – service d'analyse mobile en urgence – s'est implanté en Alsace et arrive en Franche-Comté à l'initiative, notamment du collectif inter-associatif SOS Loue et rivières comtoises et de FNE-Franche-Comté. Cette initiative s'appuie techniquement sur une mallette d'analyses express testée par les militaires et les humanitaires lors de la guerre au Kosovo puis à l'occasion de catastrophes comme des séismes. Elle suppose aussi qu'une multitude de personnes s'en empare, se forme et intervienne dès qu'une pollution est signalée pour l'analyser au plus vite et la documenter avec tous les outils à disposition, de la photo aux cartes hydrogéologiques, des plans des réseaux d'assainissements à la mémoire des habitants et à la curiosité des novices.
Bruno Haettel, votre initiative fait un peu penser à la CRIIRAD, née pour effectuer des analyses indépendantes de radioactivité après Tchernobyl...
A la différence près que nous ne mesurons ni la radioactivité ni les micro-polluants. Nous utilisons les moyens de la mallette fabriquée par Macherey-Nagel qui fournit l'armée ou les secouristes qui interviennent là où il y a des problématiques de qualité de l'eau : peut-on la boire ou pas ? On a effectué des analyses colorimétriques des sources polluées en Alsace et Nord-Picardie. Avec ceux qu'on appelle des sentinelles de l'environnement, on couvre un terrain afin de connaître la qualité des eaux de tout un territoire.
Vous avez donc créé l'antenne Bourgogne-Franche-Comté, mardi 19 septembre à Ornans en faisant des analyses à l'occasion d'une formation réunissant cinquante personnes...
J'ai fait moi-même les analyses à la source bleue de Vuillafans qui m'avait été présentée comme la moins polluée du secteur... Grâce à la colorimétrie, on évalue la concentration dans l'eau de polluants tels que la phosphore, oxygène dissout, ammonium, les nitrates, les chlorures, les sulfates... On utilise aussi un GPS, un appareil photo, des cartes géologiques... pour remonter à l'origine des pollutions. On va là où la pollution est maximale afin d'évaluer les dégâts, on photographie, on analyse, puis on fait un rapport détaillé. On fait également un autre travail, plus intéressant et plus difficile, d'enquête et d'évaluation sur une partie d'un territoire. Par exemple l'ensemble de la vallée d'Ornans avec quatre équipes, en faisant l'ensemble des petits ruisseaux, on aura une assez bonne idée pour savoir si la pollution est plutôt due aux eaux usées ou plutôt due à l'agriculture. Notre travail est complémentaire de celui de l'Agence de l'eau ou de l'Etat.
Mais ce que vous dîtes montre que vous allez effectuer dix ou cent fois fois plus d'analyses que les services officiels ! Quand on sait qu'il a fallu plusieurs années pour qu'on installe six capteurs en continu sur la vallée, vous allez pouvoir en faire partout...
Tout à fait. L'expérience l'a montré. On a un ingénieur en eaux potables dans l'équipe, Jean-Louis Walter, qui maîtrise bien les questions d'assainissement et de production d'eau. Il dit que les analyses d'État, c'est bien, mais qu'elles sont parfois espacées de 25 ou 30 km, qu'il y a des villages entre deux. Il n'y a par exemple rien entre Ornans et Chenecey-Buillon. On ne peut déparer les pollutions urbaines des pollutions agricoles qu'en identifiant les zones urbaines et agricoles afin de se faire une idée. On a par exemple trouvé beaucoup de nitrites et de phosphates en aval d'Ornans...
Comment ont réagi les autorités sanitaires ?
Pour l'instant, il n'y a pas de réaction. Charles Dreyfus, le président national du SAMU de l'environnement, explique que les données de terrain ont pour but d'obtenir des négociations avec l'Etat. Il ne s'agit pas de construire une organisation hermétique, mais pour améliorer les choses, l'Etat est indispensable.
Vos protocoles ne vont-ils pas être contestés ?
C'est à ceux qui le disent de démontrer que ce que je fais n'est pas valable. Ils faudra qu'ils comprennent comment on travaille avec la mallette.
On a connu jusque là beaucoup d'atermoiements de la part des autorités...
J'étais délégué du SAMU de l'environnement en Alsace quand j'ai commencé à travailler sur le Pays de Montbéliard. Pendant trois ans, nous avons analysé l'ensemble des rejets dans le Gland. Même Véolia ne pensait pas qu'il y avait de tels problèmes sur le réseau.
Vous avez trouvé de l'ammonium en aval de la station d'épuration d'Ornans. Est-il d'origine agricole ?
Non. S'il était d'origine agricole, on aurait les mêmes données en aval et en amont de la station. Or, la dose est maximale après la sortie de la station. Pas besoin de chercher très loi, sauf s'il y a une source souterraine, ce qu'un hydrobiologiste peut nous dire.
L'ammonium est pourtant issu de la dégradation du lisier...
Il peut l'être en partie. C'est le premier élément minéral de la dégradation de l'azote organique qui peut provenir du liseir mais aussi d'excréments humains, d'un évier comme de l'agriculture. Là, on a 0 en amont, 0,2 mg/l en ville, puis une montée fulgurante 500 mètres en aval de la station. Quant aux nitrates, ils ne sont pas si élevés.
Le seuil est à 50 mg (recommandation OMS)...
En terrain calcaire, au-delà de 2 mg, les algues filamenteuses arrivent, puis des bactéries. Le fond couvert de la flore ne protège plus la faune, et c'est l'eutrophisation : moins de faune, sauf des moustiques et diptères... Une ville qui pollue se retrouve avec l'effet boomerang d'une sur-pollution. A partir de 0,01 mg/l, les nitrites bloquent la fixation de l'oxygène par les branchies des poissons... Ces nitrites se dégradent ensuite en nitrates grâce aux bactéries consommant l'oxygène.
Qu'avez-vous trouvé dans la source bleue de Vuillafans ?
60 milligramme par litre de chlorure ! Un peu plus et on pourrait fabriquer une mine de sel ! L'eau est pourtant limpide, mais il n'y a aucune faune et aucune flore. Cette source a deux arrivées, les deux ont beaucoup de nitrates, mais l'une a un pH de 8,25, c'est quasiment la limite maximum : au-delà de 8,5, la faune et la flore ne peuvent pas vivre. L'autre arrivée d'eau est plus neutre en pH, mais davantage polluée en phosphore et en chlorure...
Que faut-il chercher avec ces résultats ?
On n'a pas eu besoin de chercher loin... car il y a une incohérence entre la dureté total et la dureté carbonatée. Dans la source phosphatée, les eux dureté sont à 8, ce qui, en chimie des eaux, est impossible : la dureté carbonatée est toujours inférieure. Cela signifie qu'il y a du détergent ou du savon interférant avec les produits d'analyse. Cela mérite une enquête, mais comme par hasard, la fédération de pêche a constaté de fortes mortalités d'écrevisses sur ce ruisseau...
Vous avez aussi analysé l'eau en bas de cascade de Syratu où les enfants se baignent...
Elle a explosé les plafonds de nitrites. malgré la cascade, on a 8 mg/l d'oxygène à 12°C alors que ça devrait être 10 ou 12 mg/l. Cela montre que des bactéries mangent l'oxygène pour dégrader un élément, autrement dit, il y a une forte charge de nutriments. Comme l'ammonium est à zéro, ça veut dire la source de pollution vient de loin... On a aussi 0,1 mg/l de nitrites au lieu de 0,01. Quant aux nitrates, il sont à 16 mg/l alors qu'il n'y a pas d'algues. Cela veut dire qu'il y a trop de nitrite qui empêche la vie de se développer au fond de la rivière. Il n'y a même pas ce petit film gluant sur les cailloux... La pollution peutvenir d'un champ agricole du plateau après une longue circulation dans le karst. On a enfin 120 fois la norme de rejet pour les phosphates qui peuvent venir du lisier, ou d'une terre chargée qui les restitue...
Vous dites aussi avoir trouvé du pétrole ou du kérosène !
Quand l'eau est montée à 22°C dans le bidon, ça s'est mis à sentir le pétrole, le kérosène ou le gazole ! J'enverrais bien les pompiers, car ça pose un problème de santé publique.
Comment savoir d'où peut-il venir ?
Une fois qu'on saura de quel plateau ça peut venir, avec une carte hydrogéologique, une équipe sentinelle partira en analyse... Ce peut être le rejet de tout un village...
...dont les eaux se se jettent dans une diaclase ?
On en a eu des dizaines ! Il est arrivé que des étudiants ne les voient pas, mais nous si car la première chose qu'on demande au conseil départemental, c'est le plan d'assainissement. Il ne faut pas effectuer des battues de terrain qu'avec des gens qui connaissent. Quand on connaît, on est attiré par ce qu'on connaît. Quand on ne connaît pas, on n'a pas d'a priori, et ce sont souvent ceux là qui remarquent un tour petit truc...
Combien y a-t-il de sentinelles ?
A Ornans, on en a une cinquantaine. Beaucoup sont des gens informés qui se demandaient ce qu'ils pouvaient faire. . Je leur ai dit : connaître le terrain, faire remonter les informations...
Qu'avez-vous appris sur le Gland dans le Pays de Montbéliard ?
On a calculé les flux de polluants et micro-polluants sur le Gland, progressé dans la compréhension du fonctionnement du karst grâce aux travaux universitaires anciens. Le Gland est une référence, il y a toutes les problématiques qu'on peut trouver en terrain karstique : failles, pertes, etc. On a comparé l'agriculture suisse intensive et la française extensive qui n'ont pas les mêmes dynamiques ni les mêmes polluants. On a travaillé sur l'ensemble des sources du pays d'Hérimoncourt. Quand on se fait connaître, on découvre aussi des gens qui ont travaillé le sujet tout seuls dans leur coin. Mon travail, c'est aussi de rencontrer les habitants, ce que ne font pas les agences de l'Etat qui connaissent mal ou pas la dynamique des lieux. J'interroge la mémoire du lieu, le voisin de 80 ans qui me raconte l'histoire de la vallée, c'est comme ça qu'on découvre une galerie souterraine. On a besoin de tout le monde. Vous vous baladez et voyez un tuyau, c'est peut-être celui qu'on cherche depuis 5 ans...
Quelle est la prochaine étape ?
Finaliser la connaissance de la vallée du Gland, puis faire mettre en place des solutions pour l'assainissement du Pays de Montbéliard. Le réseau a été construit dans les années 1960-1970, mais son renouvellement est si faible qu'il faudrait 500 ans pour qu'il le soit totalement. Il faut aussi savoir que le karst bouge, s'effrite, gonfle en hiver, se rétracte en été, jusqu'à 30 centimètres... Vous imaginez un tuyau dedans ? Tous les villages de Franche-Comté ont des réseaux cassés. On en a fait cinquante, tous sont cassés. C'est pour ça qu'il y a tant de problèmes dans les stations dépuration.
L'industrie, notamment dans le traitement de surface, explique avoir entrepris des travaux de dépollution il y a bien une vingtaine d'années...
Une étude du syndicat mixte de Saint-Hippolyte souligne que seules un tiers des entreprises industrielles ont fait ce qu'elles ont annoncé. Il n'y a pas de contrôle.