2050 : du comté au lait de brebis ?

Après une séquence folle de développement de l’élevage et d’augmentation des chargements ces dernières années, grâce à l’apport technologique du sexage des doses d’insémination, l’année fourragère difficile que nous venons de vivre remet les pendules à l’heure. Loin d’être une simple anomalie climatique, ce scénario catastrophe pour les bilans fourragers préfigure ce qui risque de devenir la normale pour la Franche-Comté dans les années à venir. Le réchauffement semble s’inviter brutalement dans l’économie des exploitations, et il est plus que temps de s’en occuper si l’on ne veut pas qu’il s’occupe de nous. Une renégociation de l’équilibre entre la production fourragère et le développement des troupeaux s’impose.

Un réchauffement inéluctable jusqu’en 2050

Les experts du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sont formels. Le climat mondial se réchauffera de + 1,5 à + 2°C d’ici 2030 à 2050 si les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines se maintiennent au rythme actuel, et + 3°C en 2100 sans rehaussement de l’ambition des pays signataires de l’Accord de Paris et sans mise en oeuvre immédiate des mesures nécessaires. Les enjeux pour la survie de notre civilisation, voire de notre espèce sont énormes et chaque dixième de degré compte. A + 1,5°C, les risques seront significativement moins importants en fréquence et intensité des événements extrêmes (canicules, précipitations intenses, sécheresses) et les impacts sur la biodiversité, les écosystèmes, les ressources en eau et en nourriture, la sécurité et la santé, les infrastructures et la croissance économique seront moindres. A + 2°C, l’élévation du niveau des mers serait supérieure de 10 cm à celui d’un scénario de réchauffement de 1,5°C, d’ici 2100, et aggraverait le risque à plus long terme d’une déstabilisation des glaces du Groenland et de l’Antarctique. Le niveau marin augmenterait alors de plusieurs mètres.

En France métropolitaine, dès la période 2021-2050, les vagues de chaleur estivales deviendront plus fréquentes, plus longues et plus intenses, avec des évolutions plus marquées encore pour le quart sud-est. D’ici la fin du siècle, un épisode tel que celui de l’été 2003 deviendrait courant, voire serait régulièrement dépassé, tant en intensité qu’en durée. La France risque de connaître, d’ici 2100, des sécheresses agricoles quasi continues et de grande intensité, totalement inconnues dans le climat actuel. Concernant les pluies extrêmes, une tendance générale se dessine avec une augmentation de leur intensité, principalement en hiver, et une extension des zones impactées notamment vers le sud-est ou les Pyrénées.

Les territoires exposés aux risques d’incendies de forêts devraient être plus étendus, couvrant une part importante des forêts des Landes et de Sologne (horizons 2040 et 2060).

Pour la région Franche-Comté, c’est l’équivalent du climat de la Toscane qui est annoncé pour Besançon pour 2030, et celui de la Grèce pour 2050 !

Si l’atténuation des émissions devient aujourd’hui un impératif dans tous les secteurs économiques pour sortir le plus rapidement possible du scénario catastrophe qui s’annonce, il va falloir inévitablement prévoir dans le même temps des logiques d’adaptation à un climat qui sera de toute façon modifié à moyen terme. En effet, la chaleur déjà emmagasinée dans les masses d’eau comme les océans, les mers et les lacs continuera à se décharger dans l’atmosphère pendant plusieurs décennies, provoquant un effet d’inertie qui ne nous permettra pas d’échapper aux prévisions alarmistes de la période 2030-2050.

Une production fourragère durement affectée

L’impact global sur la production fourragère s’annonce important, avec des pertes annuelles de plus de 20% sur le rendement des prairies, soit entre 1,5 et 2 t MS / Ha. Le démarrage végétatif s’annonce plus précoce en début de saison avec une production de biomasse plus importante sur le premier cycle. La pousse sera ensuite absente, avec une possible dégradation des couverts sur le second cycle. La fin de période végétative s’annonce plus tardive avec une pousse plus importante en fin de saison. C’est schématiquement la récolte de regain qui se trouverait très affectée voire supprimée, avec la possibilité de compenser cette perte sur des récoltes de foin plus importantes ou des 3es coupes. Reste à voir la faisabilité des récoltes et la qualité de ces dernières à l’issue des périodes de pousse du début de printemps et de l’automne. En effet, les pluviométries annoncées sur ces périodes risquent d’être importantes, avec des séquences ininterrompues pouvant aller jusqu’à empêcher le pâturage pour des raisons de portance. Ce qui obligerait les éleveurs à affourager les animaux comme en hiver et provoquerait probablement la perte d’une partie de la biomasse ou des unités fourragères par piétinement ou par absence de consommation au pâturage.

Un nécessaire rééquilibrage du bilan fourrager

Dans ces conditions, une renégociation du bilan fourrager s’avère primordiale. On peut tout d’abord raisonnablement penser à adapter les pratiques de gestion des surfaces fourragères. L’amélioration de la gestion des engrais de ferme ou l’apport complémentaire d’engrais minéral azoté au printemps sont deux solutions, pas encore toujours pleinement mises en oeuvre dans de nombreuses fermes, et qui pourraient permettre d’exploiter pleinement le potentiel de pousse du début de printemps. L’introduction de prairies temporaires à base d’espèces résistantes à la sécheresse et plus productives dans des conditions climatiques plus méditerranéennes est une autre alternative à envisager. Si ces deux orientations sont loin d’être négligeables pour le complément fourrager qu’elles sont susceptibles d’apporter, il ne s’agit pas non plus de les surestimer. Dans un contexte de dérèglement climatique et de scénarios de précipitations ou de sécheresse extrêmes, on peut penser que leur efficacité serait amoindrie : lessivage des apports de fertilisants, difficultés d’implantation des prairies et conséquences sur le rendement… De plus, ces techniques peuvent être elles-mêmes sources d’émissions de gaz à effet de serre, ce qui remet en cause leur développement : les engrais nécessitent énormément de pétrole pour leur synthèse et leur émission et le retournement des prairies pour la mise en place de temporaires à durée de vie courte accentue les émissions.

Il reste donc à envisager une réduction du nombre d’animaux et du chargement. L’apport technologique du sexage des doses d’inséminations a permis aux éleveurs d’augmenter de manière spectaculaire leur élevage de génisses, les amenant à des niveaux de chargement souvent supérieurs à 1 UGB/Ha, et à des bilans fourragers de plus en plus tendus ! L’année fourragère difficile que nous venons de vivre, qui se solde à l’entame de l’hiver par des bilans fourragers en crise et des achats importants et coûteux de fourrages, ne s’annonce-t-elle pas comme un avant-goût de ce qui nous attend ? Et ne vient-elle pas tout simplement remettre les pendules à l’heure ? Il ne vous aura pas échappé que dans les pays méditerranéens dont le climat pourrait progressivement devenir le nôtre, la production laitière est réalisée principalement par le biais de chèvres ou de brebis, et presque jamais par des vaches ! Si l’ensemble du département ne devrait pas relever du climat de la Grèce, on doit tout de même considérer les pertes de rendement potentiel évoquées ci-dessus. Et il semblerait que des niveaux de chargement à 0,7 ou 0,8 UGB/Ha SFP soient plus adaptés pour remédier à un bilan fragilisé par des récoltes moins importantes, et une période d’alimentation sur stocks rallongée par les périodes estivales de sécheresse ou de fortes pluies. Cette évolution nécessaire implique a minima une réduction de l’élevage des génisses. Pour une productivité de 7000 l/VL, ce niveau de chargement est facilement atteint pour une densité laitière de 3 000 l/Ha SFP, même à 50 ou 60 % d’élevage. En revanche, l’affaire se corse pour des productivités à 4 000 l/ Ha SFP ou plus, où l’objectif d’élevage devrait être réduit entre 10 et 30 % pour conserver ce même équilibre. Jusqu’à un niveau de 30 à 40 % d’élevage, on peut penser que l’impact économique serait relativement neutre, la non-vente de la génisse qui ne sera pas élevée étant compensée par son coût d’élevage en moins. En revanche, en deçà de 30 % on risque de rentrer dans le dur, avec une pénalisation du renouvellement des effectifs de vaches traites en cas d’aléas, et en conséquence probablement moins de lait produit !

Occupons-nous du réchauffement avant qu’il ne s’occupe de nous

Si on ajoute à cette problématique l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre, que sont l’ammoniac et le protoxyde d’azote, de la consommation de protéines par les ruminants, il semblerait que les performances laitières actuelles des vaches pourraient être remises en cause par une planification plus ambitieuse des réductions des émissions. Dans ce cas de figure, c’est assurément la productivité laitière globale des exploitations qui en prendrait un coup, avec des conséquences économiques qui pourraient aller bien au-delà du tank à lait, et de nature à interpeller fortement le positionnement de la filière face à ce phénomène.

Dans tous les cas, il s’agit de prendre les devants en préparant votre exploitation dès à présent, tant que les conditions ne sont pas encore trop dégradées. Les conditions météorologiques prévisionnelles de chaque commune à horizon 2030 ou 2050 sont connues et accessibles à tous grâce aux travaux réalisés par Météo France sur la base des scénarios du GIEC. Et il est possible de caractériser l’évolution de la pousse des prairies à partir de ces éléments. Nos services disposent également d’outils comme le Rami fourrager, qui permettent de simuler l’évolution de votre bilan fourrager et de son niveau d’équilibre, en fonction de l’évolution attendue de la pousse de l’herbe et des adaptations retenues, en termes de gestion des surfaces et d’ajustement des effectifs. Si ce sujet vous intéresse, il fera l’objet d’un atelier à nos prochains rendez-vous de la Chambre d’agriculture, le lundi 19 novembre prochain, à l’EARL de Bontoitoux, chez Patrice Viennet, à Hautepierre-le-Châtelet.

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