Vers un avenir sans General Electric à Belfort ?

Après le plan social de la branche turbines à gaz, General Electric vient d’annoncer la suppression de l’entité Hydro à Belfort. Des emplois seront aussi supprimés dans la branche Steam, celle des turbines à vapeur. Alors que plus grand monde ne croit aux promesses du géant américain, l’idée de réorganiser l’industrie belfortaine sans General Electric fait son chemin.

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Gaz, Hydro, Steam. Toutes les branches de General Electric en activité à Belfort étaient représentées à la marche funèbre des salariés, symbolisant la mort de l’avenir industriel de la ville, et organisée ce jeudi par l’intersyndicale. Car près d’un an après le plan social qui a amputé la branche turbines à gaz de près d’un tiers de ses effectifs, soit 485 suppressions d’emploi, c’est maintenant la présence même de General Electric dans le nord Franche-Comté qui est remise en cause par le groupe.

La direction de General Electric a présenté au personnel lundi 21 septembre son plan social qui prévoit la disparition des postes des 89 personnes qui composent la branche Hydro à Belfort. Le même jour, un mail de Russel Stokes, patron de la division énergie monde de General Electric, annonçait le retrait de General Electric du marché des centrales à charbon. Cette fois, c’est la branche Steam en Europe qui sera affectée par des licenciements, et de possibles fermetures de sites.

Pour les salariés de Belfort, c’est le coup de massue. La confiance qu’ils pouvaient encore avoir en General Electric, déjà considérablement érodée au fur et à mesure des promesses non tenues du géant américain, semble complètement évanouie. Aujourd’hui, ils préfèrent envisager l’avenir sans General Electric, d’ailleurs tout comme les élus. Une nouvelle réunion du comité de suivi des engagements de General Electric, qui devait mettre en place un projet industriel en échange d’un plan de réduction des coûts suite au plan social de la branche gaz, se tiendra en novembre sous l’égide de l’État. Mais plus personne ne semble y croire.

« Les accords d’octobre dernier n’aboutiront sans doute jamais. Il ne faut plus compter sur GE pour diversifier et investir dans le site de Belfort et Bourogne [également dans le Territoire de Belfort] », commentait ainsi Marie-Guitte Dufay, présidente PS de la région Bourgogne–Franche-Comté après la révélation début septembre des intentions du groupe de supprimer 764 emplois en France. Damien Meslot, maire LR de Belfort, ne semble pas moins pessimiste en indiquant que « la direction ralentit tout investissement, ne donne aucune garantie quant au projet industriel et décide de délocaliser des activités en Hongrie ».

« Trouver une solution sans GE »

Côté syndicat, le ton est sans ambiguïté. « Il faut trouver une solution sans GE et l’État doit se positionner. Il existe des pistes de diversification pour rester un champion mondial de l’énergie. Il faut réagir, parce que si demain il n’y a plus d’usines, Belfort deviendra un ghetto comme Saint-Étienne l’a été après fermeture des mines », craint Philippe Petit-Colin, délégué syndical à la CFE-CGC et qui menait la bataille il y a un an.

Du côté de la CGT, qui engagera à la fin du mois un débat citoyen national sur le sujet de l’énergie, on indique que tout se passe comme elle l’avait prévu. « En 2024, GE devrait partir », prédit ainsi Cyril Caritey, délégué syndical. Et ce n’est pas une date qui tombe du ciel, elle correspond à la fin des engagements que General Electric était supposée tenir dans les accords de 2014 signés avec l’État suite au rachat de la branche énergie d’Alstom. « Il nous faut un investisseur s’adossant à un industriel français pour sauver notre savoir-faire, c’est une casse sans précédent ». Il envisage ainsi que la BPI (Banque publique d’investissement) s’associe à un capitaine d’industrie pour mettre sur pied un géant français de l’énergie.

 

Mais pour l’heure, c’est la marche funèbre qui s’élance. Entre 150 et 200 salariés précèdent une turbine, symbole du savoir-faire rare de ces ouvriers et ingénieurs. Un employé déguisé avec un costume noir et une faux se place devant les banderoles « GE Hydro Belfort doit vivre », « GE tue l’hydro ». Pour retarder symboliquement le convoi, plusieurs personnes se couchent sur le sol, attendant que la grande faucheuse passe les achever.

Face au « terrorisme industriel », « se structurer pour mener une action unique sur le site »

La mise en scène fournira de belles images, mais le moment n’est pas que médiatique. De mémoire de General Electric, et d’Alstom, cela fait bien longtemps que tous les syndicats et toutes les branches ne s’étaient pas retrouvés ensemble à Belfort. « Peut-être vingt ans dira l’un ». L’objectif des syndicalistes est clair, face au « terrorisme industriel qui va conduire à la fin de l’avenir industriel de Belfort », il faut « se structurer pour mener une action unique sur le site ».

Émilie Bader, syndicaliste CFE-CGC à la branche Hydro rappelle au micro les différents plans sociaux qui ont émaillé sa branche en France : 2013, 2016, la fermeture de l’usine de turbine hydraulique à Grenoble en 2017. « Ils veulent fermer Belfort et ne plus avoir que 7 personnes à Bourogne ». Lundi, la négociation avec la direction avait tourné court, « ils ne nous ont donné aucune réponse ». Elle appelle ardemment les politiques à les soutenir. C’est à ce moment qu’une Marseillaise entonnée en chœur éclate spontanément, donnant un caractère solennel et poignant à la scène. Derrière, on entend le ralenti du gros moteur du camion qui tracte la turbine.

« Cette industrie, ce n’est pas n’importe quel bien, c’est un bien commun. Je le répète, elle a été bâtie comme un outil par la collectivité pour se doter d’infrastructures. C’est nous tous, c’est nos parents qui l’ont construite, avec leurs impôts, c’est l’école publique qui a formé ses salariés. Comment est-ce qu’on pourrait accepter qu’un groupe, qui n’est que propriétaire des parts sociales le fracasse ainsi ? », s’offusque Dominique Thiret de la CGT sur le site Hydro en rappelant que l’entreprise s’est construite sur la commande publique d’électricité et du ferroviaire. Il souhaite porter la réflexion sur les moyens qui seraient appropriés pour « récupérer ce bien qui nous appartient et qui nous a été spolié ».

C’est au tour de Jean Berillon, du syndicat SUD, de s’exprimer lors de cette AG. Il prend le soin de préciser qu’il n’a pas l’habitude de parler au micro. « Mais j’ai l’impression qu’il va falloir que je me forme », ajoute-t-il en prévision des combats futurs. Dans sa branche, Steam, celle des turbines qui équipent les centrales nucléaires et charbons, il s’étonne du timing plutôt malhabile des annonces de suppressions de postes. « La même semaine qu’ils nous annoncent qu’on passe à la moulinette, ils nous organisent des formations sur le bien-être, veulent nous apprendre à manger moins gras… » Le nouveau combat qui attend tous les salariés de General Electric pourrait bien déboucher sur un débat plus large, souhaité par des salariés et des politiques, celui de la souveraineté énergétique et stratégique. La turbine, elle, est partie après une haie d’honneur des salariés, fiers de leur savoir-faire qu’ils entendent bien conserver.

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