Une utopie dans la tempête à Cléron

Xavier Marmier a construit sans permis une petite maison dans un arbre du bout de forêt qu'il a acheté en 2008. Il y vit depuis quatre ans, mais le maire lui demande de la démonter en invoquant le plan d'occupation des sols et la zone Natura 2000 Loue-Lison. Un barbecue de soutien est organisé vendredi 12 juin.

xaviermarmier

« Les jours de grand vent, je suis à l'écoute de tous les bruits, ça craque ! C'est comme un bateau autour d'un mat qui bouge... » Xavier Marmier avait rêvé d'une cabane dans les arbres quand il a acheté, en 2008, quelque 800 ares de forêt au lieu-dit Chante-Merle, à Cléron. Chemin faisant, son projet s'est transformé en petite maison où il vit à l'année depuis quatre ans.

Et la tempête qui s'annonce doit moins aux variations barométriques qu'aux arcanes du droit.

La maison fait 44 m2, a une chambre en mezzanine et est bâtie sur un plateau en sapin douglas contre-collé : « c'est imputrescible, ça vaut le mélèze », dit-il en faisant remarquer le « travail de pro » effectué par l'ami menuisier. Ce plateau est suspendu par des câbles que supporte une chaîne arrimée au tronc d'un grand hêtre, à une quinzaine de mètres du sol. 

En plein Natura 2000

Le hic, c'est qu'elle a été construite sans déclaration ni demande de permis de construire. « Je ne pouvais pas, ça aurait été refusé », reconnaît Xavier Marmier, lointain descendant de son homonyme parlementaire au début du 20e siècle. Et pour cause, la zone est classée non constructible au plan d'occupation des sols de la commune. Elle est même sur le site Natura 2000 des vallées de la Loue et du Lison (voir la carte, page 7, ici). « Ce n'est pas bon pour moi », admet-il.

Alain Galfione, maire de Cléron : « Si tous les services de l'Etat disent non, j'entérine »
Pourquoi agir maintenant, si tard ?
Je ne suis maire que depuis un an et je n'étais pas au conseil précédent. Je n'étais pas au courant de l'existence de cette maison. La DDT (direction départementale des territoires) m'a appelé en avril-mai 2014 pour me dire : il y a une maison dans les bois, il faut une demande un permis de construire. On a eu du mal à retrouver le propriétaire du terrain... Quand je l'ai vu, je lui ai dit de demander un permis. J'ai vu que ça l'embêtait et lui ai demandé pourquoi. Il savait que ce n'est pas constructible. Il est allé à la DDT à Ornans, est revenu me dire qu'il allait faire la demande, je l'ai aidé à la remplir... J'ai regardé son permis... Il y a le POS où c'est non constructible, Natura 2000, le site protégé de la vallée de la Loue : il a tout contre lui, je lui ai dit que ça allait être dur... L'architecte des bâtiments de France a émis un avis défavorable, j'ai suivi... Il y aurait une jurisprudence, la DDT le saurait, mais elle a mis un avis défavorable...
Ce refus, c'est votre décision ?
Si tous les services de l'Etat disent non, j'entérine. Quand il y a une réglementation, on assume.
En avez-vous parlé à votre prédécesseur ?
Je n'en sais rien. Je ne savais pas qu'il y avait une maison là...
Tout le monde le savait à Cléron !
Oui, sauf moi.
Vraiment ? Les gens en parlent...
Bien sûr. Si vous accordez le permis de construire, c'est n'importe quoi. On n'a pas le droit de faire ce qu'on veut, c'est un village classé [NDLR : la maison est à 3 km par la route]. Quand il a fallu que je fasse un abri dans mon jardin, je me suis renseigné : à moins de 20m2, on ne fait pas de demande de permis...
Et si la maison avait fait 19 m2 ?
Je ne sais pas. De toute façon, il faut faire une demande à la DDT.
N'est-ce pas un mode de vie qui est montré du doigt ?
Un mode de vie ? Dans le POS, il faut l'eau, l'électricité...
Xavier Marmier n'en veut pas et l'a mis sur sa demande de permis de construire...
C'est vrai, mais ce n'est pas ça qui fait le refus. Je regrette qu'il ne se soit pas renseigné avant.
Que va-t-il se passer ?
Je vais lui donner un délai, un délai ça peut se bouger... Il peut aussi faire un recours devant le préfet.
Avez-vous entendu parler d'une prescription ?
C'est 30 ans, m'a dit un notaire. Il n'y a pas prescription.
Savez-vous que Xavier Marmier a des soutiens ?
Je ne sais pas, il ne m'a pas invité, j'ai entendu dire qu'il y avait un méchoui...
Quelles sont vos relations personnelles ?
On n'a aucun problème.

Le savait-il quand il a acheté le terrain ? « C'est sans doute marqué sur l'acte de vente, mais devant le notaire ça ne m'a pas marqué... » Quoi qu'il en soit, quand Alain Galfione, le maire élu en mars 2014, lui demande de « régulariser », il joue le jeu et remplit la demande de permis de construire. « Il m'a dit qu'il me soutenait, mais le permis a été refusé. Il m'a tendu un bâton pour me battre... »

« Au départ, c'était une utopie »

Tout cela est raconté tranquillement lors d'un entretien qui se déroule sur la terrasse de la cabane, pardon le plateau qui soutient la maison. Comme si vivre dans les bois apportait une forme de sérénité. Même sans eau courante, même sans électricité. « Je suis assez rustre, je n'ai pas besoin de grand chose, seulement d'être au sec et au chaud. En forêt, il faut s'abriter de l'humidité, et un petit espace isolé, avec trois bûches dans le poêle, c'est chaud... Au départ, c'était une utopie, et j'en avait marre de payer un loyer. A l'époque, j'habitais Salins. Depuis 2011, j'y habite à l'année. L'hiver, avec les arbres sans feuilles, c'est beaucoup plus clair. Au printemps, c'est magnifique... »

L'idée d'expérimenter la vie en forêt a commencé à germer dans son esprit quand il travaillait comme élagueur, à la Vertige, une petite entreprise bisontine dont le fondateur, Jean-Marie Vieille, lui a « tout appris du métier ». Depuis, Xavier monte et démonte le chapiteau du cirque Plume. Certaines techniques lui ont été utiles pour bâtir son havre forestier : « le carré à la base est comme une couronne de chapiteau, et les jambes de force évitent que le plateau s'effondre... »

Parapluie et pot de chambre

A quelques mètres, une autre construction fait office d'atelier. Un sentier a été tracé depuis la route d'Amondans, une trentaine de mètres en contrebas. Ici et là des marches en bois facilitent la progression. Plus haut, la sente mène au compost et aux toilettes sèches... non couvertes. Conditions spartiates ? Mi Tarzan mi Robinson, Xavier Marmier sourit : la solution, c'est le parapluie et le pot de chambre...

Lire la réaction de Chantal Guillaume, maire de 2008 à 2014, ici

Comment vivre sans l'eau sur l'évier ? « C'est le plus gros souci, j'en récupère pour la vaisselle, j'en remonte pour boire... Dans ma demande de permis de construire, je m'engageais à ne rien demander à la commune pour les réseaux... » Comment vivre sans salle de bains ? « C'est le plus compliqué. C'était prévu, je pensais mettre un réservoir d'eau plus haut, mais vu la situation, j'ai arrêté les travaux. Tout est conçu pour récupérer l'eau du toit, il ne manque qu'une citerne et une pompe... »

Une poubelle tous les six mois

Et l'assainissement ? Xavier est plutôt écolo : « je n'utilise pas de produit vaisselle, seulement du savon noir ou bio, je ne rejette pas d'eau de javel ou autre... » Quant aux déchets, il est économe et laisse les emballages dans les magasins. S'il descend une poubelle tous les six mois chez sa compagne, qui habite au village, c'est bien le maximum. L'absence d'électricité est compensée par l'absence de réfrigérateur : « j'achète frais et je consomme vite ».

L'électricité est d'origine solaire : des batteries rechargées tous les deux mois pour un éclairage à diodes. Le réseau de téléphonie mobile lui permet même de se connecter à l'internet... On peut utiliser bougie et lampe à pétrole, sans pour autant négliger certains progrès techniques. Xavier sait bien les désavantages de sa situation, les difficultés d'accès, l'eau et les bouteilles de gaz à monter. Mais il s'est rudement bien fait à avoir les oiseaux pour voisins.

« On a été méprisé, marginalisé »

Au village, le refus du permis de construire délie quelques langues. « Ce matin, une femme que je ne connaissais pas m'a fait la bise pour nous soutenir », dit Line, la compagne de Xavier qui vient d'arriver, un peu essoufflée d'avoir gravi le sentier en courant. « Un gars d'Amondans m'a même dit que la déconstruction ne se ferait pas ! On a été méprisé, marginalisé », ajoute-t-elle.  Sur les messageries des proches, la nouvelle s'est répandue. Un barbecue de soutien est organisé ce vendredi 12 juin à partir de 18 h sur le petit parking situé sous la maison dans les arbres.

Si les textes paraissent soutenir la légalité de l'injonction de démonter la maison dans le délai d'un mois adressée par le maire le 14 mai, Xavier Marmier compte bien se défendre. Outre la mobilisation des amis, il évoque une possible prescription de 3 ans, soufflée par un juriste et un avocat...

Il a aussi l'aide de Claude Paquis, fondateur de l'ADIEP, association de défense des intérêts des entreprises et des particuliers, qui oeuvre en appui d'artisans et de petits entrepreneurs en délicatesse avec les banques et les administrations. « Il a fait ça sans permis, mais le maire lui a dit qu'il allait l'aider à régulariser avant de se défiler... En 2008 et 2009, personne n'a rien dit. Un adjoint est venu. A Cléron, tout le monde connaît la situation, a vu la cabane en hiver.Et pourquoi faudrait-il la détruite aujourd'hui ? Beaucoup de gens sont venus donner un coup de main à la construction, se sont investis dans le travail, un super truc social... »

 

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