Une étude biaisée pour vendre le fort Griffon ?

Un rapport du département du Doubs surévalue les couts de réfection du fort Griffon dont il est propriétaire pour mieux faire passer au privé la vente de ce monument inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Cette question n’a pas été débattue par les élus, mais tout semble déjà écrit. Plusieurs scénarios sont étudiés pour attirer les promoteurs, dont la marge est évaluée à 2,8 millions d’euros pour une opération qui doit comprendre des logements pour être rentable et avec, en bonus, une opération de défiscalisation menée par Next Financial Partners.

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Un manque d’information, c’est tout du moins ce qui peut être reproché au Conseil départemental du Doubs concernant sa volonté de vendre le fort Griffon, le pendant de la Citadelle à Besançon. Le département souhaite en effet s’en séparer parce que la configuration du bâtiment serait inadaptée aux besoins de ses services administratifs qui s’y trouvent. Interrogée une première fois lors d’une séance du conseil en 2017 après l’annonce discrète d’une éventuelle vente apparue dans un dossier technique, Christine Bouquin, la présidente, indiquait que la destination du fort n’était pas encore définie et « qu’il n’est pas à l’esprit d’en faire des logements ».

L’objectif de vendre le fort Griffon figure bien dans les orientations du SDID, le schéma directeur immobilier départemental, mais c’est dans l’opacité que le département avance sur la question. Une étude a été commandée en 2019 concernant la cession du fort de Griffon et de son corollaire, l’aménagement et l’agrandissement du site de Gay-Lussac à Besançon pour y déménager les services actuellement hébergés au fort. Pendant le confinement, un résumé de cette étude a été envoyé aux élus par la présidence. Dans le scénario qui est favorisé, le fort est mis en vente avec un usage de tourisme et de bureaux, mais surtout de logements pour 75 % de la surface et dont la plupart seraient orientés vers le marché du haut de gamme.

Alors que la question n’était pas à l’ordre du jour, Gérard Galliot, conseiller d’opposition PS et ancien conservateur en chef des musées de la Citadelle de Besançon, met les pieds dans le plat lors de l’assemblée départementale du 22 juin 2020 pour alerter ses collègues. Il n’a pas d’opposition dogmatique sur la question de la cession des monuments historiques, « mais tout le patrimoine historique n’a pas pour autant la même valeur symbolique », dit-il en plaidant pour que la collectivité publique reste propriétaire d’une telle bâtisse, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco au titre du « Réseau des sites majeurs de Vauban », afin d'en garantir la pérennité.

Un calcul biaisé qui ne reflète pas la réalité

Il souligne aussi un élément troublant. Le rapport, qui plaide sans aucune nuance en faveur d’une vente du fort, indique que l’étude « démontre que la stratégie retenue sera moins onéreuse que celle qui consisterait à poursuivre l’exploitation du fort Griffon ». Il est en effet indiqué que la requalification du fort Griffon couterait 40 millions d’euros au département s’il en reste propriétaire. En soustrayant « la subvention maximale escomptée de la Drac », qui s’élèverait à 30 %, le chiffre descend à 28,14 millions d’euros selon l’étude. C’est plus que l’extension du site de Gay Lussac, estimée à 22,25 millions. Mais pour Gérard Galliot, ce calcul est biaisé et ne reflète pas la vérité.

« Ils mettent le taux de subvention de la Drac à 30 %, ce qui est faux. J’ai travaillé 35 ans avec les monuments historiques, j’ai conduit je ne sais combien de travaux et c’était à chaque fois 50 %, d’ailleurs je n’ai pas été contredit. 30 %, c’est ce que l’on donne aux collectivités pour des bâtiments normaux, qui ne sont pas classés au patrimoine historique ». En intégrant ce taux, il serait plus avantageux pour la collectivité de réhabiliter le fort plutôt que de conduire des travaux à Gay Lussac. Le département a-t-il fait une erreur dans son calcul ? En tout cas, il ne souhaite pas réagir à cette question. « Il faut faire passer la pilule, faire comprendre qu’il faut se débarrasser du fort Griffon », estime plutôt Gérard Galliot. D’ailleurs, l’opération immobilière à Gay-Lussac est déjà entamée et prévoit bien l’accueil des services actuellement présents à Griffon.

Alors que les élus ne se sont pas prononcés sur cette vente, tout semble pourtant déjà écrit. Le rapport détaille les différentes hypothèses en fixant l’objectif d’une marge de 10 % pour le promoteur. Et cela n’est pas possible sans construction de logements. Sur 6 800 m2, le scénario de référence comprend 4 200 m² de logement libre sur un site « qui bénéficie d’une des plus belles vues de Besançon », 930 m² de logement social, 815 m² de bureaux et 740 m² pour une « auberge de jeunesse » qui serait géré par une entité publique et qui pourrait servir ponctuellement pour du logement d’urgence.

Ce scénario produirait un bénéfice de 2 millions d’euros pour le promoteur, « soit une marge de 8,52 %, inférieure à la marge cible, mais toutefois suffisante pour que des opérateurs envisagent de se positionner sur l’opération », pronostique le document. De son côté, le département ne dégagerait aucune marge de cession et conserverait les remparts, ainsi que les couts de restauration qui lui incombe. Et même s’il arrive à les vendre à la ville de Besançon, une partie des charges de restauration des remparts lui reviendrait.

La solution Next Financial Partners

Pour que cette opération aboutisse, il faut au préalable modifier le Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) du secteur pour y autoriser l’usage logement. Cette décision revient au final au préfet. Une autre difficulté concerne la séparation des remparts du fort, qu’aucun promoteur ne souhaiterait acquérir s’il fallait payer pour leur entretien. Mais cette division foncière apparait compliquée juridiquement. Le PDG de Next Financial Partners, qui mène une opération similaire contestée au fort de Briançon et qui a été associé aux discussions contrairement aux élus, souffle une idée qui parait retenir toute l’attention du département.

Pour contourner l’obstacle des remparts, il propose une cession en bloc du fort Griffon. Les remparts seraient donnés au promoteur, qui pourrait bénéficier d’une défiscalisation complète des travaux de réfection. Cela ne lui couterait donc rien et aurait aussi l’avantage pour le département de faire peser le cout de ses rénovations à l’État plutôt qu’aux collectivités territoriales. Next Financial Partners se chargerait du montage fiscal, de lever des fonds et de les réinjecter ensuite dans une société dédiée à l’opération. Dans ce cas, la marge promoteur serait de 2,8 millions d’euros (9,01%) et le département dégagerait un produit de cession de 470 000 €.

Le département nous indique qu’aucune option ne peut être confirmée, car il ne s’agit là que d’une étude préalable et que le document dont nous faisons l’analyse est destiné à éclairer la réflexion des élus départementaux sur les devenirs possibles de fort Griffon. Mais comme indiqué plus haut, il reste muet sur la question cruciale du taux de subvention que la DRAC pourrait accorder en cas de réfection du fort par le département, qui a par ailleurs de toute façon déjà engagé les travaux sur le site de Gay-Lussac. Et s’il nous signale aussi que tous les services ont été informés de leur future affectation, ce n’est pourtant pas le cas. Le CAUE, le Conseil d’architecture d’urbanisme et de l’environnement, qui avait déménagé à Griffon en juillet 2018, n’a jamais été prévenu. Le sujet semble embarrasser au-delà de l’opposition au sein du Conseil départemental, où le projet devrait bientôt être présenté en commission.

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