Un projet d’institut d’histoire sociale

Christian Corouge CGT 100 ans PSA

Devenu, depuis sa retraite, un « ouvrier-citoyen » comme il dit, Christian Corouge n’entend être ni en retrait, ni trop en avant. Il mène avec d’autres – n’allez pas lui dire qu’il dirige – un projet d’ « institut d’histoire sociale » pour le pays de Montbéliard.

Etre également un « passeur ». Transmettre la mémoire des ouvriers des chaînes de montage dont l’activité, la parole, la vie ont été si peu considérées. Permettre des échanges avec des sociologues, des historiens, des cinéastes, d’autres encore. Un projet « grandiose » : lieu de partage de savoirs, de savoir-faire, d’éducation populaire, qui devrait voir le jour en 2020. « 300 à 400 ouvriers de l’usine pourraient avoir le désir de participer, de suivre des cours, de voir des films pour en discuter » et aller plus loin qu'une consommation passive. Un lieu qui ne soit pas un musée où l’on n’exposerait que des objets-marchandises.

Christian Corouge est frappé des différences entre générations. Sa jeunesse et celle d’aujourd’hui semblent à des années-lumière. Technologies, vitesse, distance ont été bouleversées. Il est convaincu cependant qu’une communication féconde peut, doit être établie. Passeur il a été, entre le monde des OS et celui de la culture, des sciences humaines, passeur il veut être pour les jeunes de la région, en particulier ceux dont il a vu arriver les parents ou les grands-parents de l’étranger. Christian Corouge a en tête un legs généralement manqué de la culture ouvrière. Il souligne la dévalorisation des filières techniques par l’Education nationale, la disparition des ouvriers dans les grands médias : « à partir des années 80 on ne voit que les robots dans les usines », l’image méprisante du « prolo dégueulasse et alcoolique » volontiers véhiculée, tout cela y est pour beaucoup. La conscience politique, l’action syndicale de la classe ouvrière s’en sont trouvées affaiblies. Christian Corouge ne se résigne pas à ce constat d’un défaut de transmission. Il fait observer l’implication des jeunes lors des élections professionnelles, la combativité des précaires quand nécessité fait loi et que des initiateurs s’affirment. Il cherche à comprendre, suggère que de nouvelles formes de revendications et de luttes sont en gestation. « Retrouver du collectif » est impératif.

Ce projet d’institut a reçu un écho « plutôt favorable » auprès des élus locaux, Pierre Moscovici et Martial Bourquin. Des premiers financements par l’Agglomération sont prévus pour 2014. De jeunes chercheurs en sociologie, élèves de Stéphane Beaud, travaillent déjà sur deux sujets : l’installation des travailleurs marocains dans l’Aire urbaine et la transmission (encore) entre délégués syndicaux de générations différentes. L’année prochaine la question du taylorisme et de ses conséquences sera étudiée.

Il y a comme un impératif à ce que Christian Corouge raconte. Comme un témoin capital, du cœur de l’action, il revient sur l’expérience des années de lutte avec toujours la même force de conviction. En formulant très personnellement une réflexion qui ne veut rien devoir à personne, il ne veut ni se distinguer, ni s’éloigner du vécu partagé. Originaire de Cherbourg, il est arrivé à Sochaux à 18 ans en 1969. Issu d’une famille ouvrière, titulaire d’un CAP d’ajusteur, il est embauché comme ouvrier spécialisé, OS, aux usines Peugeot. Délégué CGT en 1973, il ne ménage pas sa critique vis-à-vis de la bureaucratie syndicale, refuse de devenir permanent et repousse les promotions professionnelles à des moments clefs. Selon lui, se présente la « chance inouïe » de rencontrer des hommes de culture, sociologues et cinéastes : il participe aux groupes Medvedkine avec qui il réalise trois films de 1970 à 1973, coopère aux travaux des sociologues Stéphane Beaud et Michel Pialoux depuis le début des années 80. Au cours de sa carrière, il a été mis à pied 85 jours, il a été l’objet de deux demandes de licenciement à l’Inspection du travail puisqu’il était délégué (elles ont été refusées). Il a choisi de rester OS jusqu’en 1990, de défendre et promouvoir la dignité de ceux qui assurent la base de la production. La situation des femmes, des immigrés, des jeunes travailleurs intérimaires, l’accès à une expression culturelle propre, le refus d’une certaine « honte sociale » le mobilisent toujours. Christian Corouge est à la retraite depuis mai 2011. Il dit sa fatigue, son usure et même son refus de « la bagarre pour la bagarre ». Dans le monde tel qu’il va, il reste sur la brêche. 
 

 

 

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