Pour un plan de réparation des dommages causés par 40 ans de guerre sociale

La France, mon pays, est essorée comme après une guerre. Une guerre menée par le néolibéralisme technocrate contre les pauvres, l’éducation et la santé pour tous, la justice. Contre la société. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir l’état des lieux. Ouvrir les yeux sur les conditions de vie. Lire les études sur les connaissances des élèves. Voir l’espérance de vie reculer dans les catégories sociales défavorisées. Noter l’augmentation des taux d’obésité ou diabète. Souligner la consommation de médicaments psychotropes...

Et si c’est insuffisant pour convaincre, prendre en considération le stress au travail ou dans les transports, la diminution du nombre d’enfants sachant nager (parallèle à la diminution des piscines publiques et les bas salaires de maîtres-nageurs), la malbouffe qui continue de progresser, le nombre effarant de jeux de hasard.

Disant tout cela, je n’ai pas encore évoqué les déserts médicaux, la misère de la psychiatrie, le recul ou la disparition des services publics, la haine en ligne et l’inculture médiatique, la pollution de l’eau, de l’air, des sols...

Mon pays, la France (mais pas qu’elle), est essoré comme un pays peut l’être après une guerre de quarante ans contre le progrès humain, social, économique, culturel. Cette guerre s’est menée par petites touches et menues attaques successives et se cumulant. Ses caractéristiques sont économiques, idéologiques, coercitives...

Economiques : 10 % de la création de richesses sont passés de la rémunération du travail à celle du capital. L’industrie est partie à l’autre bout de l’Europe ou du monde où des travailleurs sous-payés fabriquent nos biens quotidiens.

Idéologiques : sous la pression de médias de marché devenus majoritaires par décisions politiques (privatisation de TF1, attribution de fréquences de Berlusconi à Bolloré...), l’individualisme, la consommation, l’entre soi, la dépolitisation sont devenus des valeurs sans cesse martelées et rabâchées, ouvrant la voie au racisme, à l’autoritarisme, à la haine de la pensée critique... Ces « valeurs » sont promues avec ardeur par des médias extrémistes et ultra-conservateurs, et hélas trop souvent relayées par des responsables politiques.

Coercitives : le recul des droits sociaux, des libertés individuelles et collectives s’opère sous la pression des technologies numériques peu régulées, des contre-réformes rognant les espaces de délibération (plan Juppé, loi travail, réforme des retraites...) et de sécurité collective (lois policières, lois immigration, politique sanitaire, environnement...).

Ce tableau désolant – désolation dans un pays riche – pourrait paraître exagéré pour les personnes et catégories sociales n’ayant pas été victimes de cette guerre économique aux terribles conséquences sociales. La fragmentation de la société en ensembles humains de plus en plus ignorants les uns des autres, empêche la connaissance mutuelle, invisibilise ou caricature les espaces qu’on ne fréquente pas, les populations qu’on ne côtoie pas.

Cette guerre peut se poursuivre et s’accentuer en cas de victoire électorale de l’extrême-droite. Pas besoin d’un dessin pour connaître ses projets : coercition et contrôle accrus sur l’école, la justice, les médias ; chasse aux étrangers, aux militants syndicaux et associatifs, criminalisation de l’opposition...

De cette guerre, on peut aussi sortir avec un vaste plan de réparation. Vu l’état des forces politiques, les conditions de sa réalisation, voire de sa conceptualisation, restent à réunir. La condition la plus favorable serait que la gauche, dans son ensemble, soit majoritaire à l’Assemblée nationale, sinon au sein du front républicain (ou anti-fasciste).

A quelques heures de la fermeture des bureaux de vote, sauf sursaut des abstentionnistes de gauche et/ou efficacité maximale du front républicain, il est vraisemblable que la gauche ne sera pas majoritaire. Dans cette hypothèse, la responsabilité des sociaux-libéraux, des centristes, de la droite dite sociale et de la droite républicaine est immense. Ces partis devront reconnaître que les dégâts économiques et sociaux sont les résultats de la guerre sociale de quarante ans qu’ils ont menée ou accompagnée. Laissons leur le choix des mots pour le dire, l’essentiel étant qu’ils y consentent, ne serait-ce que poussés par leur défaite politique. L’objectif est qu’ils contribuent, ou ne l’entravent pas, au plan de réparation des dommages de guerre à mettre en place, à l’image de ce que le pays a connu en 1945.

C’est politiquement nécessaire pour éviter la menace de l’extrême-droite pour 2027. Il faut donc faire vite, mais sans se précipiter. Réapprendre le parlementarisme, la négociation, l’écoute : tout ce que la 5e république nous a désappris. La gauche devra éviter les compromis programmatiques mortels de type « grande coalition » (entre la droite et la gauche) qui, jusque là, ne se sont réalisés qu’au détriment des classes populaires, des classes moyennes inférieures et de l’environnement.

L’exprimer ainsi montre à quel point la marche est haute, dans un climat d’hostilité médiatique, de puissance des marchés, de surveillance des instances européennes. Mais sauf une victoire de la gauche avec majorité absolue, je ne vois pas d’autre solution... La mobilisation de la société civile est, dans cette perspective, un atout et une nécessité.

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