Un débat décrié, mais des attentes urgentes

À Lure, le débat consacré à l’organisation des services publics aura donné lieu à des échanges intéressants. Mais il n’y a presque que le député LREM Christophe Lejeune présent dans la salle pour adhérer à la démarche du grand débat national. Cette méfiance n’a pas empêché les autres participants d’exposer leur colère et le sentiment d’abandon qu’ils ressentent. Et presque tous préviennent dans une atmosphère parfois lourde : le retour de flamme risque d’être terrible si des réponses concrètes n’émergent pas rapidement.

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« Y participer de manière loyale, mais sans illusion ». En introduisant l’édition luronne du Grand débat national consacré à l’organisation des services publics, Éric Houlley, maire de Lure et vice-président en charge de la cohésion territoriale à la région Bourgogne-Franche-Comté, ne mâche pas ses mots. « Cette démarche apparaît avoir des finalités ambiguës et j’émets quelques doutes méthodologiques, mais notre devoir est de la faciliter. Il ne faut jamais récuser les débats publics et l’échange d’idées ». Le ton est donné d’entrée ce 11 mars au débat organisé par l’association des maires ruraux de France. En guise de présentateur, Bruno Leprat, journaliste et « animateur de débats professionnel », qui donnera à ce temps d’échange un air de talk-show télévisé.

L’intervenant suivant n’est pas inconnu ici. Michel Antony, du Comité de vigilance pour le maintien des services publics de proximité de Lure et Luxeuil, se lance à son tour dans une tirade largement applaudie. « Nous aussi nous sommes dubitatifs. On se retrouve un peu piégé parce que nous sommes démocrates et que l’on tient à débattre. Mais ce qui est ahurissant, c’est que l’on a vocation à débattre des services publics au moment ou l’État continue à les détruire. C’est un vrai mépris pour les citoyens ».

Son voisin de droite, Patrick Tournadre, lui aussi membre du Comité de vigilance, en remet une couche. « Les gens disent qu’ils ne viendront pas parce qu’ils ont le sentiment que tout est joué d’avance, que tout est verrouillé. Je suis retourné cet après-midi sur le site du grand débat version électronique en me disant que, peut-être, ils avaient fait quelques modifs pour permettre plus de liberté d’expression. Essayez, vous avez quatre questions et un quiz, les réponses sont fermées. On nous annonce par avance que l’on ne pourra pas tout faire, qu’il ne faut pas trop espérer. Je crains que si des solutions très concrètes ne sont pas apportées aux revendications, il risque d’y avoir un effet boomerang dévastateur ».

« Rien de plus dangereux que de décevoir l’espoir »

Une quarantaine de personnes sont présentes ce soir, « je pense qu’en 1789 les gens étaient plus nombreux », déclare l’un d’eux un peu déçu. Il voudrait plus de conférences, de débats, sur des thématiques importantes, il regrette le manque de possibilité « d’apprendre plein de choses ». La personne derrière lui acquiesce, et dit s’être instruite avec les différents débats auquel il a pu participer. « J’ai pris conscience que dans ma vie quotidienne, j’étais ignorant du fonctionnement de la République. Je me suis senti coupable de beaucoup de préjugés sur les institutions et les gouvernements, les choses ne sont pas aussi simples que l’on croit ». Il appelle à continuer les discussions après la fin du Grand débat national et indique qu’il a fondé un mouvement de réveil citoyen, une page sur Facebook. Il avertit aussi : « je pense qu’il n’y a rien de plus dangereux que de décevoir l’espoir. J’ai peur que l’on en sorte avec un goût amer, cela aggravera la rupture si ce n’est pas à la hauteur de nos espérances ».

L’animateur propose une question, la dématérialisation des pouvoirs publics laisse-t-elle trop de citoyens de côté ? Il veut comptabiliser les voix, « parce que l’État a besoin de données chiffrées ». Une énorme majorité répond oui, mais certains font remarquer que la question est très mal posée. « Si c’est ça le grand débat, je rejoins les autres commentaires. On dématérialise, mais pour abreuver le citoyen d’âneries dans les boîtes aux lettres et ailleurs c’est pipeau. » Une bonne partie de l’assemblée se déclare attachée au lien social et à la proximité des services publics et remet en cause le principe de la dématérialisation même. Les couacs liés aux démarches pour obtenir une nouvelle carte grise laissent des traces. Le maire de Lure vient adoucir la position des plus réfractaires au numérique. « Il ne faut pas être hypocrites entre nous, on réserve des billets de train par voie électronique, on utilise les outils informatiques. Mais il ne faut pas opposer la modernisation et le côté humain, je pense que l’on peut faire les deux ».

Un élu d’un petit village constate la déliquescence des services publics. « Ce besoin de faire du lien me paraît fondamental, je trouve ça effarant qu’on nous laisse autant à l’abandon, il y a 900 chômeurs dans ma petite com-com. Il y a une nécessité de retrouver la proximité, que ce soit pour le travail, les services, tout. C’est nécessaire de faire converger nos idées. Mais je me sens très seul, il n’y a que moi qui ai fait mes doléances dans mon petit village. » Personne n’attend vraiment quelque chose de ce débat gouvernemental, tant l’exécutif paraît intransigeant et a déjà indiqué qu’il ne pourrait pas faire bien plus que ce qu’il a déjà annoncé. Mais le cadre imposé n’empêche pas des prises de paroles fortes. On ressent un malaise profond, qui s’exprime dans une effervescence et une exaltation électrique. L’urgence est pesante. 

Le député refuse de se positionner pour ou contre l’obligation d’installation des médecins

Ici, comme dans de nombreuses zones blanches en France, la question du manque de médecin est critique. « C’est l’angoisse dans certains endroits. On parle des généralistes, mais il y a aussi une pénurie de spécialistes », dira l’un. Le député LREM Christophe Lejeune, resté discret jusque là, invoque la fin du numerus clausus. Il a bien conscience que les effets ne se feront pas ressentir avant 10-12 ans, mais pour justifier une situation qui devient intenable pour les habitants, il préfère mettre l’accent sur le fait que 30 % des étudiants inscrits en deuxième année de médecine n’exercent pas ce métier ensuite. « Sur 8.200 étudiants, cela en fait bon an, mal an, 2.500 qui n’exerceront pas la médecine. Mettez ça sur une carrière de 40 ans vous avez 100.000 médecins en moins ».

Il refuse de se positionner pour ou contre l’obligation de l’installation des médecins dans les zones de désert médical, ce qui apparaît à beaucoup ici comme une mesure efficace et rapide de soulager ces territoires qui souffrent de pénurie. « On n’a pas le droit de laisser en déshérence des personnes. Il faut savoir si c’est l’intérêt général qui compte ou l’intérêt corporatiste. Je ne comprends pas pourquoi ça bloque sur l’obligation, tout le monde sait que c’est la solution, 95 % des départements sont concernés par la démographie médicale, et le pire c’est dans les départements hyper urbanisés. Il faut une décision politique nationale et trouver des compensations pour les médecins », tonne Michel Antony.

Face au cri d’alertes « attention, dans les campagnes, on meurt », le député de la majorité et son soutien peinent à convaincre l’auditoire. C’est une remise en cause radicale de leur politique, de l’organisation de l’État et de l’ensemble du système politique et économique qui leur est opposée. Pour un débatteur, il serait presque déjà trop tard. « Nous sommes dans un contexte de catastrophe climatique, et à mon avis il va falloir tout revoir, remettre à plat tous les débats. Ces enjeux, comme trouver un hôpital, vont devenir secondaires par rapport à d’autres, comme l’accès à l’eau », déclare un participant. Pour une autre, le décalage est tellement important entre les gens et le pouvoir que celui-ci ne mesure pas ce qu’il fait. « Il y a le problème du pouvoir d’achat, il prend aux gens sans savoir, mais on gère un budget, on a des soucis de remboursement, on aide notre famille. L’État ne fonctionne pas comme nous, il dépense sans compter ».

Plus proche de 1789 que de Mai 68

Le climat de la salle vibre d’une colère, encore sourde, qui traduit des heures graves. Tout le monde ici semble imprégné de l’importance du moment, des enjeux qui se déroulent. « On ne serait pas là ce soir sans les Gilets jaunes. J’y ai vu le désespoir, le dégoût, la colère. Quand vous voyez une dame de 74 ans qui vous dit qu’elle a à peine 500 € pour vivre, quelqu’un qui va travailler pour seulement une heure et demie loin de chez elle, on voit que les gouvernants sont bien déconnectés de toutes ces profondes réalités. Ce mouvement signe la fin de cette verticalité odieuse. Mais si nous n’avons que de vagues promesses, ou d’hypothétiques décisions qui ne viendraient pas, je crains le pire. Le retour de flamme sera terrible. Les Gilets jaunes laisseront une trace indélébile dans l’Histoire, mais ce n’est pas à rapprocher de Mai 68, qui était un mouvement du bonheur, il faut plutôt voir dans les fondements de la révolte actuelle, une situation plus proche de 1789, qui était un mouvement du désespoir. »

On ressent physiquement ce « feu qui couve » et ce qui doit ressembler à une ambiance insurrectionnelle ou pré-révolutionnaire. Durant ce débat, un léger incident, des tons de voix un peu hauts, oblige l’organisateur à faire un rappel de la charte de bonne conduite. La discussion entre le camp du député et d’autres portait sur le mot dictature, de plus en plus employé pour qualifier le virage autoritaire du Gouvernement et la répression inédite qui frappent un mouvement tout autant inédit. Cette interruption de séance a énervé une dame, qui est sortie de la salle. Elle revient quelques minutes plus tard et s’explique. « J’entends qu’il faille rappeler les règles, mais je trouve que c’est très infantilisant, d’autant qu’il n’y a eu qu’une légère intensité sonore que l’on n’avait pas eue avant. C’est assez surprenant et cocasse de se faire reprendre dans la discussion, et c’est drôle de le faire juste après avoir évoqué les risques d’un État totalitaire ».

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