Trois femmes et un confinement/ Jour 5

Jour 5, ça se complique

j_5_photo_2

JOUR 5 - MIMI

Jour cinq. Jour 5. Cinq, un mot. 5, un chiffre. C’est comme cela que je vois le cinq, le 5… Nina dirait « Mimi, tu ne serais pas en peu cinqglée ? » Cinq donc. Non, jour 5. Ce 5 sonne comme une cinqbale, comme un toccinq, il a des allures d’avertissement. Pour moi. Va savoir pourquoi, au jour 5 du confinement, une sorte de chape de plomb me tombe dessus. Je commence à avoir les jetons. Bon sang ! C’est vraiment vrai ! La sale bête existe. Elle s’est multipliée en armée de sales bêtes. Unies contre l’espèce humaine, organisées en escadrilles, elles rôdent, elles cherchent des proies, elles se rapprochent camouflées dans des gouttelettes, leur cheval de Troie, elles tuent. Gare à celles qui ne sont pas confinées ! Gare à ceux qui ne sont pas confinés ! Une amie très chère, vraiment très chère, me dit qu’une de ces sales bêtes a mené une attaque contre elle. Que pour l’instant, elle résiste. Il faut dire que mon amie chère, très chère, est une militante. Alors pensez ! Elle en a vu, du monde, avant les élections et pendant les élections ! Elle en a pris, des postillons dans les narines !

Jour 5. Je me demande si chacune et chacun d’entre nous, aura SON jour du confinement. Ou peut-être plusieurs jours, eux aussi barrière ? Pour moi, il y aura avant le 5, et après le 5. Je me sens plus grave, plus inquiète, plus concernée. Je pense aux infirmières, je pense aux médecins. Il leur faut les moyens de leur guerre qui est aussi la nôtre. Ils sont notre ligne Maginot et celle-là ne doit pas craquer. Pourquoi le gouvernement n’organise-t-il pas un plan Marshall, afin que des masques, des respirateurs, des gants, des blouses, soient fabriqués en nombre et en urgence ? J’ai mal pour eux, j’ai honte de ce gouvernement, mais cela, ce n’est pas nouveau.

Jour 5, donc. Dans quel état serons-nous, toutes et tous, au jour 20, peut-être au jour 30…40… Résister, s’organiser, mettre du beau dans le laid. Ce n’est pas donné à tout le monde, je le sais. Quelles leçons seront tirées après ? Car il y aura un après. Le capitalisme a la mémoire courte et les dents longues, il est parfois pire que la sale bête. Ce sera à nous de jouer. Comment ? C’est déjà à nous de jouer.

Tout le monde, dit-on, s’est précipité pour lire ou relire La Peste, de Camus. Il se trouve que parfois, tout le monde n’a pas forcément tort.

J’ai retrouvé un passage, que je vous livre, en prime du jour 5.

Ainsi, à longueur de semaine, les prisonniers de la peste se débattirent comme ils purent. Et quelques-uns d’entre eux, comme Rambert, arrivaient même à imaginer, on le voit, qu’ils agissaient encore en hommes libres, qu’ils pouvaient encore choisir. Mais, en fait, on pouvait dire à ce moment, au milieu du mois d’août, que la peste avait tout recouvert. Il n’y avait plus alors de destins individuels, mais une histoire collective qui était la peste et des sentiments partagés par tous. Le plus grand était la séparation et l’exil, avec tout ce que ça comportait de peur et de révolte.

JOUR 5 - ANOUK

Pour commencer, je tiens à remercier Nina, parce que sans elle, franchement, on rigolerait nettement moins. Ensuite, je tiens à remercier Mimi, qui a pris soin, dans son billet d’hier soir, de faire la publicité pour mon roman ado, 2105 Mémoire Interdite, publié aux éditions AUZOU, 14,95 euros, disponible dans toutes les bonnes librairies (ah bin non, merde !). Par la grâce de l’amour maternel – dont, soyez en sûr.e.s, nous aurons l’occasion de reparler dans cette chronique – me voilà au même niveau que Proust, Homère, Joyce, et même Jésus ! Alléluia !

Puisqu’on en parle, de mon roman, parlons-en, pour glisser vers un autre sujet : le temps. Quand je préparais l’écriture de ce roman, j’ai été obligée de me documenter sur le cerveau, et sur le temps (qui est l’un des sujets du livre). Ainsi, j’ai appris des choses extraordinaires, que je ne suis pas sûre de pouvoir restituer tout à fait clairement, mais je vais essayer. Le temps, nous le savons maintenant, n’est pas universel, et il ne « coule » pas. Le temps ne « passe » pas, il n’est pas « linéaire ». Le temps n’est pas le même en fonction de l’altitude, par exemple, il est sensible à la vitesse, qui le modifie… Le temps est indissociable de l’espace, c’est pourquoi on parle d’espace-temps et cet espace-temps serait une sorte de tissu déformé par notre planète Terre, qui entraînerait la gravité. La gravité n’est pas une force qui nous attire vers le sol, la gravité, c’est quand nous glissons sur l’espace-temps, et que la Terre nous rattrape. C’est drôle non ? On se croirait dans un film de Buster Keaton. Et c’est vrai qu’hier soir, ayant un peu de mal à m’endormir, confinée dans l’espace et dans un temps à l’arrêt, écoutant le silence, je pouvais presque la ressentir, cette impression d’être suspendue, lovée dans l’espace-temps comme dans un hamac.

En outre, si j’ai bien compris, la zone de la mémoire est, dans notre cerveau, située au même endroit que ce qui nous permet de nous orienter. Notre mémoire et notre sens de l’orientation, ce n’est pas la même chose, mais c’est lié ! Toujours cette notion d’Espace/temps. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une limitation de notre espace, et nous avons tous constaté que cela modifie notre temps, le temps que nous avons, le temps que nous percevons…  Et puis l’absence de perspective, puisque nous ne savons absolument pas quand ni comment tout cela va se terminer, nous pousse à nous replier sur notre mémoire et notre imagination. Or, l’esprit humain opère en permanence des allers et retour entre la mémoire et l’anticipation, c’est ce qui nous donne ce sentiment d’écoulement du temps.

Confinée dans l’appartement de mon enfance, entre ma mère et ma fille, et donc entre mon ascendance et ma descendance, d’une certaine manière, coincée entre les deux, j’interroge bien sûr mes choix passés, et j’appréhende avec une anxiété que j’imagine partagée, plus encore que d’habitude, mon avenir, celui des miens et plus globalement notre avenir commun. Ainsi, je me répète, pour bien m’en convaincre, et dans une tentative sans doute un peu vaine de reprise de contrôle, je me répète que dans cette histoire, tout est affaire de temps, puisque le plus dur est à venir. C’est sur la longueur que nous allons nous révéler.

JOUR 5 - NINA

RAS, l'opération sauvetage de Nina a été reportée. Journée exactement identique à toutes les autres.

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !