Toufik de Planoise en appel : la version policière en question

L'ancien correspondant de Factuel a contesté la version policière de l'échauffourée en marge d'une manifestation de Gilets jaunes le 13 avril 2019. Plaidant la relaxe, son avocat s'est étonné qu'un enquêteur commente une garde à vue sur les réseaux sociaux, a souligné l' « interprétation erronée » des images par la police et le parquet, tout en s'inquiétant des atteintes à la liberté de la presse. Décision le 22 juin. EDIT 29/06 : Toufik-de-Planoise écope de 150€ d'amende (2 mois de sursis en 1ère instance).

Quelques dizaines de personnes se sont rassemblées ce mardi 4 mai vers 13 heures 30 sur un petit coin de l'Esplanade des droits humains à Besançon. C'est l'heure à laquelle Toufik de Planoise est convoqué devant la Cour d'Appel qu'il a saisi car il n'accepte pas la condamnation à deux mois avec sursis infligée le 16 mars 2020 par le tribunal judiciaire pour violences en réunion.

« Vous avez un comité de soutien ? » lui demande le président presque cinq heures plus tard quand il comparaît enfin. « Des collègues, des amis... », répond le prévenu en hésitant un peu. Le magistrat veut le mettre à l'aise – « C'est tout à fait autorisé... » – avant d'entrer dans le vif du sujet : « Pourquoi avoir fait appel ? Vous contestez les faits ? La décision ? » Réponse : « je conteste ma culpabilité. Je suis là pour m'expliquer ».

On comprend dès lors que cette audience ne ressemblera pas à celle de première instance où Toufik avait été laconique, embarrassant son avocat. Il avait aussi été plombé par les autres prévenus qui ont tous reconnu les faits et accepté leur peine. Là, l'ancien correspondant de Factuel entend « apporter des précisions » à la version sur procès-verbal d'enquête policière dont le président lit les passages où lui sont attribués un coup de pied et un coup de poing sur RL, un homme ivre qui venait de frapper son confrère de Radio Bip. Le geste avait entraîné une échauffourée impliquant une vingtaine de personnes tentant de maîtriser l'homme, agressif et véhément, le tout sur fond de gaz lacrymogènes à 50 mètres d'un cordon de policiers impassibles.

L'interprétation des images...

Toufik reconnaît le coup de pied, assure que dans le feu de l'action il voulait empêcher RL de frapper une jeune fille dans la mêlée. Il conteste le coup de poing, explique qu'il entendait seulement « empoigner au col » RL pour le maîtriser. Les enquêteurs ont joint une image tirée d'une caméra située de l'autre côté du Doubs. Toufik et son avocat, Me Stucklé, argumenteront sur la mauvaise qualité de cette image, son caractère isolé, et surtout l'angle de la prise de vue, contredite par d'autres images accréditant la thèse de l'empoignade...

Pourquoi Toufik a-t-il – comme il en a le droit – gardé le silence devant les enquêteurs en garde à vue ? « Pour une raison très simple : l'enquêteur s'était exprimé sur ma culpabilité sur les réseaux sociaux. C'était hors de question de m'engager dans ces conditions », répond-il. Le président paraît compréhensif et hoche la tête.

Le magistrat poursuit son instruction, évoque une vidéo où l'on entend Toufik dire à propos de RL : « maintenant, il se casse ou on le lamine... » L'avocat général l'interroge aussi sur ce point. Le prévenu explique : « J'étais sous le coup de la colère après qu'il eut frappé mon collègue... » L'avocat général poursuit : « Quand on se targue d'être journaliste, ne faut-il pas être davantage sur la réserve ? » Réponse : « On peut toujours en discuter, est-ce bien ? Est-ce mal ? Je suis un être humain, j'ai réagi de la manière la plus sincère que j'ai pu. »

Le président montre une photo : « on vous voit la main en avant... » Toufik réagit : « C'est ça, je le repousse en le prenant par le col ». Le président : « la police dit que c'est un coup ». Toufik : « C'est leur interprétation. » Le président réexamine la photo : « oui, d'accord... » Un doute plane sur la version policière...

L'avocat général, quant à lui, doute peu. Il estime les faits « caractérisés » et ajoute : « on le voit, me semble-t-il, commettre des violences qui ne sont pas justifiées par l'état de danger de RL qui n'en présentait pour personne. Il n'est pas établi qu'il menaçait la jeune fille ». Il insiste sur « l'agressivité dans la voix de [Toufik] qui montre son état d'esprit ». En conséquence de quoi il requiert la confirmation de la condamnation de première instance.

Entraves répétées à une mission de presse

Pour la défense, Me Stucklé avance plusieurs arguments. Il affirme que Toufik fait appel « parce qu'il ne peut pas se considérer comme coupable » et que « ce n'est pas le chien fou que la police présente ». Il s'étonne qu'un « policier commente une garde à vue sur les réseaux sociaux », souligne que son client a « écrit sur les violences policières et que ça plaît moyennement », insiste sur des entraves policières à son égard : « empêché d'accès à certains lieux [de manifestation], confiscation de matériel... » Et si le correspondant de presse est à la barre, c'est « parce qu'il est grand, qu'on le reconnaît à son casque orange : il n'y a aucune chance qu'il soit noyé dans la masse... »

L'avocat s'attaque ensuite à la notion juridique de « violences en réunion » qui suppose une préparation : « la coaction n'est pas caractérisée », assure-t-il. Puis il décortique l'usage des images : « une photo correspond à un instant T. On n'a rien sur l'avant, l'après, ce qu'il y a hors cadre, sans compter l'effet optique de l'angle de la prise de vue... Quant à retranscrire une vidéo, c'est seulement de l'interprétation. »

Passe ensuite le rôle des forces de l'ordre au moment de l'échauffourée : « elles sont là et que font-elles ? Elles regardent ! Elles interviennent une fois les coups échangés. C'est beaucoup demander à Toufik de lui demander de faire le service d'ordre. Plusieurs attestations soulignent qu'il a temporisé, a bien pris RL au col... Celui-ci ne représentait pas un danger pour l'avocat général ? Mais je peux dire le contraire : il était alcoolisé et très agressif. Et s'il avait commis encore plus de violences, n'aurait-on pas reproché à Toufik de ne pas les avoir empêchées ? L'interprétation des enquêteurs de ce qui s'est passé en un laps de temps très court, est erronée. »

S'interrogeant pour conclure sur la liberté de la presse, il s'adresse au président : « vous pouvez entrer en relaxe ! Et si vous l'estimez coupable, prononcez une dispense de peine... »

Invité à parler en dernier, Toufik s'adresse au président : « Je ne suis ni violent ni impulsif. Merci de m'avoir écouté. »

Délibéré au 22 juin.

EDIT : Communiqué de Toufik-de-Planoise :

« Altercation » du quai Veil-Picard, suites et fin ? L'histoire d'une manif' de gilets jaunes, remontant au 13 avril 2019. En fin d'un cortège agité que je couvrais, un ivrogne opposé au mouvement surgit. Il se met à tabasser gratuitement un confrère, m'obligeant à rentrer dans le tas pour le défendre. Normal. Convoqu’, gardav’, et renvoi en correctionnelle. Après avoir bouffé deux mois d’sursis en première instance, je n’écope finalement « que » de 150€ d’amende en appel. Une reconnaissance de culpabilité, donc. Mais qui rééquilibre largement la portée de la « faute. »Un demi happy end, pourrait-on dire. Mes pensées vont d’abord aux deux autres compagnons d’infortune concernés, dont les lourdes condamnations initiales sont maintenant définitives. Inquiétés et corrigés par la « Justice », pour ne pas s’être laissés bastonner. Mais elles s’accompagnent aussi de remerciements aux nombreux soutiens qui se sont clairement exprimés, personnalités, partis, syndicats, présents face à cette infamie. Et, pour meilleure conclusion, d’un vœux de mobilisation en faveur de la presse libre notamment pour Radio Bip 96.9FM/Média 25 et Factuel Info.

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