SOS forêt dénonce un « débat confisqué »

Né en Lorraine en 2011, le collectif devenu national en 2013 vient de se structurer en Franche-Comté en organisant une première manifestation culturelle et ludique en forêt de Chailluz à Besançon. Il veut réorienter la politique forestière qui ne prend pas assez en compte, à son avis, les enjeux du réchauffement climatique.

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Les forestiers sont des gens bien particuliers. Forcément un peu hommes — et femmes — des bois, portés à la rêverie et à la contemplation, ils ont quelque chose à nous dire du temps long. Le cycle ancestral de la forêt — même la forêt anthropisée, celle qui interagit avec les humains — court, ou plutôt chemine, sur plus d'une génération. « Les hommes cultivent les arbres qui les cultivent à leur tour », s'exclame Sylvestre Soulié qui s'occupa longtemps des forêts de Morre et Fontain pour l'ONF.

Mué en comédien face à un public d'une cinquantaines de personnes assises sur des troncs dans un petit coin de la forêt de Chailluz, le poumon vert de Besançon, il a puisé la formule dans Une Année de la vie d'une forêt, livre du chercheur naturaliste américain David-George Haskell : « il est allé tous les jours sur un mètre carré de forêt, son mandala, éprouver ce qu'il se passait, c'est une immersion sensible, savante, empirique... » Sylvestre lit aussi Christian Bobin, Gaston Bachelard à qui l'on doit « la forêt élève la forêt de demain ». Autrement dit, « le milieu est plus complexe que ce que l'on peut en dire... » Il y a du Shakespeare dans cette vision de la foisonnance des choses et des êtres.

Un tapis de feuilles recouvre la scène parsemée de jeunes pousses. Jean-Paul Grosbois, Guillaume Klein et Carole Delorme lui succèdent. Le premier a longtemps accompagné la forêt de Chailluz avant de prendre sa retraite il y a peu, le second travaille à Laviron, la troisième sur le premier plateau du Jura. Ils débattent avec passion de leurs visions du travail de forestier, expliquent avec des saynètes les débats qui animent leurs réflexions. Il est question de changement climatique, de régénération naturelle, de futaie irrégulière, de stress hydrique, d'épaisseur des sols.

Les insectes ne sont pas que des ravageurs

Un gaillard à chapeau s'approche et prend solidement appui sur le sol en se campant devant les spectateurs. Laurent Chevalier interprète un air d'opéra de Purcell, démontrant la compatibilité du bois avec le chant, ce qu'on savait déjà en entendant les oiseaux des bois, peut-être en communiquant ainsi avec eux. Un peu plus loin, Raphaël Mégrat, forestier à Passavant, tient le stand insectes où il explique comment ces petites bêtes ne sont pas que des ravageurs, mais un maillon essentiel de l'écosystème forestier en décomposant les arbres morts pour donner de l'humus. Récolter beaucoup de bois mort pour alimenter la filière bois-énergie suppose des sites de stockage regroupés. La conséquence pour les sols n'est alors pas la même que de laisser des bois morts éparpillés...

Tous sont militants du Snupfen-Solidaires, le premier syndicat de l'ONF. Ils proposaient dimanche 9 octobre « autre chose que la manif pour la manif » : un événement ludique et culturel dépassant le cadre syndical pour atteindre celui d'un collectif plus vaste : SOS-Forêt. Il s'agit d'expliquer au grand public ce qui leur semble constituer des enjeux cruciaux pour l'avenir de la forêt française. Dans le contexte du changement climatique, ils l'estiment menacée par la priorité donnée à la production par rapport aux dimensions sociales et environnementales. 

« La biodiversité est l'assurance vie des forêts »

Il y a donc du théâtre et une présentation des insectes, mais aussi des ateliers oiseaux, chauves-souris, débardage à cheval, champignons, fleurs... La forêt de Chailluz étant largement apprivoisée par les Bisontins, ces animations sont suivies par des dizaines de personnes, des enfants, des habitués. L'intérêt est manifeste, les questions témoignent de la curiosité.

Un débat réunit ensuite une trentaine de participants. « Depuis quelques années, la pression des intérêts sectoriels est terrible, menace la biodiversité qui est la température de la forêt. Elle donne la robustesse du milieu : il faut être très attentif à son évolution au lieu de se jeter sur les ressources comme le propose le CESER qui veut des bois plus jeunes et plus petits. C'est une aberration car la biodiversité est l'assurance vie des forêts », pose d'emblée Sylvestre Soulié. Il n'est pas seulement féru de littérature et de théâtre, mais aussi de connaissance scientifique qu'il traque sans cesse confronte aux constats des professionnels. Il fustige ces « économistes classiques qui ont fait des projections selon lesquelles l'exploitation forestière deviendrait compliquée à partir d'un réchauffement climatique de 6,2° : c'est un vrai problème de penser comme ça ».

Surtout quand, explique Philippe Berger, forestier en Haute-Saône et secrétaire national du Snupfen, « les lobbies des pépiniéristes et des négociants de bois disent que l'on ne reboise pas assez, que la régénération naturelle produit une mauvaise forêt ». Cependant, c'est ne pas tenir compte du scénario médian du GIECgroupement intergouvernemental d'experts sur le climat, qui est une des hypothèses les moins alarmistes, l'aire de répartition du sapin perdrait 60% de superficie en France d'ici 2055, celle de l'épicéa 90%, celle du chêne sessile 30 à 40%, celle du hêtre 60 à 70%...

« Les ingénieurs étant aux abonnés absents,
ce sont les forestiers de terrain qui donnent l'alerte »

Jean-Paul Grosbois intervient : « sur les 1600 hectares de cette forêt, on prévoie de reboiser les trois cinquièmes en hêtraie. Or, comme on connaît les sols, on se pose des questions. On regarde le reboisement d'une parcelle en hêtraie en fonction de la profondeur du sol, 30 cm ou 50 m, mais aussi selon les réserves d'eau. En fait, pour une résilience de la forêt, son adaptation, il faut un peuplement mélangé et une réponse très locale... »

Ancien de l'ONF, Bernard Ménigoz regrette « la démission des cadres de la forêt, les ingénieurs qu'on a longtemps appelé les conservateurs. Ils ont toujours défendu une certaine idée de la forêt, ils sont aujourd'hui aux abonnés absents et ce sont les forestiers de terrain qui donnent l'alerte ». Jeune forestier, Julien constate tristement qu'on « va malheureusement vers un raisonnement agricole pour la forêt ».

Ancien ingénieur forestier, Jean-Pierre Cazeaux met en cause « la finance, le capitalisme » qui « font du mal à la forêt, donc à la société : nous avons besoin de solidarités à développer ensemble pour un meilleur respect des milieux, construisons avec des gens ayant des savoir-faire locaux une résistance ». Sylvestre Soulié prolonge l'idée : « il faudrait aller vers une réappropriation territoriale. Quand l'Etat ne protège plus, c'est dangereux pour tout le monde. En Franche-Comté, plus de la moitié de la forêt appartient aux communes, le contexte est favorable... Mais l'ONF essaye de casser l'affouage et le droit coutumier qui sont extraordinaires ».

Pour le faire évoluer, Carole Delorme donne l'exemple des communes de son secteur (Briod, Publy, Conliège...) où du matériel mutualisé en partage est envisagé : « si on y va, peut-être que l'affouage ne tombera pas en désuétude ». Il y a cependant un dilemme soulevé par Sylvestre Soulié : « les chaufferies bois locales ont pris le relai de l'affouage, et si des grosses structures débarquent, il y aura des problèmes. Les chaufferies n'ont pas assez de ressources locales et on va chercher du bois ailleurs... » 

 

« Les hommes cultivent les arbres qui les cultivent à leur tour ».

 

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