Sécu des frontaliers : une mission et un rapport avant l’été

Après la démonstration de force des salariés travaillant en Suisse, samedi à Pontarlier, Ensisheim et Saint-Julien en Genevois, une mission de l'Inspection générale des Affaires sociales et de l'Inspection des finances va évaluer l'impact de la suppression du droit d'option. L'hypothèse du statu quo n'est plus écartée.

Alain Marguet

Après la déferlante de 3000 manifestants défilant sous des trombes d'eau, samedi à Pontarlier, et les deux défilés plus modestes d'Alsace et de Haute-Savoie, la problématique du financement de la protection sociale se pose à nouveau pour les 137.000 Français travaillant en Suisse, dont 17.000 Franc-comtois. Depuis la signature d'accords bilatéraux avec la Suisse, ils disposent d'un droit d'option entre plusieurs solutions : cotiser à LaMal, l'assurance de base obligatoire en Suisse ; cotiser à la Sécu française (8% de la part du revenu fiscal annuel au delà de 9000 euros) ; prendre une assurance privée (ou une mutuelle), ce qu'ont fait 84% des frontaliers. Ce droit d'option avait une première fois été remis en cause en 2011 et devait disparaître au 1er janvier 2013. Une levée de bouclier des frontaliers, soutenus par des parlementaires de leurs secteurs, de gauche et de droite, avaient fait repousser l'échéance au 31 mai 2014.
Dans l'entourage de la députée alsacienne Patricia Schillinger (PS), elle-même ancienne travailleuse frontalière, on estime que «les choses ne sont pas aussi déterminées qu'on pourrait le penser» et l'on cite le Pays Gessien indiquant que «le statu quo est possible car le gouvernement voit la complexité du statut des frontaliers». La mobilisation a en effet débouché sur la constitution d'une mission d'évaluation dirigée par l'Inspection générale des affaires sociales, en coopération avec l'Inspection des finances. Cette mission devra rendre un rapport d'ici l'été afin de «comparer la situation des frontaliers optant pour une assurance privée avec le régime général français ; d'évaluer le niveau de prélèvement social sur les revenus suisses à même de garantir des efforts contributifs comparables à celui des salariés en France ; d'évaluer les conséquences individuelles, collectives, et économiques et sociales d'un éventuel changement». Autrement dit quels en seraient les impacts sur les territoires frontaliers. 
Nous avons demandé à Alain Marguet, président de l'Amicale des frontaliers, dont le siège est à Morteau et qui regroupe 15.000 salariés, son analyse de la situation. Il est bon de savoir qu'il est également conseiller général UMP du canton de Montbenoît, et que l'Amicale est affiliée au syndicat Force Ouvrière.

La Suisse ne cotise plus pour le chômage
Les frontaliers cotisaient en Suisse jusqu'en 2009 pour s'assurer contre le chômage qui, lorsqu'il survenait, était indemnisé par l'UNEDIC. Depuis, «la Suisse l'a laissé à la charge de la France alors qu'auparavant, 120 à 130 millions étaient rétrocédés pour payer le chômage français», explique Alain Marguet. Désormais, les frontaliers, quand ils sont licenciés, sont «toujours indemnisés par Pôle Emploi, mais seulement financés par les salariés travaillant en France”. 

3000 manifestants à Pontarlier, c'est du quasi jamais vu !
On a pas mal réussi notre coup. S'il avait fait beau, on aurait bien été 1000 de plus... On voulait manifester avant les arbitrages sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale qui sont rendus en juin.

Comment vous êtes-vous organisés ?
On a constitué un collectif Frontaliers ou bien et nous sommes associés sur cette opération avec le Comité de protection des travailleurs européens (en Alsace), les mutuelles Vivens (en Rhône-Alpes) et Altis (Lyon). On représente 52.000 frontaliers, soit plus du tiers des Français travaillant en Suisse. Il y a aussi le Groupement transfrontaliers d'Annemasse, 30.000 adhérents, qui est sur la même position que nous mais reste en marge. 

Comment être une association, une mutuelle et un syndicat ?
Roger Tochot a créé l'Amicale des frontaliers en 1962 car les administrations française et suisse créaient des difficultés : les salariés étaient exclus de la Sécu quand ils franchissaient la frontière. Ils ont créé des mutuelles pour s'assurer, d'abord en s'adossant aux AGF qu'on a quittées en 1999 pour créer notre propre mutuelle. Pour la prévoyance, on est avec un assureur. Nos contrats santé prévoient 70% remboursés par la sécu, 30% par la mutuelle. On propose un package amicale-mutuelle. 

Que craignez-vous ?
Si on passe à la Sécu française, ce sera deux à trois fois plus cher. Il faudra aussi renégocier les grilles de cotisations... Le gouvernement parle de 430 à 460 millions d'euros dans les caisses de la Sécu, mais sans parler des dépenses. Or, dans l'assurance, les cotisations sont égales aux prestations ! On est solidaires des travailleurs français, d'accord pour augmenter les cotisations et participer au financement de la Sécu. Mais on a été malmenés ces deux dernières années avec le doublement de la taxe sur les cotisations d'assurance qui est passée de 3,5% à 7%, soit 1,1 million sur notre chiffre d'affaires de 18 millions. Avec la taxe sur la CMU, l'impôt sur les sociétés et la cotisation économique territoriale, ça fait 1,5 million dont on était exonérés...

Cela coûterait combien à un frontalier gagnant 3000 euros par mois ?
On estime entre 3000 et 4000 euros par an.

Les employeurs participent-ils comme en France à la protection sociale ?
Ils ne paient rien sauf s'ils le veulent bien. En Suisse, l'assurance maladie obligatoire de base, c'est LaMal. Mais on s'assure dans le privé et la France dit que les assurances lui envoient les plus malades et les handicapés. En étant mutualistes, on a une meilleure protection qu'en France. On est solidaires car on prend tout le monde, et responsables car on suit le parcours de santé du médecin traitant. Nous proposons la labélisation des assurances pour qu'elles soient équivalentes à la Sécu, qu'elles aient l'obligation d'assurer quelqu'un jusqu'à sa mort.  

Comment sentez-vous les choses après la manifestation ?
Mal... Dans les ministères, on nous dit que les régimes spéciaux sont finis. On ne veut pas les remettre en cause : ce sont des acquis syndicaux ! Je perds ma casquette de conseiller général UMP...

Et votre casquette FO ?
Je suis très à l'aise. J'étais critique vis à vis du précédent gouvernement : j'avais soutenu l'amendement que des députés UMP frontaliers proposaient en 2011... Et dans mon discours, samedi, en réponse au tract du FN, j'ai dit qu'il ne fallait pas politiser le débat.

Quels sont vos prochains rendez-vous ?
Après cette première manifestation, on attend des nouvelles de Paris. On va se rencontrer fin mai avec les partenaires du collectif. Puis on devrait être convoqués par le médiateur en charge de la mission de l'IGAS. On attendait aussi beaucoup de Pierre Moscovici qui a signé les accords bilatéraux nous concernant en 1999...

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