Rivières : l’unanimité n’empêche pas les crispations

Christine Bouquin s'est fait tirer par la manche par l'opposition pour accepter d'envisager de porter plainte et de se constituer partie civile en cas de délit environnemental. Le département du Doubs va continuer à s'impliquer dans la gestion des milieux aquatiques au côté des communautés de communes.

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La politique est souvent une affaire de symbole. A tout le moins la perception de l'action publique. En finissant par accepter, après une heure de débat tendu et une suspension de séance, lundi 26 mars, le principe d'un dépôt de plainte du département en cas de pollution des eaux, par exemple en cas d'épandage illégal de lisier, Christine Bouquin a implicitement reconnu qu'elle avait eu tort de revenir sur une décision de son prédécesseur socialiste Claude Jeannerot.

Du coup, le « magnifique dossier » sur l'eau, comme l'a qualifié la vice-présidente à l'environnement Béatrix Loison, est passé au second plan alors qu'il ne le mérite pas. Adoptée à l'unanimité, la délibération entérine la poursuite des travaux initiés sous l'ère Jeannerot avec la conférence départementale de l'eau. Seul bémol, elle devait se tenir au premier trimestre 2018, elle aura lieu fin juin ou début juillet. On y restituera les travaux des groupes thématiques assainissement et agriculture qui se tiennent de mars à mai et doivent faire de nouvelles « propositions concrètes ». 

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

La délibération entérine aussi la présence du département au côté des communautés de communes et des deux communautés d'agglomérations dans les syndicats mixtes de gestion de milieux aquatiques qui doivent, d'ici fin 2018, adapter leur périmètre aux bassins versants des rivières (Dessoubre, Loue, Ognon). On projette aussi la création d'un syndicat pour l'Allan, ainsi que la réunion des syndicats mixtes de la Loue et des milieux aquatiques du haut Doubs afin d'obtenir, en 2020, le label EPAGE, Établissement public d'aménagement et de gestion des eaux Haut-Doubs-Loue assurant également la prévention des inondations.

Ce faisant, pour neutraliser l'effet de la loi NOTRe qui lui interdit de subventionner les investissements de ces syndicats mixtes, le conseil départemental transformera ses subventions de 30% en une « participation statutaire » de 50% dans ces même syndicats. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?, c'est semble-t-il la devise de la loi NOTRe... Il faudra aussi compter avec la baisse de la participation de l'Agence de l'eau dont les ressources ont été « plafonnées » à partir de 2019. 

Enfin, au titre des aides sollicitées par les collectivités venant d'intégrer le Grand Besançon, le département apportera un million d'euro à la CAGB pour les dossiers d'eau potable et d'assainissement. Une CAGB qui devra, comme les autres, c'est précisé en toutes lettres, « selon les règles en vigueur (...) transmettre [au département] les résultats de la consultation des entreprises ».

« Les bonnes résolutions n'ont pas apporté les résultats escomptés »

Ce n'est cependant pas sur toutes ces questions que le débat s'est focalisé, mais sur la « situation dramatique » des rivières. Que ces mots soient prononcés par un élu considéré comme bien à droite, Alain Marguet, est en soit un petit événement. Rappelant que le plan Loue du 5 juillet 2010 consistait notamment à intensifier les contrôles des activités polluantes ou établir des cartographies, il affirme que « les bonnes résolutions n'ont pas apporté les résultats escomptés ». Il s'alarme que Goumois ait « perdu 60% de son tourisme depuis 2011 », déplore le « dysfonctionnement de la station d'épuration de Morteau qui rejette des micro-polluants », lesquels sont « dangereux même à faible dose... » Il cite le militant environnementaliste Marc Goux et ses « 64 propositions d'interventions » qui n'a « pas pu avoir de rendez-vous avec le département ».

Quand on connaît Alain Marguet, on se pince : a-t-il adhéré aux Verts ? Lors de la suspension de séance, je lui pose la question en forme de boutade, il en rit. Tout comme Béatrix Loison, son binôme sur le canton d'Ornans, et Gérard Galliot (Besançon, DVG), sans doute le plus ancien écolo de l'assemblée de part sa formation scientifique. En séance, il loue la « qualité du rapport » mais dit ressentir « une impression qu'on reste dans un certain flottement ». Rappelant que le travail a commencé en 2010, soulignant le report de la conférence des rivières, il se fait porte parole de la société civile, des associations : « nos partenaires souhaitent la réactivation de la dynamique ».

C'est d'autant plus nécessaire qu'il a entendu « un ancien inspecteur de la Direction régionale de l'environnement expliquer que la situation s'est encore dégradée ». Galliot sait la force des symboles : « nous devons piloter, ne plus rester insensibles aux affaires, nous porter partie civile quand il y a des infractions ». Bref, « le conseil départemental doit être plus offensif. Les incivilités ne sont pas seulement le fait de quelques uns, mais globales. Il faut montrer aux associations que nous sommes derrières elles ».

« Neuf sources du département sont menacées par les pesticides »

Magali Duvernois (PS, Bethoncourt) souligne que « neuf sources du département sont menacées par les pesticides. Nous sommes face à une question de santé publique ». Elle déplore que « les infractions environnementales soient les moins sanctionnées par la Justice ». Du coup, « certains, une minorité, pensent que tout est permis. J'ai à l'instant une pensée pour Patrice Malavaux... »

Le garde pêche a, on s'en souvient, été tabassé par un agriculteur de Charmauvillers qu'il allait verbaliser pour épandage illégal de lisier. Celui-ci a été condamné à seize mois de prison en première instance et a fait appel. Le second vice-président, Philippe Alpy (DVD, Frasne), ne relève pas. Pas plus que Béatrix Loison ou Thierry Maire-du-Poset. Tous trois agriculteurs, le dernier en bio, évoquent des « progrès qui ne se voient pas ».

Alpy s'insurge des propos de ses oppositions : « A vous entendre, il ne s'est rien passé depuis 2015. On a mis en place des commission. On voit Marc Goux six à sept fois par an. Il y a des rencontres du monde de la forêt et des agriculteurs qui ne se voyaient pas. Leurs travaux n'ont pas vocation à être rendus publics car on travaille sur le fond, on partage des connaissances... Il reste des marges de progrès immenses de la part des citoyens, des territoires se prennent en main, soyons positifs, les choses évoluent positivement sur les cours d'eau... » On ne demande qu'à le croire.

« Y'en a marre, on passe pour des mous... »

Loison proteste : « Je ne peux pas laisser dire que rien ne se fait... Le Samu de l'environnement et la Fédération de pêche vont se voir, nous travaillons à la mise aux normes des bâtiments d'élevage... Si nous avons déplacé la conférence Loue, c'est pour l'alimenter avec du concret, des résultats... » Maire-du-Poset parle des « innovations, de la méthanisation, des séparateurs de phase solide-liquide dans le lisier, du règlement sanitaire départemental qui oblige à la mise aux normes de toutes les exploitations d'ici 2020... » A la suspension, je lui demande pourquoi il n'a pas parlé de l'agrobiologie comme une piste, il sourit : « oui, c'est vrai... »

Christine Bouquin hausse le ton en direction de l'opposition : « si votre seule demande, c'est des sanctions, on a des lunes d'avance. On n'en est pas là, c'est le procureur qui sanctionne. Une plainte du département fera-t-elle avancer les choses ? Ce sont des postures ! Être partie civile, oui, mais ce n'est pas ça qui fera avancer la machine. Ne nous faites pas dire que notre majorité se désintéresse du sujet... »   

Gérard Galliot l'admet : « il faut du temps pour analyser les situations ». Mais il revient à la charge : « Quand on parle avec les citoyens, leur réflexion est "où en êtes-vous ?" Mais on en est toujours au même point. On se doit de donner un message fort, expliquer qu'on travaille ardemment à mettre en place un système. Nous demandons de la visibilité. Et des sanctions parce qu'il y en a marre, on passe pour des mous... »

« Interpellez plutôt le procureur général ! »

La présidente se lâche en revenant au garde-pêche que n'ont pas cité ses amis politiques : « Je l'ai appelé au téléphone, mais je ne l'ai pas dit à la presse... » Sur le fond, elle est perplexe : « On va communiquer sur quoi ? Des résultats ? Moi aussi, je m'impatiente. Je l'avoue humblement, je suis très préoccupée par ce qui se passe. L'envie de réussir est là. Mais ce n'est pas le département qui exerce la police de l'eau. L'Etat doit être là... »

Denis Leroux, sans doute le vice-président le plus proche de Christine Bouquin, a senti comme un danger : « Il eut été sympathique que ce débat s'organise en commission ». Autrement dit sans la presse... Puis il contre-attaque : « vous ne pouvez pas nous taxer d'être absent des syndicats mixtes, Dessoubre, marais de Saône, etc. Moi-même, je suis en démarche pour un parc naturel régional, nous travaillons avec les Suisses sur les pollutions, des paysans se battent pour être dans Natura 2000... »

L'avocat qu'il est passe au juridique : « les sanctions sont prises par le procureur, il n'y a pas de politique laxiste des parquets de Montbéliard et Besançon : les infractions environnementales sont sanctionnées. Interpellez plutôt le procureur général ! Et si le département peut se porter partie civile, les associations aussi. Le département n'est pas à l'initiative des procédures, mais il peut s'y joindre... »

Le contrecoup de l'affaire de Charmauvillers

C'est alors que la présidente du groupe d'opposition Martine Voidey demande une suspension de séance de dix minutes. Elle sera mise à profit par Christine Bouquin pour une brève conférence de presse. Trois des quatre journalistes l'interpellent sur le débat sur l'eau. Est-elle énervée ? « Non ». Vexée ? « Contrariée... On a redémarré cette maison... » On insiste : pourquoi le département ne se constituerait-il pas partie civile dans les affaires de pollution ? Elle paraît quand même un peu énervée : « va-t-on passer la conférence de presse sur ces points de procédure ? Vous prenez l'eau par les côtés négatifs, mais nous sommes le seul département de Bourgogne-Franche-Comté à travailler sur l'eau malgré la défection de l'Agence de l'eau... »

Les journalistes sont têtus : la question de la partie civile est-elle un non-sujet ou faut-il y aller tous ensemble ? Réponse alambiquée : « si le sujet, c'est de répondre à la question posée, je dis oui ». Le débat un peu rude est-il le contrecoup de l'affaire de Charmauvillers ? « Oui... Quelques agriculteurs sont concernés dans le département... Je ne peux pas imaginer une agression... » La droite est-elle mal à l'aise sur ce sujet qui prendrait à rebrousse poil une partie de sa base électorale ? Cri du cœur : « pas du tout ! » 

Retour en séance. Martine Voidey prend la parole, explique la demande de suspension : « le ton avait monté... Beaucoup de travail est fait, nous voterons le rapport. Mais quand il y a des choses illégales, il ne faut pas les laisser passer et porter plainte ».

Christine Bouquin a réfléchi : « Le dépôt de plainte ne pose aucun problème. J'entends que ça peut être important pour les citoyens... »

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