Pouvez-vous rappeler brièvement l'historique de la CIP ?
Eliott et Lionel : Alors, c'est déjà une vieille histoire. La première CIP (Coordination des Intermittents et Précaires) s'est créée en Île-de-France en 2003, avant de se répandre partout en France. À l'époque il s'agissait déjà d'une réforme du statut. La CIP ne regroupe pas unique ment des travailleurs des métiers de l'art, mais toutes les personnes concernées par l'intermittence et la précarité. Certes, l'essentiel des effectifs relève des métiers de l'art, mais bien plus largement toutes celles et ceux qui connaissent des formes de précarité professionnelle. À titre d'illustration, évoquons les saisonniers. Certains fréquentent le CDN actuellement occupé, mais aussi les salariés de la restauration (serveurs par exemple), du catering, des livreurs, style Deliveroo, ou encore des artistes ne relevant pas du régime des intermittents. Rappelons que pour bénéficier des allocations chômage du régime des intermittents du spectacle, il faut avoir réalisé 507 h en un an. Certains artistes n'arrivent pas à les atteindre. Et donc la CIP renaît quand le régime d'assurance chômage est menacé, comme c'est le cas actuellement.
Le CIP, c'est donc une forme d'organisation de la profession. Mais quel est votre rapport au syndicalisme, en particulier avec la CGT, dont deux structures sont très présentes dans l'actuel mouvement ?
Lionel : Bon , alors je suis syndiqué à la CGT SNAM (Syndicat des Artistes Musiciens). Il existe une autre structure en effet, le SYNPTAC (Syndicat national des professionnels du théâtre et des activités de la culture), également impliqué dans l'actuel mouvement. Il n'y a au cune contradiction ou problème entre la représentation syndicale et la CIP. Les militants syndicaux n'occupent pas une place particulière dans le mouvement. Personnellement je me considère plus comme occupant (du CDN) que comme syndicaliste. La CIP, c'est une coordination horizontale de tous ceux et celles qui participent au mouvement. Ici, à Besançon , on ne fait aucune différence. Ailleurs en France, la situation peut être différente. Mais, localement , l'horizontalité, c'est ce qui fait notre force. L'appartenance syndicale permet à notre mouvement d'être représenté dans certaines instances. Par exemple à l'occasion du défilé du 1er mai, l'intersyndicale bisontine a permis que la lutte portée par la CIP ouvre le cortège. De même, lors des négociations au ministère, ce sont les représentants de la CGT qui interviennent. Mais toujours en lien avec la CIP. Nous sommes des travailleurs de la culture et nos revendications dépassent largement la question d'un supposé « corporatisme artistique ». On l'a bien vu lors de la cérémonie des Oscars récemment. Le discours du responsable CGT a porté sur la suppression de la réforme de l'assurance-chômage. C'est une revendication qui intéresse tous les salariés et pas que les artistes.
Oui, mais quand même, vous avez bien des formes d'action particulières ?
Eliott : Oui, on est des professionnels de la culture et on possède un savoir-faire, qu'on utilise pour la mobilisation. Par exemple lors de l'action chaise, menée place de la révolution à Besançon le 14 mars dernier. On a installé 200 chaises, puis autant de personnes du public pour simuler un concert assis, tout en respectant les règles sanitaires. Le tout a duré une demie heure et a mobilisé 300 personnes. Ce savoir- faire, on le met à la disposition des mobilisations de tous les salariés. Lors la manifestation pour la suppression de la réforme de l'assurance chômage, on a investi la Dreets , place Jean Cornet , avec fumigènes et utilisation des fly-case. On peut regretter d'ailleurs que pas un seul média national n'ait rendu compte de cette action.
Oui, d'ailleurs, là aussi, vous manifestez une grande capacité à populariser votre action ?
Eliott et Lionel : C'est vrai qu'on est complètement familiarisé avec l'usage des médias. On a tout de suite créé un Facebook, on possède une chaîne YouTube et Instagram. On a vite compris qu'il fallait être maitre de notre communication. On met en ligne notre propre contenu. Par exemple sur le Facebook, on trouve des présentations de profils de différents métiers : des cuisiniers, des techniciens, des danseurs... On a développé l'idée des concerts commando. Il s'agit de petits groupes musicaux qui inter viennent dans l'espace public, les marchés, le tram ou dans des magasins pour sensibiliser les gens à notre action. Toute cette richesse se retrouve ensuite en ligne. On a donc développé un très riche contenu, mais se pose bien sûr la question de comment toucher de nouveaux publics.
En tous les cas, 57 jours après le début de notre mouve ment, on est toujours aussi mobilisés. Et maintenant , il y a même une coordination de la jeunesse du spectacle vivant qui vient de se créer, au niveau national. L'élan de la jeunesse est de notre côté. On lâche rien...