Rassemblées jeudi 7 octobre dans la cour du tribunal administratif de Besançon, plusieurs dizaines de personnes soutenaient les requêtes de neuf soignants du CHU et de l'hôpital de Lons-le-Saunier demandant la suspension de leurs suspensions de travail et de salaire pour cause de non présentation de schéma vaccinal. Après l'audience, une vingtaine d'entre elles ont traversé la ville pour investir le hall du nouveau siège de l'Agence régionale de santé, à deux pas de la gare Viotte. Très vite, le directeur adjoint de l'organisation des soins, vient aux nouvelles : « quelles sont vos revendications ? » Une femme répond : « Ça devient dramatique, nous sommes privés de traitement... »
Le cadre de l'ARS propose « d'échanger avec trois ou quatre personnes dans un bureau ». Les hospitaliers résistent : « Chacun a besoin de s'exprimer en fonction de ce qu'il vit, de ce qu'il ressent ». Le directeur adjoint convie alors tout le monde dans une salle de réunion. Une femme le remercie : « Quand on nous a jetés, on ne nous a pas laissé le temps de nous expliquer... » Un militant à chasuble du syndicat SUD ajoute : « Quand des entretiens sont demandés, ils sont systématiquement refusés ».
Le petit groupe s'installe. Des blouses sont floquées d'un sparadrap marqué « suspendue ». Une banderole est déployée. Quelques uns restent debout. Le cadre de l'ARS, Frédéric Cirillo, demande qu'une caméra cesse de filmer, puis interroge : « Quel est l'objet de votre intervention ? » On lui répond « L'obligation vaccinale. Combien de personnes sont suspendues ? On n'a pas de chiffres, vous en avez... » Il annonce « 96,5% de vaccinés au CHU, 42 suspendus, ce sont des chiffres évoqués en réunion, non officiels, 162 non vaccinés... »
Une soignante n'est pas convaincue : « C'est plus que ça, sans compter les malades et les menacés de suspensions, c'est environ 600 personnes. Des collègues sur place galèrent en attendant... »
Une autre ajoute : « Peu importe les chiffres. Une suspension de travail pour cette raison est inacceptable et inadmissible. C'est une grande injustice envers les soignants. Nous perdons en qualité de soins. C'est inadmissible que l'accès à l'hôpital public soit refusé à des patients. Nous perdons l'humanité de l'hôpital, surtout après la crise que nous avons vécue en 2020. Nous ne sommes ni des héros ni des zéros, mais des soignants qui avons donné le meilleur de nous-mêmes... » Autour de la table, presque tous opinent du geste ou d'un mot.
Une troisième rappelle : « On nous empêchait de faire nos courses... On nous disait : vous êtes positif, venez travailler... » La précédente précise : « Le CHU travaille déjà en sous-effectif. On nous parle sans cesse de qualité des soins et de bienveillance : mais où sont-elles ? »
La première soignante souligne « une incohérence par rapport à la première vague qui était nouvelle, à laquelle on s'est adapté. Hier, la directrice générale du CHU remerciait le personnel qui s'était engagé, mais que fait-on des suspendus ? Moi aussi, j'ai chopé le covid, on m'a refusé le masque... »
Une soignante : « Je suis en deuil de cette institution, des valeurs qu'elle est censée porter... »
Les gens ont besoin de vider leur sac devant le représentant de l'ARS, une administration aux pouvoirs très étendus... dans la limite des moyens financiers votés par le Parlement. Le haut fonctionnaire écoute, prend des notes, compatit parfois, n'est jamais hautain. Il sera même remercié pour « sa bienveillance ».
« Depuis le 15 septembre, je suis en deuil de cette institution, des valeurs qu'elle est censée porter », poursuit une soignante, de l'émotion et de la détermination dans la voix. Le militant de SUD ajoute : « Les chiffres, c'est bien, mais derrière, il y a des gens, des patients. Où est l'humain ? On a suspendu des gens en arrêt de travail, en accident du travail, en congé maternité ! »
Frédéric Cirillo lui donne raison : « Ce n'est pas légal. Certains directeurs ont essayé d'aller au-delà de ce qui est légal. Ce sera traité au tribunal administratif. En arrêt de maladie, il n'est pas question de suspendre. »
Le syndicaliste assure que « les recours au TA vont se multiplier » et dénonce « la méthode : essouffler les gens, leur faire supporter des coûts d'avocat, alors qu'ils doivent nourrir leurs enfants ! On nous dit d'aller au TA, mais beaucoup hésiteront en raison du coût et de la longueur de la procédure. Le TA de Cergy-Pontoise a suspendu une suspension... L'hôpital public a des moyens puissants et peut payer ses avocats... »
« Vous ne ne pouvez pas vous endormir en sachant que des gens ne peuvent plus nourrir leurs enfants alors qu'ils ont été au chevet des malades. »
Frédéric Cirillo note et passe à un autre sujet : « J'ai entendu qu'il n'y a pas de cabane pour les tests à l'entrée, mais il n'y a pas de volonté d'être hors la loi, seulement une impossibilité. » Une soignante réclame « des alternatives ! » Selon le représentant de l'ARS, « cela relève d'une décision nationale. » Les soignants tablent sur des marges d'appréciation locales et le pragmatisme, comme l'explique une femme : « Jusqu'au 15 septembre, on rentrait librement, après non. On peut revenir sur la pertinence de l'obligation. Dans la gestion de crise, des choses ne sont pas cohérentes... On a davantage de recul par rapport à la vaccination et aux effets secondaires. Aujourd'hui à l'hôpital, on a davantage de patients covid vaccinés que de non vaccinés. Couper les vivres [aux non vaccinés] est scandaleux. Le vaccin n'empêche pas la contamination... »
Frédéric Cirillo se tient au discours officiel : « Ce sont les faits : le vaccin n'empêche pas d'attraper le covid, mais limite les risques, comme les gestes barrière. Le cumul de tout cela fait qu'on arrive à protéger mieux les gens. Ce n'est pas un sujet, mais un ensemble de mesures... »
Frédéric Vuillaume, militant FO de la fonction publique territoriale, insiste sur les suspensions : « Vous ne ne pouvez pas vous endormir en sachant que des gens ne peuvent plus nourrir leurs enfants alors qu'ils ont été au chevet des malades. C'est inacceptable que des directions d'hôpitaux soient allés au-delà de la loi... » Une femme évoque « la loi de 2002 sur le consentement libre et éclairé : elle est où ? »
Une infirmière de Lons décrit du harcèlement sans prononcer le mot : « Des collègues pleurent... » Un homme confirme : « Beaucoup sont allés se faire vacciner en reculant... » Une soignante ajoute : « On nous court après dans les couloirs pour nous dire : tu as un rendez-vous avec le médecin du travail... On nous parle du risque de soignants contaminants, mais pas des risques quand on entasse les patients dans les chambres... ». « Etre suspendu, c'est ne pas pouvoir toucher le chômage ou le RSA », ajoute une autre.
Le militant SUD assène : « Il faut des décisions pour que les gens puissent aller travailler ! » Frédéric Cirillo est compréhensif : « On serait en effet bien content de les avoir au travail... mais il y a une obligation des soignants d'être vaccinés. » Un homme lui demande alors : « comment pouvez vous le cautionner ? » Le cadre de l'ARS répond : « Je ne cautionne rien, je représente la tutelle. Nous ne faisons pas les protocoles, nous les appliquons. Je dois appliquer la loi, que je la cautionne ou pas. »
Une femme l'interpelle : « Oui, mais vous touchez votre salaire... » Il admet : « Je n'ai pas cette contrainte de vaccination, mais mon travail est d'appliquer la loi. Je ferai remonter tous vos éléments... »
Le cadre de l'ARS : « Nous sommes clairement sur un déficit de personnels. Je ferai remonter ce point de vue. Sur le zèle des chefs d'établissements, il est inadmissible, je vous rejoins. »
Un médecin suspendu synthétise : « A Besançon et Lons-le-Saunier, on est confronté à une pénurie de soignants qui manquent terriblement sur le terrain. Il y a eu une exception en Guyane et aux Antilles où on s'est assis sur la loi pour faire fonctionner les hôpitaux. J'aimerais que la France entière ait la même exception, compte tenu de la situation. Si on doit faire des tests, on les fera, mais des tests salivaires seraient largement suffisants, et on retournera soigner les malades. Je vous en supplie, mettez un bémol à l'application de la loi. »
Frédéric Cirillo le remercie : « Vous offrez une alternative... Nous sommes clairement sur un déficit de personnels. Je ferai remonter ce point de vue. Sur le zèle des chefs d'établissements, il est inadmissible, je vous rejoins. Je leur ai dit qu'ils se tiraient une balle dans le pied en risquant des procédures au tribunal administratif. Je sais que c'est douloureux car c'est le pot de terre contre le pot de fer... » Le militant SUD commente : « Le pire, c'est que c'est de l'argent public ! » Le directeur-adjoint opine et « le déplore. »
Mais tout n'est pas encore purgé. Une soignante du CHU s'insurge « de deux refus d'accueillir des patientes en urgence gynécologique faute de passe sanitaire... » Elle dénonce « un climat de tension importante dans les services, une ambiance de répression », donne « l'exemple d'une chasse à l'aide-soignante par la surveillante. Si la direction ne donne pas le ton, on ne peut pas suivre. »
Quelqu'un souligne que ça se passe aussi dans les hôpitaux de Dole, Trévenans, Lons-le-Saunier... Un homme ajoute que le secteur de l'aide à domicile est également concerné. Une femme qu'il y a « d'autres structures où les gens sont épuisés, fatigués de subir des chantages excessifs, où des personnels et des patients sont en danger. Quand on est deux au lieu de trois ou quatre dans un service, comment la qualité des soins peut-elle être garantie ? »
Frédéric Cirillo compatit : « C'est l'effet inverse de ce dont on a besoin en ce moment... Je vous comprends, j'ai travaillé quinze ans en hôpital... » Vérification faite, c'était en tant qu'ingénieur en santé au centre hospitalier de Nevers et au centre hospitalier spécialisé de la Charité-sur-Loire, petite ville de la Nièvre, célèbre pour son Festival du mot, dont il a été conseiller municipal délégué quand le maire était Gaétan Gorce (PS).