Pire que le taylorisme !

Le projet d'enseigner à l'Université technologique Belfort-Montbéliard le "lean manufacturing", méthode de management née chez Toyota, est contesté par la CGT. Une recherche sur la santé au travail du très officiel Centre d'Études de l'Emploi donne du crédit à son rejet.

La création d'une « école de l'excellence opérationnelle » est l'une des cinq actions envisagées à la suite du séminaire régional de clôture des États généraux de l'Industrie qui s'est tenu le 15 janvier à Besançon. Également appelée « école du lean », mot anglais signifiant maigre, cette école est destinée à « améliorer la performance des entreprises » et « contrecarrer le phénomène de délocalisation » en faisant notamment « des progrès sur la qualité et l'élimination des gaspillages ». Le projet pourrait voir le jour à l'université technologique Belfort-Montbéliard.
Dans une lettre au préfet de région, le secrétaire régional de la CGT, Jacques Bauquier en demande l'annulation car il « consiste à former des ingénieurs à des méthodes managériales qui conduisent à une dévalorisation et une aggravation des conditions de travail. C'est en complète contradiction avec les parcours professionnels sécurisés que revendique la CGT »... et qui figurent parmi les actions retenues par les États généraux.

Bruno Lemerle (CGT - PSA) : « Une religion qui s'est répandue... »
 
À quand remonte le « lean » chez PSA ?
La lean production ne démarre pas à une date précise, c'est la systématisation d'anciennes méthodes. À Sochaux, 120 à 130 maladies professionnelles sont déclarées chaque année. Il y a une augmentation importante du stress, du burn-out, de gens arrivant en larmes à l'infirmerie. C'est directement en lien avec le déploiement de ces méthodes.
 
Comment traduisez-vous « lean » ?
Maigre : peu de salariés, peu de surface, des bureaux en open-space, peu de dépenses, le juste nécessaire : la production maigre avec des salariés maigres... Un médecin du travail l'a dénoncé.
 
Bataillez-vous pour empêcher son enseignement ?
On demande déjà à la direction de l'usine de revoir ses méthodes, mais on n'est pas les seuls à protester, mais aussi dans les toutes usines PSA des autres pays. La direction a convenu d'en discuter au comité de groupe européen.
 
Pourquoi en faire une école ?
Le faire passer à l'ensemble de la filière automobile est un objectif du gouvernement figurant dans le document des États généraux de l'automobile de janvier 2009. On ne peut pas dénoncer les soucis de stress et de santé à France-Telecom et préconiser les méthodes qui y aboutissent !
 
Que vous dit la direction ?
Que la méthode est mal utilisée. On a le sentiment d'une religion qui s'est répandue, on ne va plus dans une réunion patronale sans qu'on en parle. Nous disons qu'il faut remettre en cause les concepts. Les déboires actuels de Toyota méritent qu'on s'arrête aux méthodes...
«Automatisation à visage humain»
 
Né chez Toyota il y a plus de 30 ans, le « lean » s'est développé chez plusieurs constructeurs automobiles américains et européens, et s'étend à d'autres secteurs. « La pensée lean repose sur les concepts de juste-à-temps et d'autonomation ou automatisation à visage humain », lit-on sur le site amelioration.fr qui théorise notamment « la chasse aux stocks ». Dans cette méthode, « les tâches productives sont standardisées de manière à faciliter l'amélioration continue par suppression des tâches non créatrices de valeur ».
Tout n'est cependant pas rose dans cet univers. C'est ce que montre une étude sur les conditions de travail et la santé au travail réalisée en 2006 par le Centre d'études de l'emploi, établissement sous tutelle des ministères du Travail et de la Recherche. L'étude compare quatre formes d'organisation du travail et leurs conséquences sur la santé et les risques, la méthode lean obtenant les plus mauvais résultats.
« Pour les pénibilités physiques, les nuisances, les risques toxiques, les horaires atypiques et l'intensité du travail, les organisations apprenantes apportent aux salariés des situations bien meilleures que dans les organisations tayloriennes... Dans leur très grande majorité, les conditions de travail des salariés des organisations en lean production sont nettement plus défavorables que celles des organisations tayloriennes ». Pour ce qui concerne « le stress, les troubles psychologiques ou les blessures, la situation est beaucoup moins satisfaisante pour les salariés en lean production ».
L'étude signale « une prépondérance des organisations apprenantes dans les pays nordiques, aux Pays-Bas et dans une moindre mesure les pays germaniques ; un développement important de ces organisations au Royaume-Uni, en Irlande, en Espagne, et dans une moindre mesure en France... Les pays où prédominent les organisations du travail apprenantes sont ceux où les marchés du travail sont les plus régulés ».
 
Marche arrière aux USA
 
Aux USA, où le « lean » a essaimé après le Japon dans les années 1980, la méthode ne semble plus à la mode : « Depuis une dizaine d'années, on y observe une diminution importante des accidents du travail et des maladies professionnelles. C'est la résultante de l'action des pouvoirs publics, des syndicats, des assurances et des entreprises confrontés à des coûts devenus considérables en matières d'accidents et de maladies du travail... »
L'étude se conclut par un coup de pied de l'âne : « Compte tenu des principes qui les fondent, il n'est pas certain que les formes d'organisation du travail en lean production soient en mesure d'intégrer pleinement les préoccupations d'amélioration des conditions de travail ».
 
 
 
 
 

 
 
 
 

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