« On a des appels de gens qui sont au bord du suicide »

Le Collectif des entrepreneurs et salariés en difficulté occupe depuis lundi 9 novembre un bout du parking devant la préfecture du Territoire de Belfort. Nous avons recueilli plusieurs témoignages afin de comprendre les causes et les revendications de cette mobilisation. Il y avait aussi des Gilets jaunes et des soutiens de passage également au moment de notre visite. Un appel à manifester pour samedi 14 novembre est lancé.

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Yann Robin, restaurateur

Yann, tu es installé ici depuis lundi matin, peux-tu nous expliquer dans quel but ?

Nous avons déclaré une manifestation à durée indéterminée. Le but était de poser un bureau sans préciser la forme, pour une permanence. Notre objectif est d’échanger avec tout le monde sur la situation de nos entreprises, de dénoncer le manque d’aides de l’État et la réalité du terrain. Nous avons un cahier de doléances où chacun peut détailler sa situation.

Malheureusement le préfet n’apprécie pas notre action. On a demandé du dialogue par des courriers quelques jours avant, ils sont restés sans réponse. Là, ça fait 3 jours qu’ils sont enfermés dans la préfecture comme en temps de guerre…

C’est un préfet qui était directeur de campagne de Macron pour les présidentielles de 2017, c’est lui qui a mis en place monsieur Macron, c’est le même dialogue qu’avec notre président.

On a eu du soutien extérieur des forces de l’ordre, ils comprennent la cause et elle est défendable. On va tenir le terrain le plus longtemps possible, on n’a pas le choix la rue c’est notre avenir !

Qu’est-ce que tu souhaites que le préfet remonte comme information au gouvernement ?

Je pense qu’au bout de ces mois de crise que nous sommes en train de vivre, on comprend qu’il n’y aura pas de réponse en face. Il faut arrêter de croire. On se fait avoir sur chaque annonce. L’été est passé et les annulations de charge se sont transformées en report et qui sont maintenant en train de tomber. Là on a des appels de gens qui sont au bord du suicide. On a dû envoyer les forces de l’ordre parce que nous avons reçu des messages d’alerte de gens en difficulté. Et si nous n’alertons pas qu’est-ce qui se passe ? Eux, ils s’en fichent, ils continuent leur vie. Moi je n’attends plus rien, de toute manière, ils ne voudront pas cracher pour des petits. Une fois fermés, liquidés on sera à la rue, on aura perdu, nos biens, nos familles, nos métiers, certainement des divorces, des suicides. Ça sera trop tard, le monde va changer parce que sans petits il n’y a pas d’avenir, les grosses enseignes vont avoir une maîtrise des prix, ça va toucher tous les consommateurs, il n’y aura plus de concurrence.
On ne peut pas rester inactifs, on a beaucoup de soutien, des gens viennent nous emmener à manger, à boire. Montrons ça et soyons nombreux samedi 14 pour faire comprendre qu’on ne va pas se laisser faire.

Cédric, restaurateur et entrepreneur dans l’événementiel

Cédric tu es très impliqué dans le Collectif des Entrepreneurs et des Salariés en difficulté est-ce que tu peux m’expliquer ce qui se passe ici pourquoi tu es là ?

Tous les médias cautionnent ce que fait Emmanuel Macron en disant qu’il a aidé toutes les entreprises, qu’il n’en a pas laissé au bord de la route. Or sur le premier confinement, les entreprises avaient droit à 1500 € d’aide, il n’y a eu que 52 % qui les ont touchées. Là, on a une promesse jusqu’à 10 000 €, c’est que du « jusqu’à » ! On va peut-être se rapprocher des 5 ou 10 % qui auront peut-être 10 000 €.

Aussi, le discours de Bruno Le Maire du mois de mars qui disait qu’il y avait une suppression totale des charges pendant la durée du Covid, à la fin ça devait être voté en septembre ou octobre par l’Assemblée Nationale. Aujourd’hui, d’après les députés, il n’est même plus question de vote sur cette suppression de charge pour les mois de confinement, c’est juste un report ! On a payé au mois d’août, tu recevais ton prélèvement SEPA et c’était pris sur ton compte sans être informé. Au mois de septembre, on m’a pris un acompte de RSI pour l’année prochaine toujours sans prévenir !

Ensuite, avec nos super prêts aidés, on n’a toujours pas de taux ! Au mois de mars, on parlait entre 0.5 et 1 %, aujourd’hui on nous parle de 1 à 1,5 %. Donc quand on va commencer à les rembourser, ils peuvent nous annoncer 10 %, on n’aura pas le choix parce qu’on a signé !

David, salarié de General Electric

David, tu es ici en tant que salarié est-ce que tu peux expliquer pourquoi ?

Je travaille pour General Electric : la perte d’emploi, les promesses non tenues, on voit nos commerçants mourir à petit feu. Un salarié de GE perdu, c’est 4 emplois perdus à l’extérieur. On ne peut que s’inquiéter pour l’avenir de Belfort parce que nos commerçants sont mis en difficulté et à côté de ça, on voit les grandes surfaces saupoudrée de CICE.

Qu’est-ce que tu attends du préfet ?

Déjà qu’il nous entende. Les PME et les TPE c’est le cœur de la France, pas les grandes surfaces, pas Amazon ! Ce sont les petits commerçants et artisans qui font l’économie de la France, ceux qui font le gros des emplois sur le territoire. Ce n’est pas à négliger.

Mathilde Nassar, conseillère municipale Belfort en Commun

Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi tu es ici avec les entrepreneurs en difficulté ?

J’ai été élue sur un programme qui prône la concertation et que tout le monde travaille ensemble, indépendamment des étiquettes parce que je considère qu’on n’arrivera jamais mieux à régler un problème qu’en écoutant les gens qui sont concernés par ce problème.

J’étais là mardi en tant qu’enseignante, pour la manifestation des profs. Il faut que l’on se parle, nous enseignants, élus et le monde des entrepreneurs et des commerçants. On se croise sans se connaître, je trouve que c’est très important d’arriver à échanger.
Je ne comprends pas l’absence d’écoute. On sait tous que la crise sanitaire nous oblige à des contraintes et des protocoles très durs à respecter. On sait qu’il y a des choses sur lesquelles on ne pourra pas revenir, mais il y a sans doute moyen de trouver ensemble des solutions pour que tout le monde s’y retrouve. On ne peut pas laisser sur le carreau des gens qui jouent leur vie.

Je trouverais logique que le préfet puisse recevoir une délégation des commerçants/entrepreneurs pour se mettre autour d’une table, trouver les vrais problèmes et comment les résoudre.

C’est un problème national puisque c’est une décision gouvernementale, qu’est-ce que le préfet peut apporter ?

Le rôle du préfet, c’est précisément de faire remonter ce qui se passe dans les territoires. Est-ce qu’à Paris, on est toujours bien conscient de la réalité, notamment à Belfort dans un territoire en grande difficulté par l’industrie qui décline ? Ce que j’attends du préfet, c’est qu’il soit capable de dire « attention les mesures que nous prenons vont mettre en danger le commerce et les entreprises du Nord Franche-Comté ». C’est quand-même une des premières régions industrielles, on ne peut pas laisser tomber ça !

Est-ce que la situation du préfet de Belfort est particulière ?

Je ne suis pas capable d’en juger, il vient d’arriver avec des dossiers très importants, il a une tâche qui n’est pas simple, mais je pense que rien ne remplacera l’écoute et le dialogue et qu’il faut toujours avoir du temps pour ça.

 André, retraité

André, vous êtes retraité et vous venez de signer le cahier de doléances, pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Aujourd’hui, les commerçants et entrepreneurs qui ne travaillent pas n’ont pas de salaire. La moindre des choses c’est que je les soutienne en écrivant un petit mot c’est tout. J’espère que ça ne va pas durer trop longtemps pour eux parce qu’eux ils vont crever et petit à petit, tout le monde va suivre…

Frédéric Vuillaume, syndicaliste, Gilet jaune

Tu es venu de Besançon où tu es une figure connue des Gilets jaunes. Les commerçants ont pas mal critiqué les Gilets jaunes et là, les revendications se croisent, qu’en penses-tu ?

Les commerçants ont compris que le gouvernement était prêt à les sacrifier et que ceux qui les font vivre sont des gens qui étaient dans les gilets jaunes. On voit bien ce qui se passe, c’est toujours les petits, ils sont grands pour moi !, toujours les mêmes qui trinquent. S’il n’y a pas de rapport de force, on a rien ! Alors il faut aller devant les préfectures, il ne faut pas hésiter. Le droit de manifester, c’est une bouffée démocratique et il faut faire valoir ce droit.

On se bat contre un virus, ne crois-tu pas qu’il vaudrait mieux tout arrêter pendant un temps ? Fermer les commerces n’est-il pas utile ?

Les grandes surfaces qui sont ouvertes, elles ! Toute l’industrie tourne en ce moment. Quand tu vois ce qui se passe dans les transports en commun, il faut arrêter le délire ! Les citoyens sont responsables, on sait très bien quand on doit se protéger et ce n’est pas au gouvernement de nous dire quoi faire. On doit pouvoir contester ce que dit le gouvernement ou au moins en discuter. On ne peut pas tout accepter comme ça.
Le problème du virus c’est surtout ceux qui ont été au pouvoir qui ont cassé le service public de santé. Là, on est en train de nous confiner pour pallier à tout ce qui a disparu.


Appel à manifester devant la préfecture

L’appel à manifester samedi 14 novembre à 14 h devant la préfecture de Belfort est lancé. Vous trouverez sur le groupe du Collectif des Entrepreneurs et Salariés en Difficulté une « auto-attestation » validée par un cabinet d’avocat qui vous permet de bénéficier de votre droit inaliénable à manifester.

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