Occupation du CA de l’Université de Franche-Comté : quatre condamnations et trois relaxes

Cinq des sept étudiants poursuivis pour dégradation, rébellion, violence, voire séquestration après une action contre la sélection en master le 14 février 2017, ont comparu le 18 juillet devant le tribunal correctionnel de Besançon après avoir refusé de plaider coupable en composition pénale, ce que six autres avaient accepté. L'audience a montré les contradictions et la fragilité du dossier d'accusation. La défense a plaidé la relaxe. Le jugement rendu le 27 juillet va plus loin que les réquisitions du parquet pour les plus impliqués.

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Ils sont cinq étudiants à la barre du tribunal de grande instance de Besançon ce mercredi 18 juillet. Quatre garçons en bermuda ou en short, et une fille. Ils étudient la linguistique, la sociologie et l'anthropologie, la philo ou l'allemand, exercent des petits boulots et sont pour la plupart boursiers. Ils devaient être sept, mais deux sont absents. L'un, Pablo Boucard, élu de l'AMEB-Solidaires-Etudiants au conseil d'administration de l'Université, en année Erasmus en Espagne, n'a pas reçu la convocation...

Ils sont cités à comparaître par le parquet après avoir refusé, lors d'une audience de composition pénale, de reconnaître leur culpabilité pour, selon les dossiers individuels, dégradation, séquestration, rébellion ou violence lors de l'occupation du conseil d'administration de l'université de Franche-Comté le 14 février 2017. Deux jeunes filles mineures sont également dans ce cas et relèvent du tribunal pour enfants.

Neuf autres participants à cette action menée notamment par l'AMEB et visant à empêcher, sinon retarder, l'adoption de la sélection à l'entrée en master, étaient passés en mars en composition pénale, six d'entre eux acceptant de plaider coupable moyennant une peine symbolique, trois refusant, ce qui les conduira devant le même tribunal, sans doute à l'automne.

Le président Alexis Pernot cite en marmonnant des PV d'audition. On comprend que le président de l'Université Jacques Bahi a réquisitionné la police pour évacuer la salle du conseil envahie par « une quinzaine de cagoulés » qui ont « séquestré » les élus. Les conditions de l'irruption puis de l'occupation sont confuses, les descriptions contradictoires.

Un « professionnel de la manifestation »

Prof de pharmacie et vice-présidente de l'Université, Marie-Christine Woronoff, dit avoir été « bousculée par deux étudiants qui [lui] ont fait peur ». Elle souligne que Pablo Boucard que le substitut du procureur Xavier Allam présentera comme « le meneur », absent à l'audience, dira que les gens sont « libres de sortir, mais c'est faux ». L'institut de médecine légale lui délivrera 5 jours d'incapacité puis 9 jours...

Plusieurs témoignages recueillis lors de l'enquête vont dans le même sens. Ce sont ceux des proches de la présidence de l'université, notamment le secrétaire général Christophe de Faget de Casteljau et le vice-président de la CFVUConseil de la Formation et de la Vie étudiante Frédéric Muyard, maître de conférences en pharmacie. André Mariage, doyen de lettres et prof de psycho, parlera de « situation tendue : les élus qui voulaient sortir ne le pouvaient pas ». Il aura une prise de bec avec un étudiant (l'un des absents) que le procureur présentera comme un « professionnel de la manifestation ».

A l'inverse, Inès Hatira, élue de l'organisation étudiante majoritaire, la BAF, n'a « pas eu de sensation de violence » et a été « choquée par l'intervention policière ». Benjamin Couble, élu de l'UNEF, plusieurs enseignant, Emmanuelle Jacquet (maitre de conf en mécanique), Oussama Barrakat (maitre de conf en informatique), Thierry Bachetti (adjoint de recherche en sport) ne diront pas autre chose dans des dépositions apparemment moins fournies que celles sur lesquelles se base l'accusation.

- « Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ? »
- « Absolument pas. »

L'interrogatoire des étudiants apporte peu d'éclaircissements. « Que s'est-il passé ? », demande le président à l'étudiant en allemand. « Je n'ai rien à dire de plus », répond ce dernier.
- « Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ? »
- « Absolument pas. »
- « On a l'impression que vous avez empêché les gens de sortir... »
- « Absolument pas. »
- « Comment expliquez-vous les déclarations ? »
- « Ben... C'est la perception d'une personne du CA alors que d'autres pouvaient circuler... »
- « Circuler, c'est différent de pouvoir sortir... »
- « Ils pouvaient sortir aussi... »
- « Et la rébellion ? Avez vous résisté lors de votre interpellation ? »
- « On a fait une chaîne, c'est la résistance passive... »
- « Pourquoi ? »
- « On souhaitait rester soudés. »
- « Ça enlève du crédit à votre message... »
- « Ça n'a rien à voir. »
- « Et la dégradation de la porte ? »
- « Je n'ai pas vu de porte dégradée. »
- « Comment êtes vous entré ? »
- « Je ne me souviens plus. »

L'un des étudiants en sociologie-anthropologie n'a pas « constaté » non plus de porte dégradée. « Avez-vous exercé une pression sur la porte ? », interroge le président. Réponse : « Je ne sais pas, je ne connaissais pas le bâtiment, j'ai laissé les autres passer devant moi... On a ensuite décidé de s'acculer au fond de la salle pour ne pas exposer les membres du CA » à l'intervention policière.
- « Et avant cette intervention ? », dit le président.
- « C'était plutôt calme, j'étais assis, avec une étudiante à ma gauche... Je n'ai vu personne essayer de sortir... »
- « L'ambiance était-elle électrique ? »
- « Pas à ce que j'ai ressenti. »
- « Que faisiez-vous là alors que vous n'êtes pas élu au CA ? »
- « Défendre ma vision de la loi. »
- Le procureur : « dans quel but ? »
- « Interrompre le CA pour qu'il y ait une discussion publique sur la sélection en master. »

« On a essayé d'échanger avec la présidence, mais en vain. »

Le président se tourne vers l'étudiante citée uniquement pour dégradation : « les gens étaient-ils libres de rester ? » Elle répond : « tout le monde pouvait bouger et sortir, mais je ne pouvait pas constater qui sortait ou pas... » Le magistrat demande à un étudiant, également seulement poursuivi pour dégradation, quelle était l'ambiance. Réponse : « bon enfant, il y avait du café et on a apporté de la brioche, on a partagé... » Le président : « intéressant... et ceux qui voulaient sortir le pouvaient ? » L'étudiant : « il y avait une sortie libre, celle par où la police est arrivée... »

Les échanges sont brefs, même lorsqu'on aborde les motivations. « On avait des choses à dire. On a porté notre voix... », dit l'étudiant en allemand. « Quoi d'autre ? une manif, une demande de rendez-vous avec le président de l'université ? », encourage le procureur. Réponse d'un socio-anthropologue : « on a essayé d'échanger avec la présidence, mais en vain. » Le dialogue est encore plus bref sur la séquestration : « rien à vous dire là-dessus... »

Le réquisitoire de Xavier Allam tient de l'admonestation civique : « la démocratie, ce n'est pas entrer dans un conseil d'administration faire de la séquestration, celle-ci est établie. On peut être en désaccord, il y a d'autres moyens de faire... » Le parquetier admet qu'il y a « deux versions dans le dossier », mais il a choisi l'une : « quand une personne ne peut pas sortir, c'est de la séquestration, on encourt dix ans... Vous pouvez sourire. » Un prévenu a esquissé une sourire, le président le morigène : « vous êtes devant un tribunal ! »

Le parquet requiert trois mois avec sursis et 500 euros d'amende pour les trois poursuivis de séquestration, trois mois avec sursis et 120 heures de travaux d'intérêt général pour les autres.

L'occupation se transforme en piège

La défense de Me Bernard est tout sauf militante. Il n'a pas un mot dans sa plaidoirie sur les circonstances de cet hiver 2016-2017 où la contestation de la loi instaurant la sélection a touché plusieurs universités françaises. Il ne dit rien de la désapprobation exprimée par d'anciens présidents de l'université, et même du recteur, quant à l'attitude de Jacques Bahi qui a délibérément ignoré le mouvement de contestation de sa politique qui concernait la fac de lettres et sciences humaines au centre-ville, mais pas les campus de Témis et de la Bouloie. Il ne relève pas que ce n'est pas la première fois que le conseil d'administration de l'université est investi par des étudiants, mais que c'est la première fois que la présidence leur envoie la police...

Ce faisant, il n'invoque pas la répression d'un mouvement social. Il préfère s'en tenir au droit et à la faiblesse du dossier d'accusation. Certes, il évoque, sans la nommer ainsi, l'opération de communication ayant conduit au lynchage médiatique national des 19 étudiants présentés alors comme des quasi terroristes par la préfecture et le parquet, bientôt suivis par quelques responsables politiques. Traumatisée, une famille a coupé les vivres à sa progéniture, nous glisse après l'audience une militante venue en soutien, comme pour signifier les dégâts de ce qu'on appelle la violence légitime, celle dont l'Etat aurait le monopole...

Me Bernard préfère insister sur le piège en lequel s'est transformée l'opération estudiantine : « le conseil d'administration a été séquestré par l'université ! Thierry Blond (directeur des services financiers) a dit quand les étudiants sont arrivés : je vous enferme... Le président Bahi (qui n'était là) a vu l'intelligence se retourner contre lui. Mme Worronoff lui a envoyé un mail lui demandant de saisir le préfet et l'intervention de la force publique. Elle a fait durer les choses. Pablo Boucard a lu sa déclaration et demandait la levée du CA afin qu'il ne puisse pas statuer, alors elle a fait durer le plaisir, a dit que les étudiants voulaient voir Bahi, puis qu'il ne les rencontrerait pas... Et quand elle a levé le CA, les policiers étaient là, avec des armes, croyant avoir affaire à des gens armés. Il y a eu un dialogue de dupe des étudiants avec la police... Le journaliste qui a écrit que si on les avait laissé sortir, il n'y aurait pas eu de violence, avait raison... »

« Quand on est professeur ou maître de conférences,
on peut avoir l'art de la négociation avec des étudiants... »

Il démonte les accusations de dégradation, un cadre de porte abimé sur 15 centimètres et quelques rayures sur un mur, une serrure de porte soit-disant enfoncée même pas détériorée... Il sème le doute : « croyez vous que les policiers ont pris des gants pour entrer ? » et conclut : « l'université n'est même pas partie civile pour dégradation ni n'a fait de devis de travaux, permettez moi d'être perplexe. »

Il démonte aussi l'accusation de rébellion, constate qu'aucun policier n'a été blessé, ce qui interroge sur leurs demande de dommages et intérêts. Il leur reproche d'avoir cherché à se venger sur des étudiants repérés lors de manifestations précédentes : « le policier G. a mis la tête sur le genoux de l'un, ils n'y sont pas allés de main morte... »

Quant à la séquestration, il s'inscrit en faux contre le réquisitoire du parquet et invoque la jurisprudence : « je mets quiconque au défi de dire que l'un ou l'autre a eu un rôle actif. Il y a ceux qui ont senti être séquestrés et ceux qui ont senti qu'ils ne l'étaient pas. Mlle Hatira est sortie de la salle du CA, plusieurs membres du CA ont dit qu'il n'y a pas eu de séquestration... Des chaises étaient devant la porte pour empêcher la progression de la police... »

Il contre-attaque en fustigeant les insultes proférées par quelques enseignants à l'égard des étudiants en action : « ils ont été traités de petits cons. Quand on est professeur ou maître de conférences, on peut avoir l'art de la négociation avec des étudiants... »

Il plaide donc la relaxe.

Délibéré au 27 juillet.

 

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