Numérique : réduire la fracture civique

Au secteur privé les investissements rentables, au secteur public et aux citoyens ceux qui coûtent. Dans le pays comme dans le Doubs, l'un des premiers départements à s'être lancé dans la réalisation d'un réseau numérique à très haut débit. Le début des travaux a été inauguré à Vaux-et-Chantegrue.

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Les investissements dans les infrastructures de très haut débit numérique résument assez bien ce qu'est devenue la notion de service public dans l'univers de la concurrence libre et non faussée. Aux grandes entreprises privées le droit d'équiper les zones urbaines considérées comme rentables. Après appel d'offres national en 2010, Orange investira ainsi 82 millions d'euros pour installer la fibre optique sur les 10% du Doubs où vivent 62% de la population : Pontarlier et les agglomérations de Besançon et Montbéliard.

Quant aux zones non rentables, elles pourraient aller se brosser, si les collectivités locales ne jouaient les pompiers de l'égalité territoriale pour que les ruraux ne soient pas des citoyens de seconde zone. Dans le Doubs, Ils sont quand même 38% des habitants à habiter 505 des 594 communes du département, dont certaines sont des petites villes. Le coût de l'installation du très haut débit y est évalué à 184 millions d'euros.

La fibre optique dans les alpages ?
« J'espère qu'on sera dans la seconde tranche. C'est fondamental pour le tourisme, notre projet de zone d'activités de Brey-Maisons du Bois », indique Jean-Marie Saillard, le président de la communauté de communes des Hauts-du-Doubs qui réunit les quelques communes autour de Mouthe.
Les nombreux chalets d'alpage qui jalonnent le mont Risoux sont-ils concernés par l'installation de la fibre optique ? « Ça va être compliqué à cause de la distance, mais c'est une bonne question à laquelle je ne sais pas répondre... Un problème est qu'il n'y a souvent pas d'électricité dans ces fermes ». Ou alors d'origine solaire...
Le très haut débit pourrait contribuer à rendre attractif le pastoralisme, en lente mais constante perte de vitesse, mais aussi à développer des hébergements pour les adeptes de plus en plus nombreux d'un tourisme vert...
Xavier Vionnet, le maire de Vaux-et-Chantegrue, est agriculteur de métier et voit bien les avantages du très haut débit pour les communications du contrôle laitier ou les échanges professionnels et techniques. La question s'y pose assez peu car les alpages y sont rares.   

Parmi les tout premiers de France, le conseil général du Doubs a proposé la création d'une structure destinée à porter cet investissement au long cours, réparti en plusieurs tranches. Il s'agit d'un syndicat mixte dédié au très haut débit, le SMIX, auquel une vingtaine de communautés de communes ont adhéré, moyennant une participation de 15 euros par an et par habitant pendant 15 ans...

36.000 habitants reliés en quatre ans

Les travaux de la première tranche doivent durer quatre ans et concernent 36.000 habitants et une centaine d'entreprises et/ou sites d'intérêt général sur 105 communes et neuf com-com. Elles participeront pour 5,4 millions sur un montant total de 45 millions, pris également en charge par le département (12,4 M€), l'Etat (9 M€), la Région (6,3 M€) et un emprunt à la Caisse des dépôts (11,9 M€).

La pose de la première « chambre de tirage » à Vaux-et-Chantegrue, dans le canton de Mouthe mais dans la communauté de communes Frasne-Drugeon, s'est faite jeudi 9 octobre en grande cérémonie. La chambre de tirage est un coffre en béton coulé dans le sol d'où partent et arrivent les câbles de fibre optique ; elle est implantée le long d'un réseau de tranchées où courent les câbles, à deux pas d'une armoire contenant les connexions des abonnés du quartier. Là, le technicien Arnaud François effectue une démonstration de raccordement avec un câble de 72 fibres : « pour chaque abonné, on tire un câble dont on tire deux fibres... Ici, on prévoit 300 abonnés ».

Travaux aussi en Pays horloger et autour de Bume-les-Dames

Quand on le peut, les câbles suivent les réseaux existants, y compris aériens, explique Adrien Grosjean, conducteur de travaux de la Sobeca, l'entreprise qui a eu le marché de génie civil pour les trois com-com du secteur : Frasne-Drugeon, Altitude800 (Levier-Val d'Usiers), Larmont (canton de Pontarlier sans la ville). Pour l'heure, ajoute-t-il, « on est en phase d'étude de ce qu'on peut faire pour compléter le réseau ». Les travaux doivent commencer simultanément dans deux autres groupes de trois com-com : le Pays horloger (Morteau, Maîche, Le Russey) et la région de Baume-les-Dames, Clerval, Roulans.

« Je suis 100% d'accord avec cet accompagnement pour l'équipement du monde rural, mais on le paie, à la différence du monde urbain. Il faudra penser à un rééquilibrage », confie Eric Liégeon. Nouveau maire de Courvières et suppléant de la députée Annie Genevard (UMP), il n'a rien perdu de ses réflexes d'ancien dirigeant de la FDSEA. « Si les collectivités rurales paient, c'est que lors de l'appel d'offres de 2010, l'Etat a demandé aux opérateurs privés où ils voulaient investir », remarque Vincent Fuster, premier vice-président du Conseil général (PS) et président du SMIX. « En laissant faire le marché, les opérateurs vont prioritairement dans les zones urbaines », confirme Claude Jeannerot qui en tire une conséquence : « le rôle des collectivités territoriales est d'engager la course à l'équité. Le haut débit est devenu un bien de première nécessité, comme l'eau sur l'évier ou l'électricité ».

Antoine Darodes : « le retour de l'Etat après 15 ans d'absence ».

Alors que les départements sont dans le collimateur du pouvoir central, le président du conseil général en profite pour insister sur le rôle des collectivités qui prennent à leur charge 70% des quelque 260 millions qui vont s'investir dans les dix ans pour financer les infrastructures numériques du Doubs. Antoine Darodes, le directeur de la mission très haut débit, s'est déplacé. Il proclame devant une assemblée d'élus locaux ravis « le retour de l'Etat dans l'aménagement numérique du territoire après 15 ans d'absence ».

A Vincent Fuster qui s'inquiète de la pérennisation des financements, notamment pour les deux tiers du Doubs rural pas encore engagés dans le chantier, Antoine Darodes répond en espérant rassurer : « le budget 2015 prévoit une nouvelle ligne de 1,4 milliard d'euros ». L'Etat avait annoncé une participation totale de 3,3 milliards sur les 13 à 14 milliards d'investissements nécessaires dans les zones d'initiatives publiques du plan France Très haut débit lancé début 2013 par le gouvernement pour l'horizon 2022.

David El Fassy, le patron d'Altitude Infrastructure, l'entreprise ayant obtenu la délégation de service public pour vendre les abonnements, est aux anges. « Nous sommes un Rungis des télécoms, nous commercialisons en gros des parts de marché aux grands opérateurs comme aux petits : si vous voulez qu'Orange arrive, faites confiance aux petits ! » Il aurait pu dire : déroulez lui le tapis rouge.

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