Noël Ratte, producteur bio et écrivain

Éleveur de vaches montbéliardes à comté à Hautecourt, près de Clairvaux-les-Lacs (Jura), cet ancien responsable syndical et coopératif est sans cesse en réflexion sur le métier et la fonction de paysan. Auteur d'un premier livre auto-édité, il en prépare un second.

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Installés au début des années 1980 à Hautecourt, sur les hauteurs de Clairvaux-les-Lacs, Dominique et Noël Ratte produisent 150.000 litres de lait bio, transformé en comté à Saffloz, par la Fruitière du Massif jurassien, et affiné par Monts et Terroirs (ex Entremont) à Vevy. Ils ont 76 bêtes dont 27 vaches laitières, des génisses et des veaux. Chose devenue rare aujourd'hui, l'étable est dans le même bâtiment que le logis. Si l'on n'est pas dans une stabulation libre, c'est par dérogation : elle s'arrêtera lors de la cession de la ferme d'ici quelques années, à moins que la reprise se fasse en agriculture conventionnelle !

Noël Ratte raconte dans un livre auto-édité, paru en 2015, comment ses parents se sont installés à Hautecourt après avoir quitté Evillers, dans le Haut-Doubs, en mars 1957, parce qu'ils n'avaient pas les moyens de réparer le toit de la ferme. Parlant de la grande histoire comme de la sienne, du Moyen-Age à l'Europe agricole, il établit des liens entre avant-hier et aujourd'hui, s'interroge sur demain, fait parler des témoins de la coupe de 450 hectares de forêt entre les deux guerres mondiales, par 120 bûcherons d'Europe centrale, pour faire travailler la forge de Clairvaux qui employait 250 ouvriers...

Regard perplexe sur l'économie

Présentant une philosophie de vie où se côtoient responsabilités et autonomie, critique politique et travail, Noël Ratte s'intéresse à tout et notamment à l'économie sur laquelle il porte un regard perplexe. Exemple : « depuis plusieurs années, je réfléchis et ma décision est prise : nous ne construirons pas de nouveau bâtiment. Si je réalise un bâtiment pour les vaches laitières, le coût sera si important que je n'aurai presque plus de revenu pendants quinze années et si je ne fais pas ce bâtiment, la ferme ne sera plus aux normes. Elle ne sera donc plus cessible dans l'avenir, mais rien ni personne ne peut m'assurer aujourd'hui qu'avec un bâtiment neuf, elle le sera davantage dans quinze ans ».

Engagé dans sa jeunesse dans le mouvement gaulliste, Noël Ratte a présidé la section cantonale de la FDSEA, mais n'est plus syndiqué depuis un moment : « la Conf n'est pas mal, mais a parfois des idées farfelues. Quant à la coordination, ils sont proches de Le Pen... » Il a aussi présidé l'ancienne coop de Clairvaux, aujourd'hui fermée.

D'où vient votre conversion à l'agrobiologie ?

Dans une nouvelle version à paraître du livre, je parle d'une histoire ancienne : 1974 et le premier départ en vacances dans le Calvados avec mes parents. Les Normands mettaient de l'engrais après que les vaches aient pâturé, et transformaient le lait en poudre ! Georges Benoîtqui a vendu la ferme au père de Noël Ratte disait qu'on achetait du pétrole aux Arabes pour faire des engrais, des semences de maïs et de soja aux Américains, pour vendre de la poudre aux Russes ! On parlait déjà des algues vertes et on ne savait pas d'où elles venaient... On faisait déjà trop de lait avec nos impôts...

C'était le plan Pisani qui a, depuis, fait son auto-critique...

On continue d'aller trop loin. Les techniciens nous disaient qu'il fallait produire du lait... Aujourd'hui, dans la campagne électorale, il n'y a pas un mot sur l'agriculture.

Qu'est-ce qui vous faire écrire ce premier livre ?

Je projetais de faire une chronique mensuelle sur le site du foyer rural.. Au départ, c'était une histoire d'Hautecourt, mais j'ai dérivé. J'ai mis un peu de politique, écrit que j'étais contre la réintroduction du lynx...

Difficile de trouver des champs

Comment êtes-vous venu au bio ?

Mon père faisait 50.000 litres de lait en 1978, on en faisait 150.000 en 1990 avec la même paie, et même moins. Pour améliorer la valeur ajoutée, il aurait fallu traire davantage, s'agrandir en tuant le voisin, ou passer à 40 vaches...

C'est donc un choix économique ?

Oui. C'était difficile de trouver des champs. Et puis, on a vu un paysan qui avait coulé avec 250.000 litres, la foire d'empoigne pour récupérer ses terres... Quand j'étais président cantonal de la fédé, il y a dix ans, je m'étais opposé à ce qu'une ferme de 87 hectares agrandisse une autre de 170 hectares car on aurait pu agrandir les six jeunes autour...

Vous n'êtes plus à la FDSEA ?

J'ai été viré quand j'ai essayé d'empêcher une installation près de Pont-de-Poitte quand Jean-Pierre Vincent a viré son associé pour donner sa place à son épouse... Même Gérard Baillysénateur, ancien président du conseil général, ancien président de la chambre d'agriculture et de la FDSEA du Jura disait que ce n'était pas normal, mais il ne pouvait rien faire...

Faudrait-il rendre publics les travaux des commissions départementales d'orientation agricole qui prennent formellement les décisions ?

Ce serait bien, c'est opaque ici...

La conversion en bio : moins de recettes pendant trois ans

L'agriculture bio, c'est un élément dans un ensemble ? Vous l'avez découverte en avançant ?

Oui. En 1982, on manquait de phosphore dans la terre, alors j'ai amené des scories, mais il y avait encore moins de phosphore. Quand on est passé en bio, on a mis des engrais différents sur six parcelles, et c'est celle où il n'y a pas eu d'engrais qui a eu le meilleur rendement ! Après 25 ans, les seuls engrais qu'on met, c'est le fumier et le purin. Les vaches n'ont plus de coliques, plus de fièvre de lait... On n'utilise plus d'hormones pour la fécondité. La production moyenne annuelle est passée de 7500 litres de lait par vache à 6000-6500 litres...

Mais vous avez moins de charges ?

Oui, on a moins de charges, et le lait bio est mieux payé. Au départ, pendant trois ans, on a eu moins de recettes... Le comptable voulait qu'on fasse vêler les vaches à deux ans, afin d'acheter moins de farines et avoir plus de places ! On a décidé de faire vêler à deux et demi trois ans. On a vu un gars qui a eu un prix de rentabilité avec une production de 16.000 litres de lait par an, mais il était en faillite car il ne pouvait plus payer ses farines !

Qu'est-ce qui change dans l'élevage bio ?

On n'a rien à investir, juste à changer de marque de farine... En 1996, on est passé d'un lait payé 2,20 francs à un lait bio à 2,70. Un non bio peut faire ce qu'il veut dans ses champs, par exemple désherber... En 1984, ça donnait par exemple du lindane dans certains fromages, on le pulvérisait dans les cellules à farine pour lutter contre les charançons. Aujourd'hui, il est interdit.

 

 

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