Maintien de l’ordre : le référé-suspension du SNJ et de la LDH examiné le 16 octobre

Le recours en urgence déposé devant le Conseil d'Etat à l'encontre du Schéma national du maintien de l'ordre du ministère de l'Intérieur est doublé d'une procédure au fond, visant son annulation. Le Syndicat national des journalistes et la Ligue des droits de l'homme pointent notamment le risque d'arbitraire policier à l'encontre de la presse, et invoquent la jurisprudence européenne. La CGT a également saisi la haute juridiction administrative.

Le Conseil d'Etat doit examiner le 16 octobre le recours en référé-suspension déposé le 24 septembre par le SNJ et la LDH à l'encontre le Schéma national de maintien de l'ordre (SNMO) publié le 16 septembre par le ministère de l'Intérieur. Parallèlement, les deux organisations ont formé un recours en annulation sur le fond en raison d'un « doute sérieux de légalité », procédure qui doit demander davantage de temps.

La LDH « considère que ce schéma porte atteinte à la liberté de la presse, d’observation, la liberté individuelle et à la liberté de manifester ». Le SNJ estime que « le ministère de l’Intérieur n’a pas à mettre au pas les journalistes qui couvrent des manifestations » et ainsi « affecter le droit des journalistes d'exercer librement leur profession ainsi que la liberté corrélative d'informer ».

Le SNMO a suscité une levée de boucliers de la part des principaux syndicats de journalistes, des sociétés de journalistes de nombreux médias, mais aussi de plusieurs organisations syndicales et de défense des libertés. La CGT et le SNJ-CGT ont également formé un recours en référé contre le SNMO le 5 octobre. Il sera examiné en même temps que celui du SNJ et de la LDH.

Le raisonnement est en gros celui-ci : le SNMO témoigne d'une bonne dose d'hypocrisie en affirmant tout à la fois vouloir faciliter le travail des journalistes sur les manifestations mais en assortissant cette bonne intention de conditions qui la vident de son sens en restreignent fortement la liberté des journalistes d'aller et venir, voire leur intiment de se disperser après sommation, les confondant de facto avec des manifestants récalcitrants. Le SNMO permet aussi aux policiers et gendarmes de choisir les journalistes pouvant travailler en fonction de critères illégaux et/ou discriminatoires.

A lire les 38 pages du référé-suspension du SNJ et de la LDH à l'encontre du texte publié le 16 septembre par le ministère de l'Intérieur, ce dernier est en contradiction flagrante avec les principes fondamentaux qui garantissent la liberté de la presse, la liberté d'expression et le droit des citoyens d'être informés, tout en portant atteinte à la liberté d’observation, la liberté individuelle et à la liberté de manifester.

« Atteinte grave et immédiate à la liberté d’expression journalistique
et à la liberté corrélative d’informer »

La procédure de référé témoigne de « l'urgence manifeste » invoquée par le SNJ et la LDH pour qui le SNMO « porte une atteinte grave et immédiate » aux intérêts des journalistes qui « relèvent d'intérêts publics ». Non pas pour leur propre compte, mais parce que c'est la liberté d'informer qui est en cause. Ils pointent notamment le risque d'arbitraire et l'emploi de termes juridiquement flous car non définis.

Ainsi, les avocats des deux organisations écrivent que « le SNMO comporte des mesures qui sont de nature à fortement affecter le droit des journalistes d’exercer librement leur profession et la liberté corrélative d’informer l’ensemble du public sur des évènements liés à des débats d’intérêt général. D’abord, la capacité des journalistes à s’équiper de façon adéquate afin de protéger leur intégrité physique en cas de trouble grave est directement affectée par les consignes du SNMO. Car ces dernières conditionnent le droit des journalistes à porter des équipements de protection lors d’une manifestation à une double exigence : Non seulement leur identification doit être confirmée mais, en outre, leur comportement doit être exempt de toute infraction ou provocation. Or, le respect de ces conditions à vocation à être apprécié par les seules forces de l’ordre sur le terrain, sans que les notions d’identification ou encore de provocation ne soient précisément définies.Une telle situation, source de possible arbitraire dans le contrôle des journalistes exerçant leur mission professionnelle, ne peut manquer de porter une atteinte grave et immédiate à la liberté d’expression journalistique et à la liberté corrélative d’informer. »

Ce n'est pas tout, car le SNMO invente des conditions inédites à l'exercice du journalisme. Le schéma prévoit la possible mise en place d'un canal d’échange dédié avec un officier référent [...] désigné au sein des forces qui n'est accessible qu'aux journalistes à la fois titulaires d’une carte de presse mais aussi accrédités auprès des autorités. Or, un journaliste peut exercer sans carte de presse. Par conséquent, exclure ceux qui n'en ont pas des informations est une restriction discriminatoire. Quant aux modalités d'accréditation, le SNMO est muet sur ce point.

Pour la Cour européenne des droits de l'homme,
« les médias jouent un rôle crucial en matière d’information du public
sur la manière dont les autorités gèrent les manifestations publiques
et maintiennent l’ordre »

Le SNMO entend aussi rappeler que le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations. Ce rappel, estiment les avocats du SNJ et de la LDH, « est en réalité un feu vert accordé par le ministre de l’intérieur aux forces de l’ordre pour empêcher les journalistes de rendre compte pleinement des manifestations, y compris de leurs dispersions ou de leurs dérapages. Il est d’autant plus inacceptable qu’il fait suite à de nombreux abus policiers constatés envers les journalistes lors des récents mouvements sociaux et dénoncés, entre autres, par le Conseil de l’Europe. Nous appelons le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, à corriger ce nouveau cadre d’exercice du maintien de l’ordre pour le mettre en conformité avec les principes français et européens de la liberté d’informer.»

Car la jurisprudence européenne est convoquée par les requérantes qui soulignent que La Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg dit sans ambiguïté : « Les médias jouent un rôle crucial en matière d’information du public sur la manière dont les autorités gèrent les manifestations publiques et maintiennent l’ordre. En pareilles circonstances, le rôle de ''chien de garde'' assumé par les médias revêt une importance particulière en ce que leur présence garantit que les autorités pourront être amenées à répondre du comportement dont elles font preuve à l’égard des manifestants et du public en général lorsqu’elles veillent au maintien de l’ordre dans les grands rassemblements, notamment des méthodes employées pour contrôler ou disperser les manifestants ou maintenir l’ordre public. En conséquence, toute tentative d’éloigner des journalistes des lieux d’une manifestation doit être soumise à un contrôle strict. »

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