Macron au musée, la Boucle en état de siège

Il fallait de la persévérance pour venir écouter le président de la République disserter à Besançonsur le beau et vendre le Pass Culture. Durant une matinée, ceux qui avaient autre chose à faire ont eu toutes les peines du monde à vivre leur vie. Drôle de façon de reprendre contact avec les citoyens...

macron12
Au retour de la visite de presse du musée des beaux-arts et d'archéologie de Besançon, j'ai regretté de ne m'être accordé qu'une journée pour écrire sur le sujet. J'en croyais évidemment mes yeux, mais il me fallait aller un peu plus loin. J'aurais lu intégralement le magnifique Guide des collections, 300 pages de reproductions et de notices savantes, que je me suis contenté de picorer. J'aurais plongé dans le lourd et superbe catalogue Dessiner une Renaissance qui, en 260 pages, présente l'une des premières expositions temporaires du lieu, évoquant notamment la période italienne de Jean Gigoux qui a tant fait pour la ville...  En attendant de reprendre mes lectures, je suis allé écouter ce qu'allait en dire Emmanuel Macron venu couper le ruban. Je n'ai pas été déçu de mon petit périple, mais j'étais prévenu : le lundi précédent, le maire Jean-Louis Fousseret avait annoncé au conseil municipal qu'il faudrait venir tôt... Descendant à pied de la gare, j'ai vite constaté que la circulation automobile était nettement moindre qu'un autre vendredi matin. J'ai repéré les deux uniformes bleus faisant les cent pas sur la passerelle piétonne. En arrivant à 10 heures 25 en bas de la rue Battant, je comprends : le pont est infranchissable pour pénétrer dans la Boucle, fermé par des barrières gardées par des CRS armés. Leurs mini-bus stationnent sur le pont et les quais, et quelques hommes font la navette en canot sur la rivière. Quelques citoyens qui entendaient vaquer à leurs occupations, faire leurs courses ou rentrer chez eux ne cachent pas leur contrariété. Un père emmenant son jeune enfant « chez l'ophtalmo » est désemparé. La carte de presse n'est pas le sésame qu'on croit parfois. « Passez par la rue Courbet », explique aimablement à ceux qui veulent rejoindre la place de la Révolution un CRS en montrant le passage par le quai de Strasbourg...

« Des échauffourées rue Jean-Jacques Rousseau. C'était sportif... »

Comme je veux constater de visu ce que donne le rassemblement inter-syndical, je prends le quai Veil-Picard et le pont Canot, faisant connaissance avec un Dijonnais installé à Besançon depuis quelques années. La place de l'Arsenal étant vide, nous supposons que les manifestants ont tenté de s'approcher du musée. Une voiture de police banalisée est en travers dans la rue de l'Orme de Chamars et la file de bus à l'arrêt s'allonge derrière elle. Je m'y engage et croise un manifestant revenant du front : « il y a eu des échauffourées rue Jean-Jacques Rousseau. C'était sportif... » La rue est aussi bloquée, mais pas trace de protestataires. Des gendarmes équipés pour forcer le respect interdisent le passage. Un bref dialogue s'engage. Ils sont venus de Saint-Etienne. On parle foot puis on va vers la place Pasteur. Un officier en civil confirme que ça été « sportif ». J'entends une sono et vois environ 300 personnes bloquées par deux cordons de CRS casqués et munis de boucliers. Guéguerre de positions. On pourrait en rester là, quand soudain un mouvement de foule. Les manifestants refluent en protégeant leur visage.

« Longtemps qu'on n'avait pas pris de gaz... »

J'entends prononcer « coups de matraque », « gaz... » Un placide militant fait l'étonné : « il y a longtemps qu'on n'avait pas pris de gaz... » Le nez et la gorge me piquent, je recule aussi, mon carnet en main. « Quelle honte ! Pays de merde ! », lance une femme d'une soixantaine d'années. Le gaz se disperse en quelques minutes et les manifestants reviennent à une dizaine de mètres des CRS. Certains entonnent un slogan entendu depuis les manifs contre la loi travail : « Allez les gars, combien on vous paie pour faire ça ? » On entend quelques « Macron démission »... Il est 10 heures 55 et le président doit arriver dans 5 minutes. En fait, il aura une heure de retard, mais on ne le sait pas encore. Il est temps d'essayer de rallier la Révolution. Impossible par la rue Claude-Pouillet, barrée elle aussi. Un homme tente de parlementer avec les gendarmes : « mais j'ai un train... comment je fais ? » Il ne passera pas. Moi non plus. Tentative par le supermarché de la galerie Pasteur, mais toutes les issues sauf une sont closes.

« Ils nous prennent pour qui ? »

Demi tour. Deux étudiantes commentent la situation rue du Lycée : « Ils nous prennent pour qui ? » Je plaisante en passant à leur hauteur : « des terroristes ? » La jeune femme rigole : « Ce n'est pas moi qui l'ai dit... » Tiens, la rue Jean-Jacques Rousseau est accessible. Le rassemblement de l'intersyndicale s'est dispersé de lui-même. Place du 8-Septembre, des retraités CGT ne peuvent pas continuer. Motif : un drapeau dont le manche fait bien un mètre de long ! Le militant blague  et le glisse sous son pull : « et si je le cache ? » Le jeune gendarme sourit mais reste inflexible : « Mais monsieur, on le voit, il dépasse... » Je rejoins la rue des Granges, mais là aussi l'accès de la place de la Révolution est interdit. Et même à la rue Luc-Breton ! Un riverain qui rentre justement chez lui ne peut pas passer. Il râle : « Merci Macron ! » Une consœur de Radio France est également bloquée. Elle ne connaît pas bien la ville, je la guide par la rue Gambetta où deux hommes avec une pancartes arrivent en face de nous. Photo. En fait, ce ne sont pas des manifestants, mais des annonceurs d'un récital du frère franciscain Jacques Jouët... Que pensent-ils des barrages ? L'un répond : « le président n'est pas Jésus, il ne veut pas tendre la joue... » Certes, mais bloquer un enfant qui va chez le médecin ? « C'est exagéré... »

- « Vous savez, c'est humiliant ».  - « Ah bon, pourquoi ? »

11 heures 56, nous arrivons au bout de la rue Courbet. Devant le barrage filtrant, plusieurs dizaines de personnes sont bloquées. A cause du niveau d'alerte monté d'un cran après que la police a trouvé deux œufs pourris dans une poubelle, elles ne peuvent pas approcher plus près que le niveau de la rue Jean-Petit. En fait, ne passent que ceux qui ont une invitation. Trois jours auparavant, j'ai demandé une accréditation mais je n'ai pas eu de retour. Ma carte de presse me permet quand même de franchir ce barrage, non sans subir une première palpation. Me voilà enfin place de la Révolution. Une aimable jeune femme de la préfecture compulse un épais listing. Je n'y suis pas. Elle pars avec ma carte se renseigner à l'échelon supérieur et revient avec un badge. Il est 12 heures 10 et je dois passer la dernière double-épreuve : franchir le portique, qui sonne à cause de mes lunettes et de la batterie de rechange de mon appareil-photo. De l'autre côté, un homme en costume me salue poliment en me demandant d'écarter les bras : seconde palpation et passage au détecteur de... de quoi au fait ? Une fois son travail effectué, je lui dis « Vous savez, c'est humiliant ». Il me répond : « Ah bon, pourquoi ? » En fait, j'ai de la chance par rapport à ceux qui sont arrivés à l'heure figurant sur leur invitation : 10 heures. Il est en effet 12 heures 53 quand le président de la République, qui vient de visiter le musée, pénètre dans le pavillon démontable où plus de mille convives ont pris place. De plus en plus comprimés à mesure que la vaste tente se remplissait, ils ont patienté debout, quasiment sans bouger, jusqu'à trois heures... Durant son discours, le président s'interrompra un instant en regardant vers le premier rang : « une dame a fait un malaise... Il faut l'évacuer... » Sait-il alors qu'il s'agit de la première adjointe, Danièle Dard ? Il fera un geste vers elle, tendra son verre d'eau, mais elle ne le prendra pas, accompagnée à l'extérieur par les secouristes.  
Place Pasteur, 11h05.
 
Place Pasteur
 
Rue des Granges.
 
Rue des Boucheries.
 
Rue Pasteur
   

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !