Lynx, le débat est bestial

Véritable atout de la biodiversité pour certains, concurrent sévère à la chasse pour d’autres, les échanges sont parfois sauvages autour du lynx. Pour tenter de régler le problème, un plan d’étude a été proposé : le Plan Prédateur Proie Lynx. Porté par les chasseurs et le CNRS, il est décrié par le centre de sauvegarde de la faune sauvage Athenas et par le CNPN (Conseil national de protection de la nature).

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Ce n’est pas un hérisson, mais le sujet est épineux : le sort du lynx boréal dans le massif du Jura. D’un côté, les associations de défense de la nature, de l’autre, les offices de l’État secondés par les chasseurs. Au cœur du débat, le Plan Prédateur Proie (PPP) Lynx. Ce plan débattu vise à « étudier les effets cumulés de la chasse et du lynx sur les petits ongulés [chevreuils, chamois, NDLR] », selon Jean Baptiste Fanjul, chargé d’études et animateur du PPP.

 

L’animateur fait le lien entre les différents acteurs du projet : le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’Office français de la Biodiversité (OFB) et les fédérations de chasse de l’Ain et du Jura, à laquelle lui-même est rattaché. Le programme cherche aussi à voir comment les ongulés adaptent leur façon d’utiliser le terrain face à la prédation et la chasse ; et plus généralement, les effets des animaux et de la chasse sur la forêt. Au-delà de l’aspect scientifique, le plan vise aussi à analyser la perception du lynx par différents acteurs du territoire comme les chasseurs, les agriculteurs, les agents forestiers et le grand public.

Démarré en 2017, il vise à capturer dix lynx « maximum » pour les équiper de colliers GPS pour suivre leurs déplacements et leur régime alimentaire ; et à en recapturer pour remplacer les colliers. Un programme étalé sur dix ans « pour avoir suffisamment de données utilisables », continue Jean Baptiste Fanjul. Les données recueillies seront recoupées avec des relevés faits par les chasseurs eux-mêmes pendant leur chasse. Pour le moment, seuls des chevreuils et des chamois ont été capturés et équipés de colliers, dans l’attente d’une dérogation pour pouvoir capturer les lynx.

Le but final est de « prévoir des plans de chasse plus adaptés » mais aussi de « réconcilier certains chasseurs avec le Lynx, en montrant que cette espèce n’est pas un monstre », conclut le chargé d’études.

Une utilité débattue

« C’est un projet purement cynégétique [de chasse, NDLR], qui va capturer dix lynx pour avoir des informations qu’on a déjà. C’est une part qu’on n’a jamais vu pour une espèce protégée », estime Gilles Moyne, cofondateur du Centre Athénas, qui accueille et sauve les animaux sauvages en difficulté. L’expert indique que d’autres techniques existent pour avoir les informations souhaitées : récupérer les crottes pour avoir le régime alimentaire ; mais « il faut des bottes et du courage ». Le directeur du Centre Athénas fait part de sa peur des captures du lynx quand il voit l’énergie mise pour les captures d’ongulés. Il regrette enfin de ne pas être informé quand il y a ces captures d’ongulés.

Le Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN), organisme consultatif rattaché au ministère de l’Écologie, a émis deux avis défavorables sur le PPP : l’un le 19 octobre 2017, et l’autre le 27 avril 2018. Ces deux avis tiennent à distance les demandes de dérogations pour capturer les lynxs, espèce protégée. Le CNPN ne voit pas toujours clairement les objectifs du projet et remet en cause un certain nombre de points. Par exemple, l’ambiguïté du nombre de Lynx à capturer : « l’on passe de 10 individus […], à 16 après recapture [pour remplacer des colliers], au “plus possible” quelques pages après ».

La capture pose également problème, même si le système n’est pas forcément remis en cause, c’est le temps de formation (une journée) qui est remis en question ; comme les « compétences “faune sauvage” du vétérinaire et sa capacité à intervenir rapidement » qui ne sont « pas précisées ». Dans l’avis de 2018, le CNPN se demande aussi pourquoi d’autres facteurs comme le tourisme, les activités forestières ou même la chasse elle-même, ne sont pas étudiés alors que l’on cherche à comprendre l’impact du lynx sur le dérangement des ongulés.

Les avis du CNPN s’étonnent aussi du régime alimentaire considéré, qui serait différent entre le lynx suisse et le lynx français… Côté France, ils mangeraient 80% d’ongulés, contre seulement 50% d’après les études suisses. « Les méthodes proposées ne permettront pas de préciser le régime alimentaire du lynx, en l’absence d’étude de fèces, notamment le piégeage sur proie (ongulés) introduit un biais en le faisant porter sur des individus spécialisés sur les ongulés alors que la littérature scientifique fait apparaître des différences de choix alimentaire, selon les sexes et les classes d’âge », précise le CNPN.

40 attaques de troupeaux dans le Jura et 5 dans le Doubs

Le lynx boréal est un « prédateur opportuniste », il va s’attaquer principalement aux proies les plus faciles à attraper, dont les plus faibles. Et une proie fait le repas d’environ une semaine pour un Lynx, ce qui fait qu’un individu attaque 40 à 50 ongulés par an. Il se nourrit aussi de plus petites proies comme des lièvres par exemple. Durant la saison de la chasse, la situation change. Les ongulés sont plus difficiles à attraper alors le félin se tourne parfois vers les troupeaux de bétail. Sur ce point sensible, Gilles Moyne commente : « ces attaques sont rares et c’est loin d’être la cause majeure de mortalité des troupeaux. Mais elles sont souvent mises en exergue plus que le reste [des causes de mortalité d’un troupeau] ». En 2019, d’après les Directions Départementales des Territoires du Jura et du Doubs, il y a eu 40 attaques attribuées au lynx dans le Jura pour 81 animaux tués et 5 attaques dans le Doubs pour 10 chèvres tuées. Dans ces cas-là, les éleveurs sont indemnisés et des mesures, comme l’installation de matériels d'effarouchement lumineux ou sonores ou l’usage d’un chien de garde dressé, sont instaurées.

Quand l’avis de 2017 pointait du doigt l’absence du Centre Athénas, celui de 2018 interroge sur le manque d’ouverture du projet sur la société civile, et commente : « Il serait anormal, s’agissant d’une espèce protégée au plan national, dont le statut de conservation est défavorable (espèce menacée), que le pilotage du projet ne soit pas partagé ». Les deux avis posent la question de la protection et des bénéfices pour la conservation de l’espèce, étant considérée « en danger ». Enfin, le conseil recommande à l’État d’élaborer une politique de conservation du lynx avec tous les acteurs, sous la forme d’un Plan National d’Action.

Sur ces avis, Jean Baptiste Fanjul commente que voir le risque pour l’espèce est « légitime », mais ajoute : « Toutes les précautions seront prises, avec une méthode reconnue et des agents formés par Kora, fondation suisse qui a les clés et l’expérience. »

La vie des petits lynx est remplie de dangers, seul un jeune sur quatre peut espérer devenir un adulte, les autres ne se feront pas à la vie autonome. Au-delà de ça, l’espèce a deux menaces qui pèsent sur elle : les collisions routières et le braconnage. Sur ce dernier point, le Centre Athénas estime qu’il est grandement sous-estimé en France et calcule que la moitié des lynx morts aujourd’hui dans le Jura le sont par la main volontaire de l’Homme. « Tous les cas de braconnage ne sont pas vus, car beaucoup sont cachés et on ne retrouvera jamais les cadavres. C’est ce qui donne les “jeunes orphelins” qui s’approchent des maisons et qu’on recueille ici au centre », commente Gilles Moyne. Au niveau européen, 30% des lynx morts sont attribués aux braconniers. En France, ce chiffre tombe à 10%, « alors qu’il y a plus de personnes ayant un permis de chasse et donc une arme », ajoute le directeur du Centre Athénas. Lui penche pour un chiffre proche des 50%.

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