L’insoumis : portrait sensible d’un intellectuel engagé en politique

Après Les Jours heureux et La Sociale, Gilles Perret signe un film tourné de l'intérieur de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. Riche en émotions, il montre comment a été vécu l'espoir de la qualification pour le second tour et analysée la situation politique. Projeté en avant-première à Poligny devant 120 spectateurs, il sort en salle le 21 février. 

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C'est l'une des premières scènes du film. La voix de Gilles Perret, qu'on sait l'œil rivé au viseur de sa caméra, demande à Jean-Luc Mélenchon installé dans un train qui longe un canal : « Tu le sens comment ? » On est au lendemain de la primaire socialiste et les sondages le placent loin derrière Benoît Hamon. Parmi le peuple de gauche des voix s'alarment déjà sur cette double candidature qui laisse peu de chance de succès. Jean-Luc Mélenchon répond : « Je vais gagner... » Il tempère un instant plus tard : « la vie des gens de gauche est faite d'espérance... »

On sait d'emblée que le cinéaste et le candidat sont proches, se tutoient. « C'est très bien d'afficher d'où on parle », dira Gilles Perret dans le débat qui suit la projection en avant-première, le 9 janvier à Poligny. Ils se sont déjà rencontrés et Mélenchon apprécie le travail de Perret. Cette séquence introduit surtout le début de l'histoire d'une remontada, d'une remontée vécue pendant quelques semaines comme fantastique tant par la foule des meetings que par les commentateurs, y compris ceux à qui elle a fait peur. Cela confère une vraie dimension cinématographique à un film peu avare en émotions, rires, moments d'humour. C'est aussi un film d'histoire : nous en connaissons l'épilogue, mais pas les acteurs au moments où ils sont filmés.

« Macron est parfait... Le parti de l'ordre et du fric va se mobiliser... »

On est dans l'ambiance de la petite équipe de campagne qui entoure le candidat, véritable héros romanesque, bien plus fin et subtil que le costard de ténor excité et hargneux taillé par certains dans les médias de masse. Il y a aussi des démonstrations et des analyses que Gilles Perret a captées à l'occasion d'entretiens lors de moments creux. Il y a par exemple cette étonnante scène de maquillage où Mélenchon explique sa « stratégie révolutionnaire ».

Après un entretien avec Elisabeth Martichouxex compagne d'Aquilino Morelle qui fut conseiller d'Arnaud Montebourg puis de François Hollande... sur RTL, Gilles Perret continue d'enregistrer l'échange qui se poursuit. Mélenchon y montre que les bons sondages ne lui montent pas à la tête et fait une analyse lucide quand la journaliste lui demande si Macron va baisser. Il répond : « Macron est parfait... Le parti de l'ordre et du fric va se mobiliser... » Il avait vu juste : peu après, la presse financière l'accusait de faire baisser le rendement des placements.

D'autres éditorialistes montaient en épingle sa proposition d'adhésion à l'Alba, « fondée par Castro et Chavez », oubliant de préciser qu'une dizaine d'autres pays ont rejoint cette association de coopération internationale latino-américaine alternative au libre-échangisme promu par les USA. Omettant de mentionner l'intérêt que cela aurait pu comporter pour la Guyane ou les Antilles françaises... Dans une autre séquence, l'un des « traquenards » du service public est montré et décortiqué : « nous sommes renvoyés à la bestialité des gens de gauche... ».

La dramatisation vient avec l'échéance approchant et les sondages s'améliorant.
On assiste à une mutation des protagonistes avec l'éventualité du second tour...

Le générique de début montre un candidat sérieux, répétant un discours, corrigeant une liaison en se parlant à lui-même : « c'est un futur antérieur... » Le film est rythmé par la variété des situations de campagne, mais aussi leur répétition : interviews, trajets, meetings, débriefing. La dramatisation vient toute seule avec l'échéance approchant et les sondages s'améliorant. On assiste à une mutation des protagonistes avec l'éventualité du second tour. On sent par instant le poids sur les épaules d'un homme face à son destin : sa solitude devant une fenêtre, quand il tourne en rond avant d'entrer en scène...

Ce film, c'est aussi le portrait sensible d'un intellectuel engagé. On y retrouve des épisodes connus, comme cet échange avec ce docker du Havre qui lui offre son casque après lui avoir demandé le triangle rouge qu'il porte sur sa veste. On le sent se ressourcer auprès de son équipe fournissant des conseils d'une simplicité parfois désarmante : « il faut accentuer sur les petites retraites car le FN est pris par les affaires », dit Martine Billard. « Sagesse et humour », théorise Danielle Simonnet. Sonia Chirikou s'énerve du « cirque » de l'avant-débat sur TF1, Alexis Corbière la taquine.

On découvre un candidat se laissant aborder pour des selfies avec des passants, avec le contrôleur d'un train. Gilles Perret a l'œil, il filme les vibrations et les émotions provoquées parmi les auditeurs du tribun quand il s'exclame : « Ils vous font peur ! Disent que vos espoirs coûtent cher ! Mais c'est le malheur, l'ignorance et la mauvaise santé qui coûtent cher ». Loin du tract ou du film de propagande, le regard du cinéaste est bienveillant à l'égard d'un homme dont il partage une bonne part des idées, mais pas laudateur.

« J'y croirai quand le ministère de l'intérieur confirmera... »

L'épilogue, filmé dans la petite chambre d'une auberge de jeunesse, montre l'équipe les yeux rivés sur les portables à la recherche des indices. « Ça va le faire », dit Mélenchon à 18h30. « C'est pas bon », dit Chirikou une heure plus tard. A 20 heures, la télé annonce Le Pen et Macron au coude à coude, Mélenchon n'est pas résigné : « j'y croirai quand le ministère de l'intérieur confirmera... » Le 52 minutes conclut sur son intervention publique amère, le film de cinéma sur une adresse lyrique à ses soutiens qui le remercient : « on est la France insoumise pour aujourd'hui et pour toujours ».

Il y a quelques semaines, celui qui est désormais le leader de la gauche à l'Assemblée, accordait « le point à Macron ». Il est vrai qu'on est dans une situation que pas grand monde n'avait prévue : la majorité parlementaire absolue de LREM. On le voit dans le 52 minutes théoriser ce qu'il entrevoyait : « Dans la tête des socialistes, l'affaire est claire, ils ont un candidat pour bloquer Mélenchon, et un candidat pour le pouvoir qui est Macron... Cambadélis dit : "Macron n'aura pas de majorité parlementaire et aura besoin de nous". C'est à ça qu'ils se préparent, on retrouve le scénario  de la grande coalition allemande : un type bien libéral et un soc-dem bien arrangeant... »

Du coup, rendre un point n'est pas rendre gorge et on se souvient de François Mitterrand disant à Mélenchon qui le rapporte : « Ne cédez jamais, marchez votre chemin ». Et Jean-Luc Mélenchon lui répondait « Je marche, Monsieur... »

 

 

 

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