La danse endiablée du « Karnawal »

« Ce film est un conte fictionnel, inspiré d’anecdotes de mon enfance, de personnages et d’événements réels », confiait le réalisateur argentin Juan Pablo Félix, lors des Rencontres du Cinéma de Gérardmer. (Sortie le 11 mai)

C’est bien sûr durant le carnaval que se déroule le film du réalisateur argentin Juan Pablo Félix, « Karnawal », tourné dans une autre Argentine que la plus « touristique », dans le nord du pays, avec ses paysages montagneux et désertiques. Un film qui tient à la fois du western, du drame social et familial, du road-movie, du thriller… « Les différents genres cinématographiques s’adaptent et suivent la narration. C’est vraiment un conte fictionnel, inspiré d’anecdotes de mon enfance, toute la partie danse est liée à mon enfance, c’est inspiré de personnages et d’événements réels », confiait le réalisateur lors des Rencontres du Cinéma de Gérardmer, où il était accompagné de son producteur Edson Sidonie, Français exilé en Argentine.

« Tout petit, j’ai commencé la danse, le tango et le malambo, et j’ai eu envie de parler de cette façon de traduire le monde vu d’un adolescent », raconte Juan Pablo Félix, qui a recherché l’interprète de son personnage principal parmi un casting de 400 candidats. Pour jouer Cabra, ado qui prépare avec sérieux un concours de malambo, il a choisi le jeune Martin Lopez Lacci, champion junior de malambo, danseur qui a suivi une formation d’acteur et est devenu depuis comédien. « Sa vie a changé et c’est notre plus grande fierté que cette nouvelle vie pour Martin », estime Edson Sidonie.

Jeune homme aux longs cheveux noirs, Cabra enfile ses bottes neuves et s’entraîne devant le miroir de sa chambre, une danse endiablée aux impressionnants claquements de talons. « L’objectif du malambo est de reproduire le son des sabots du cheval, les chevaux communiquent en martelant le sol avec leurs sabots, c’est une danse de séduction, de passage à l’âge adulte », précise Juan Pablo Félix. Avec un physique androgyne, Cabra pratique une danse masculine, virile : « Il ne veut reproduire aucun modèle masculin, il est à la recherche d’une nouvelle masculinité », ajoute le réalisateur.

« Au moment du carnaval tout est permis »

Pour acheter ses fameuses bottes de malambo, la danse des « gauchos », Cabra a fait le messager jusqu’à la frontière, entre Argentine et Bolivie, a déposé un paquet qui contenait une arme, ce qui lui vaut désormais quelques ennuis avec la police. Toute une nuit de carnaval, il erre avec ses parents exceptionnellement réunis, sa mère indigène (Monica Lairana) et son père (Alfredo Castro) sorti de prison le temps d’une permission, et qui replonge aussitôt dans de nouvelles embrouilles. Sur la route de la fête, telle une apparition, on croise des hommes aux costumes de carnaval multicolores, cornes sur le front, dansant sur une butte de terre rouge. « Ces personnages sont des diables, ça marque le début du carnaval, le moment où le diable sort de terre ; c’est interdit de le reproduire, c’est quelque chose de sacré », explique Juan Pablo Félix, « Le carnaval est une culture locale qui traverse toute l’Amérique Latine, et à laquelle participe toute la société. Ce peuple est très calme, mais au moment du carnaval tout est permis ».

Tandis que les adultes se déchirent, l’ado au mauvais âge, pas encore libre de ses choix, n’a qu’une idée fixe : la danse et son concours. Immergeant ses personnages et les spectateurs dans une intrigue de thriller, le cinéaste repousse jusqu’à la toute fin du film la séquence de danse tant attendue. « C’est une construction volontaire pour faire languir le spectateur », dit-il, « Cabra est très silencieux pendant tout le film, et à la fin il s’exprime par un cri qui est une figure imposée, c’est une façon de montrer sa virilité et de raconter métaphoriquement le conflit ».

Comme les bottes battant la terre avec force, « Karnawal » frappe au cœur de la société argentine, évoquant le choc des cultures, entre traditions andines et modernité citadine, le choc des générations ainsi que la question de l’identité en Amérique Latine. Désormais programmé en France, le film est d’abord sorti en Argentine et en Bolivie : « Il a eu un poids beaucoup plus fort en Bolivie, car les habitants sont plus proches de cette région argentine et de ce que représente le carnaval ; à Buenos Aires, les spectateurs l’ont vu de façon plus extérieure », constate Juan Pablo Félix.

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