L’homéopathie, pour les animaux d’élevage aussi

Les éleveurs s'intéressent de plus en plus à l'homéopathie vétérinaire comme pratique alternative afin de soigner leurs troupeaux. Sur fond de plan national limitant l'usage des antibiotiques, les formations proposées par les chambres d'agriculture sont très demandées. Éleveurs, vétérinaires homéopathe et allopathe témoignent.

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Dans un contexte agité, marqué par les polémiques sur l'efficacité et le remboursement partiel des granules, on oublie que l'homéopathie est aussi utilisée pour soigner des animaux. Préconisée pour l'agriculture biologique au moins depuis sa reconnaissance officielle par la loi d'orientation agricole de 1980, l'homéopathie vétérinaire se développe sans faire de bruit depuis une dizaine d'années chez les éleveurs conventionnels. À la demande de responsables d'exploitation, les chambres d'agriculture ont mis en place des formations aux pratiques alternatives comme l'homéopathie ainsi que l'utilisation des plantes médicinales et des huiles essentielles (voir encadré).

Bien que le plan national Eco Antibio recommande de limiter fortement l'usage des antibiotiques pour soigner les troupeaux (voir encadré), le sujet reste très sensible. De rares responsables de formation et vétérinaires livrent leur regard. Des agriculteurs acceptent de témoigner à visage découvert : ils racontent avec humilité leurs succès ou leurs échecs, parfois avec de nombreuses années de recul sur cette approche. Rien ne permet donc de mettre en doute leur bonne foi même si leur analyse relève de l'intuition plutôt que d'une approche scientifique.

Se former pour prendre soin autrement des animaux

En ce qui concerne la formation professionnelle des agriculteurs, l'Association Départementale de Formation et de Perfectionnement en Agriculture du Jura (ADFPA) assure cette mission pour le compte de la chambre d'agriculture. Les deux tiers du catalogue de formation de l'ADFPA concernent des approches alternatives. Les formations en homéopathie existent depuis 2007, à la demande des agriculteurs. Étienne Faure, animateur-formateur pour l'ADFPA depuis 2009, recense près de 150 éleveurs du Jura qui ont été formés aux bases de l'homéopathie. Il s'agit principalement d'éleveurs laitiers, en agriculture conventionnelle comme en agriculture biologique, qui cherchent « une autre façon de soigner leur troupeau, une motivation pour réduire l'utilisation, notamment, d'antibiotiques et d’anti-inflammatoires » selon lui.

Néanmoins, selon Étienne Faure, « certains viennent chercher des recettes » mais alors « ils se fatiguent vite » quand il s'agit de mettre en pratique la formation. Étienne Faure estime à un tiers le nombre d'éleveurs qui, effectivement, met en pratique la formation sur le long terme. À ceux qui échouent dans l'homéopathie, le formateur conseille de rebondir en suivant les formations sur l'approche globale du troupeau ou la gestion de l'alimentation.

Depuis 2015, la chambre d'agriculture de Côte-d'Or a, elle aussi, mis en place des formations à l'homéopathie en partenariat avec le groupement d'interventions et d'entraide Zone Verte basé à Arbois (Jura). Marie-Claude Guerrier est responsable de formation au pôle élevage de la chambre d'agriculture de Côte-d'Or depuis janvier 2017. Elle constate que les éleveurs demandent à « se former aux pratiques alternatives » pour « prendre soin autrement de leurs animaux ». Chaque année, près de dix éleveurs s'inscrivent pour être initiés, venant majoritairement de l'agriculture conventionnelle. Ils conduisent principalement des élevages bovins ou des troupeaux de petits ruminants. Depuis 2015, ce sont une centaine d'éleveurs qui ont été formés, ce qui est à mettre en regard des 2000 élevages de ruminants existant dans la Côte-d'Or.

« L’éleveur est le premier pilier de la santé de ses animaux »

Marie-Claude Guerrier souligne que les éleveurs « sont très conscients de l'impact de l'utilisation des substances médicamenteuses sur la santé humaine, la santé animale ». Selon elle, « l'homéopathie, on ne peut l'utiliser qu'en curatif, on ne peut pas faire de prévention avec l'homéopathie. Mais ce sont des gens qui vont vouloir, avant tout, prévenir les problèmes sur leurs animaux et, s'il y a un problème, avoir des solutions pour pouvoir agir ». Les éleveurs ne veulent pas se retrouver démunis face à un animal malade : « s'il y a besoin de soigner, ils vont aller chercher des remèdes naturels sans exclure, bien sûr, le vétérinaire et l'allopathie ». Marie-Claude Guerrier assure qu'elle voit des éleveurs « en bons termes avec leur vétérinaire ».

Sur ce sujet délicat, Marie-Claude Guerrier préfère le rappeler : « on n'est pas là pour se substituer au vétérinaire ». Les formations sont là « pour accompagner des agriculteurs qui ont envie de changement et d'aller vers ces nouvelles pratiques. L'éleveur n'est pas un vétérinaire. L’éleveur est le premier pilier de la santé de ses animaux parce qu'il peut prévenir un certain nombre de pathologies chez lui en faisant un certain nombre de réaménagements (bâtiments, alimentation, etc.) ».

Les retours à la suite des formations sont très variés. Selon Marie-Claude Guerrier, certains éleveurs sont « très contents », ils ont « réussi à soigner des animaux », « d'un point de vue financier, ils ont vu la différence ». La responsable de formation évoque un cas qu'un éleveur lui a rapporté : une quinzaine de veaux ayant des diarrhées où l'éleveur s'en est sorti tout seul et « a réussi à les sauver ». Il a donc ainsi économisé le déplacement du vétérinaire, le médicament, la perfusion...

Diminuer les frais vétérinaires par les méthodes alternatives

Si les tarifs de vétérinaire n'ont pas évolué ces dernières années, la situation économique des élevages pour produire de la viande bovine s'est aggravée. « Les budgets sont plus contraints » confirme Marie-Claude Guerrier. Vouloir limiter des dépenses peut amener des éleveurs à changer leurs pratiques.

Dans le cadre de formations sur les coûts de production et sur l'accompagnement à la conversion à l'agriculture biologique, Étienne Faure a étudié les comptes d'une cinquantaine d'élevages jurassiens. À partir de cela, il constate une dépense moyenne pour les frais vétérinaires de 80 euros par unité gros bétail (UGB : une unité de référence servant à comparer les différents animaux) avec des pics jusqu'à 120 euros/UGB/an. Quand il se penche sur les élevages pratiquant des méthodes alternatives, il constate que la dépense tombe à 50 euros/UGB/an et même à 35 euros/UGB/an chez des éleveurs ayant trouvé un bon équilibre pour leur troupeau.

Étienne Faure souligne les résultats « en mortalité et morbidité favorables », en étant « en dessous de la moyenne » pour les éleveurs s'intéressant à l'homéopathie. Selon lui, ils ont tout simplement « moins d'animaux malades et moins de mortalité ». Pour autant, afin d'envisager l'effet de l'homéopathie, le formateur considère qu'il est « plus intéressant d'aller sur des critères globaux d'élevage que la réussite de tel ou tel remède parce que c'est très compliqué à évaluer ».

« Je trouvais que j'avais trop souvent besoin d'un vétérinaire sur la ferme »

Le parcours de Laurent Baudouin rend son témoignage sur l'homéopathie vétérinaire intéressant à plus d'un titre. Agriculteur des plus conventionnels puis modéré puis bio, Laurent Baudouin a évolué avec une exigence renouvelée pour toujours gagner en qualité de suivi de son troupeau. Laurent Baudouin a commencé le métier d'agriculteur en 1997. En 2007, il s'installe à Sirod, sur les premiers plateaux du Jura. Il passe en agriculture biologique en 2014. Dans la haute vallée de l'Ain, il gère un troupeau de 30 vaches laitières plus des génisses et des vaches de réforme. Chacune de ses montbéliardes produit environ 4.700 litres de lait sur 300 jours de lactation, lait valorisé pour du comté bio auprès de Jura Terroir.

La première année de son installation, Laurent Baudouin a perdu 3 veaux sur 43 vêlages alors que son prédécesseur constatait le décès de la moitié des nouveaux-nés. Déjà, Laurent Baudouin avait donc une approche individuelle favorable au troupeau. Bien que restant en agriculture conventionnelle, Laurent Baudouin avait modifié des paramètres : arrêt des engrais, arrêt des concentrés alimentaires destinés aux génisses, arrêt des blocs à lécher minéraux pour les génisses... « En faisant de l'économie, je me suis rendu compte que j'ai remis de la santé » constate-t-il.

Un éleveur en colère contre ses animaux ?

En 2008, Laurent Baudouin suit les formations de Zone Verte à raison de deux jours par an : « je trouvais que j'avais trop souvent besoin d'un vétérinaire sur la ferme » justifie-t-il. Si les vêlages se passaient bien, il ne comptait plus les mammites ou les boiteries. « Quand on a une vache qui boîte, si on n'a pas le produit en stock, on va chez le vétérinaire, avec une ordonnance on le ramène, c'est pas compliqué. C'est tellement facile qu'on en oublie presque l'utilité » soupire-t-il à présent.

Durant son parcours, Laurent Baudouin reconnaît qu'il a beaucoup travaillé sur ses « peurs » qui l'amenaient à agir de préférence pour calmer son propre stress plutôt que pour aider les animaux. L'éleveur joue la transparence : « avant, je regardais la vache comme quelque chose qui devait me rapporter de l'argent. Donc, quand elle tombait malade, j'étais assez en colère après elle. Maintenant, ce n'est plus pareil. Je me suis remis en cause. Quand elle est malade, elle est malade ! C'est aussi un peu de ma faute, souvent, parce que je n'ai peut-être pas bien réglé ma ration. (…) Si vous réglez d'abord votre ration, en fait, vous avez presque plus besoin de rien ». L'homéopathie serait la touche finale en quelque sorte.

D'une grande curiosité intellectuelle, Laurent Baudouin s'est rapidement senti très à l'aise avec les formations de Zone Verte : « l'homéopathie m'a servi à réapprendre à observer tout parce que c'est tellement minutieux comme observation que l'on est obligé de se forcer à observer ». Dans les premiers temps de son intérêt pour cette pratique, il conservait une intervention majoritairement allopathique via son vétérinaire conventionnel. Puis, il a glissé progressivement vers une approche majoritairement homéopathique.

Aujourd'hui, il est d'ailleurs déçu de constater que sur six veaux traités à l'allopathie récemment, cinq sont morts. « Je n'ai pas de performance supérieure en allopathie » annonce-t-il, même si pour autant, certains de ces veaux sont quand même décédés malgré un traitement homéopathique. Avec le recul, quand il fait le bilan, l'éleveur estime que les effets positifs de l'homéopathie et de l'allopathie sont équilibrés. Il constate autant de fois où l'homéopathie agit favorablement que de fois où c'est l'allopathie.

Selon Laurent Baudouin, son budget de frais vétérinaires est passé de 5.000 euros annuellement à environ 1.000 euros. Avant la transition vers l'homéopathie, le vétérinaire venait trois à quatre fois par mois, maintenant il vient quatre à six fois dans l'année. Notons que si l'homéopathie est recommandée en agriculture biologique, les éleveurs bio sont néanmoins autorisés à recourir jusqu'à trois interventions allopathiques sur douze mois.

Dans un état critique, une vache se relève en trente minutes

Laurent Baudouin considère que c'est à l'éleveur de détecter que l'animal est malade puis au vétérinaire d'intervenir. Avec une certaine émotion, il évoque le cas d'une vache qui a plusieurs fois frôlé la mort. Un jour, l'éleveur repère que Gamelle, une de ses montbéliardes, a du mal à respirer et il remarque un goitre. Il appelle le vétérinaire qui diagnostique « une langue de bois » [NDLR : une actinomycose linguale, une infection chronique granulomateuse due à une bactérie anaérobie]. Pourtant, l'éleveur tâte la langue de l'animal qui reste souple. Bien que perplexe, le vétérinaire prescrit un anti-douleur et un antibiotique. Au téléphone, Laurent Baudoin décrit les symptômes au vétérinaire homéopathe de Zone Verte qui suit son élevage et qui lui lui conseille d'administrer Silicea alors que la vache est à l'agonie. L'éleveur donne les granules en question et remet Gamelle au champ, la vache ayant le regard dans le vague. Le lendemain matin, Gamelle allait bien et reprenait des forces.

Deux ans plus tard, après avoir vêlé, Gamelle déclenche cette fois une piroplasmose (une maladie due à un parasite du sang). Le vétérinaire conventionnel connaît bien la maladie et prescrit un antibiotique courant. Deux jours après, l'état de Gamelle avait empiré et le vétérinaire tente de réaliser une transfusion sanguine à partir d'une seconde vache qui fait alors un malaise. Là, l'éleveur s'interpose, ne voulant pas perdre deux vaches. Laurent Baudoin téléphone au vétérinaire homéopathe de Zone Verte qui conseille l'administration de Mercurius solubilis. Gamelle reste couchée. Laurent Baudoin tente alors de donner Arsenicum album et a la joie de voir la vache se relever trente minutes après. Trois jours de ce remède et Gamelle allait mieux, reproduisait du lait en 15 jours et faisait des jumeaux l'année suivante !

« Fabriquer de la santé »

Le collectif « Zone Verte » auquel Laurent Baudouin a fait appel pour sa formation et pour des visites est un groupement d'interventions et d'entraide fondé en 2002 par des vétérinaires, des herboristes ou encore des botanistes. Paul Polis fait partie des fondateurs. Pendant quatorze ans, Paul Polis a d'abord travaillé comme vétérinaire classique, faisant des remplacements, étant salarié de cabinets puis installé en association. Insatisfait de la médecine conventionnelle qui, selon lui, « coûtait très cher et dont les résultats étaient médiocres », il s'est inscrit en 1991 dans une école d'homéopathie à Liège (Belgique) pour cinq années d'études supplémentaires. En 1999, il décide « d'arrêter la médecine chimique industrielle ».

Suite à des rencontres organisées par l'ITAB (Institut Technique de l'Agriculture Biologique), quelques vétérinaires indépendants pratiquant des médecines naturelles décident de se rapprocher pour fonder le GIE Zone Verte afin de partager leurs expériences de terrain et de transmettre ces connaissances aux éleveurs par des formations. Leur objectif est de « fabriquer de la santé, de comprendre ce qui se passe réellement dans les élevages ». Depuis 2002, Zone Verte revendique la formation de plusieurs milliers d'éleveurs aux pratiques alternatives. Encore aujourd'hui, Paul Polis intervient dans la moitié de la France et même parfois en Suisse ou en Belgique. Les deux tiers des agriculteurs qui font appel à Zone Verte sont installés en agriculture conventionnelle. Dans une approche collaborative, les suivis d'élevage constituent la base pratique qui sert aux vétérinaires pour construire le contenu de leurs formations.

Pour Paul Polis, « les maladies ne sont pas une sorte de malheur suspendu en permanence au-dessus de la tête de chaque individu ». Il voit plutôt les maladies comme « l'expression du mal-être et des mauvaises conditions de vie ». Dans les élevage, « la première chose à faire, c'est de réfléchir à comment mettre les animaux dans des conditions de vie, de confort et d'alimentation qui leur soient favorables. Ce qui fait que les maladies artificielles (générées par les techniques d'élevage intensif) n'ont plus de raison d'être. Mais des maladies, il y en a de naturelles. Il a toujours fait trop froid, trop chaud, trop faim, trop soif, trop triste, trop gai... ».

Selon Paul Polis, l'homéopathie est un système de soin dit « énergétique », comme dans l'acupuncture, l'ostéopathie ou le magnétisme. Il reconnaît que ces méthodes de soins font appel à « un raisonnement différent » qui peut interpeller. Il place sa réflexion dans un cadre philosophique : « nous vivons aujourd'hui dans une civilisation qui fonctionne dans ce qu'on appelle le paradigme de la matière, l'argent, le capitalisme ou le médicament chimique » alors que « l'homéopathie fonctionne avec un autre paradigme qui est de l'ordre de l'énergie immatérielle ».

Le vétérinaire homéopathe renvoie chacun à sa spécialité pour expliquer plus avant le phénomène : « je ne suis pas un spécialiste ni de chimie ni de physique quantique (…), je suis un praticien et donc un praticien empirique : la médecine est un art, pas une science ». « Je soigne des animaux depuis des années et j'ai des résultats donc, une efficacité qui est constatée sur le terrain » assure Paul Polis. « Les éleveurs sont des gens concrets : si vos résultats ne sont pas bons, ils ne vous appellent plus ». Or, le vétérinaire voit la demande en homéopathie qui ne cesse d'augmenter. Aux physiciens spécialisés d'effectuer « la démonstration en détail de ce qu'est le mode d'action du remède homéopathique ». Il peste néanmoins contre « la mauvaise foi » de ceux qui confondent « l'absence de preuve avec la preuve de l'absence » (voir encadré).

Se faisant plus provocant, Paul Polis dénonce le manque de moyens alloués à la recherche concernant l'homéopathie : « depuis le début, l’homéopathie est marginalisée. Elle n'a jamais disposé des sommes monstrueuses qu'utilisent les scientifiques financés par les industriels pour rechercher tout et n'importe quoi, à condition que cela fasse du profit pour les actionnaires. En conséquence, les homéopathes ont dû se débrouiller avec de très faibles moyens ». Malgré cela, Paul Polis considère qu'ils ont constitué au fil du temps une grande somme d'expérimentations de remèdes.

Le bien-être animal avant tout

En visite sur la ferme de Laurent Baudouin en ce mois de juillet 2019, Paul Polis mobilise une analogie pour illustrer la vie sociale d'un troupeau : « une stabulation comme ça, c'est comme un échiquier. Toutes les bêtes ont leur place et savent où sont les autres. Si vous en bougez une, c'est tout qui bouge parce qu'il y a un rapport social permanent entre les différents animaux ».

Quand il intervient, le vétérinaire homéopathe est attentif à l'ambiance. Il fait particulièrement attention à la relation vaches-éleveur. Il étudie « l'homogénéité » du troupeau avant de « regarder plus en détail le comportement des vaches ». Il est « attentif au bruit, aux attitudes, à l'état général, à l’aspect de la peau, des bouses, cela permet d'avoir une idée de la dynamique de santé des animaux ». L'éleveur aussi surveille. Le travail d'observation développé durant les formations est mis en pratique tous les matins. Quand Laurent Baudouin nourrit ses vaches, il observe et écoute : « le fait de donner à manger, on entend une ambiance. Ça bouge, ça chie, ça mâche, ça se gratte... ». Cette ambiance donne des indices sur l'état du troupeau avant de constater d'éventuelles anomalies individuelles.

Selon Paul Polis, l'orientation de la sélection génétique moderne cherchant à favoriser essentiellement la production, génère des animaux de faible résistance. Qui plus est, minorer le bien-être animal induit des problèmes : « la concentration favorise les pathologies » assure-t-il. Comme toute l'énergie est mise dans la mamelle, les vaches laitières « risquent d'être assez sensibles à différentes pathologies » à ce niveau-là. Face à cela, il constate que l'agriculture biologique tend à « revenir vers des animaux adaptés à leur milieu, qui sont un peu moins productifs mais qui sont plus solides ».

Après avoir converti son exploitation à l'agriculture biologique, Laurent Baudoin a constaté « une grande amélioration de la santé de [ses] animaux » notamment en cherchant à équilibrer le ratio granulés / foin dans la ration alimentaire avec un objectif : ne pas surproduire. L'éleveur bio reconnaît qu'un agriculteur conventionnel veillant lui aussi à cet équilibre alimentaire pourrait atteindre le même résultat : « ce n'est pas une méthode de bio, c'est une méthode de logique et de bien-être ».

« On ne peut pas remplacer un vétérinaire »

Autre paysage, la plaine de Saône. Autre type d'élevage, des charolaises pour leur viande. Autre témoignage. Après avoir été soignée pour un cancer, Sandrine Vincenot s'est intéressée aux « méthodes alternatives au soin des animaux » au travers de formations de la chambre d'agriculture de Côte-d'Or qu'elle suit depuis 2016 (médecines manuelles, plantes médicinales, huiles essentielles...). En effet, Sandrine Vincenot est conjointe-collaboratrice sur une exploitation agricole en polyculture-élevage allaitant en orientation conventionnelle à Rouvres-en-Plaine (Côte-d'Or). La ferme couvre une centaine d'hectares et accueille une centaine de charolaises (50 vaches et 45 génisses) dont la viande est valorisée localement.

Lors des formations, Sandrine Vincenot a été surprise par « l'efficacité de l'homéopathie ». Elle cite le cas assez étonnant d'une « une génisse qui n'acceptait pas son veau, qui ne le regardait pas à la naissance ». Cela implique que ce soit l'éleveur qui prenne des coups en approchant le veau pour qu'il puisse téter sous la mère et cela peut ne pas fonctionner. Sandrine Vincenot avait entendu parler d'un remède pouvant « déclencher cet instinct maternel ». L'éleveuse a donc administré des granules de Chocolat et « au bout de deux heures, la génisse regardait son veau et le soir, finalement, elle l'avait adopté ». Un cas probant d’efficacité de l'homéopathie selon elle car « en chimique on ne peut pas le faire ».

Sandrine Vincenot voit l'homéopathie comme un « complément » de l'allopathie : « on ne peut pas remplacer ni un médecin, ni un vétérinaire ». Même si pour les vêlages difficiles, « le véto vient », « on peut préparer la vache avec de l'homéopathie donc on peut aider l'acte vétérinaire ». Les vétérinaires du cabinet qui intervient sur la ferme sont informés de son intérêt pour les méthodes alternatives.

Interrogée sur les effets négatifs de l'homéopathie, Sandrine Vincenot n'a pas constaté d'effet plus grave que la simple absence d'effet. Quand les remèdes ne fonctionnent pas, il faut néanmoins rechercher d'autres solutions et l'approche allopathique ne soigne pas non plus à chaque fois. Elle donne l'exemple d'une situation où le vétérinaire a été appelé parce que les remèdes homéopathiques ne produisaient pas d'effet sur un veau malade et, finalement, le veau est mort quand même. « On a fait une autopsie, le vétérinaire nous a dit 'de toute façon, vous auriez pu faire tout ce que vous voulez, le veau était déjà condamné, il était trop infecté' ».

La fin de la « guérit-tout médecine »

Portant un regard dénué d'idéologie sur l'allopathie et l'homéopathie, Thierry Virely, vétérinaire allopathe de son état, joue l'arbitre des élégances. Thierry Virely participe à un cabinet de six vétérinaires installé à Pouilly-en-Auxois au milieu d'une zone d'élevage de charolaises allaitantes. Les soins des animaux d'élevage constituent 55 % de l'activité du cabinet.

Les vétérinaires sont formés pendant sept années après le bac. Thierry Virely est, lui, sorti de formation en 1989 et s'est installé en 1995. « Dans ma formation, j'ai eu très peu d'homéopathie » indique-t-il, « à l'époque, c'était original (…) pour ne pas dire excentrique ». Pour autant, « on m'a toujours dit 'les antibiotiques, il faut en utiliser de moins en moins' » même s'il a alors bel et bien constaté l'existence d'une « guérir-tout médecine » avec l'usage d'antibiotiques maintenant considérés comme critiques.

Du fait du plan Eco Antibio (voir encadré), il n'est aujourd'hui possible d'utiliser ces antibiotiques critiques que si on isole le germe par des analyses suivies d'un antibiogramme pour vérifier que le spectre de l'antibiotique est adapté et nécessaire. Ces test induisent des frais et des délais avant d'appliquer le traitement, ce qui est évidemment dissuasif. Les antibiotiques classiques ayant parfois de longs délais d'attente, les éleveurs peuvent être enclins à trouver d'autres solutions que celles impliquant le fait de jeter dix jours de production laitière par exemple. D'où l'intérêt de la prévention et des méthodes alternatives pour l'économie d'une exploitation.

Le plan Eco Antibio remet « du diagnostic dans le système » selon Thierry Virely, de façon à adapter le bon traitement à la bonne pathologie plutôt qu'à utiliser le même produit, au spectre très large, pour toutes les pathologies. Et de donner l'exemple des boiteries des vaches, souvent soignées par un puissant antibiotique, alors qu'il peut suffire de soulever le pied de la vache, de soigner la lésion du sabot et l'éventuel abcès.

L'éleveur, infirmier de ses animaux

Une fois par an, les vétérinaires établissent un BSE (bilan sanitaire d'élevage) en visitant l'élevage. Ce BSE est pris en charge par l’État. En fonction des maladies récurrentes, un plan de vaccination des veaux est instauré. Un protocole est mis en place : prise de la température, relevé des rythmes cardiaque et respirations puis injections recommandées en première intention. Ce protocole est appliqué par l'éleveur lui-même qui ne va recontacter le vétérinaire que si le cas individuel empire ou s'il y a un début d'épidémie. Par analogie avec la médecine humaine, l'éleveur est donc l'infirmier de ses animaux.

Thierry Virely souligne que le principal risque à utiliser des antibiotiques repose sur l'éleveur lui-même car il peut y avoir des sélections de résistances qui vont être portées à l'homme, ce qui va compliquer l'action de la médecine si les éleveurs tombent malades. Le vétérinaire rappelle que sa première action est de vérifier si la maladie de l'animal est transmissible à l'homme. Le vétérinaire a un mandat de l’État pour surveiller les zoonoses. Ensuite, il évalue le risque pour l'ensemble du troupeau ainsi que pour les troupeaux du voisinage.

« Le plus important, c'est que les éleveurs fassent de la zootechnie »

Concernant l'homéopathie, « je ne l'utilise pas » reconnaît Thierry Virely, ajoutant « je n'ai absolument rien contre ». Il sait bien qu'il a quelques clients qui l'utilisent sans lui dire. Selon lui, « avant de parler de l'homéopathie en traitement, l'intérêt de l'homéopathie, c'est de le faire mettre le doigt sur le préventif, sur le bien-être animal ». A contrario, l'homéopathie risque d'être difficile à utiliser pour les élevages qui jouent la carte du cadre strict de l'industrialisation agroalimentaire : « gros troupeaux », « vêlages très groupés », « lots de broutards prêts à vendre tous en même temps »...

Prenant l'exemple décidément récurrent des veaux malades : « on sait très bien que pour éviter les diarrhées d'un veau qui naît, il faut le faire téter tout de suite ». Si les éleveurs les motivent pour le faire, « on voit qu'on ne soigne presque plus de diarrhées ». Thierry Virely constate qu'il perfuse quatre fois moins de veaux qu'il y a vingt ans avec le même volume de clientèle. « Le curatif représente dans notre boulot peut-être le quart de ce qu'il représentait il y a trente ans » selon lui.

« Les clients qui sont bons éleveurs, qui regardent bien leurs animaux, qui font de la zootechnie, ceux-là on peut faire de l'homéopathie avec eux. Moi, je fais beaucoup de préventif avec eux, je fais de la supplémentation. En curatif et en utilisation d'antibiotiques ou anti-inflammatoires chez ces gens-là, c'est presque rien ! » souligne-t-il avec un sourire [NDLR : la zootechnie est l'ensemble des sciences est techniques mises en œuvre dans l'élevage des animaux]. Un si faible nombre de traitements allopathiques que Thierry Virely estime que « la plupart de nos éleveurs qui travaillent bien » dans l'Auxois, pourraient passer en bio sur ce critère-là. Le vétérinaire insiste : « le plus important, ce n'est pas allopathie ou homéopathie, c'est que les éleveurs fassent de la zootechnie ».

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