Les sentinelles environnementales en colloque à Remoray

Les sixièmes rencontres des zones humides du massif jurassien ont traité des sentinelles environnementales, ces animaux ou plantes qui signalent par leur présence ou leur absence que les milieux naturels changent, se dégradent, s'améliorent... Réintroduite il y a quelques années, l'écrevisse à pattes blanches en est un exemple...

remoray

Qu'y a-t-il de commun entre le rat des moissons, la saxifrage oeil de bouc et la libellule leucorrhinia pectoralis ? Ils sont tous inféodés aux zones humides ! Du moins, le présume-t-on pour le premier, micromammifère de 8 grammes qui finit plus souvent qu'à son tour dans l'estomac d'une couleuvre à collier ou d'un rapace. Tous les trois ont en tout cas été les vedettes des Sixièmes rencontres jurassiennes consacrées aux zones humides, de leur connaissance à leur gestion, qui viennent de se tenir à Labergement-Sainte-Marie.

C'est un colloque scientifique dont la première édition remonte à 1994, à Gex. Il permet de faire le point de recherches qui sont souvent au long cours, d'évoquer le bilan d'actions s'inscrivant dans la durée, de réfléchir, de partager. On y croise des gestionnaires de réserves naturelles et des botanistes, des entomologistes et des militants de la biodiversité, des fonctionnaires et des universitaires suisses et français.

Mortel pour ceux qui grimpent sur un buisson

Fabrice Darinot, l'enthousiaste conservateur de la réserve naturelle de marais de Lavours, entre Rhône et Grand Colombier, s'est entiché de micromys minutus, le fameux rat des moissons. Ce petit animal habite une zone humide régulièrement inondée. Vivant dans la partie supérieure de la végétation, il finit par partir un peu plus haut quand l'eau atteint 40 cm... Mieux vaut s'en aller, car « c'est mortel pour ceux qui grimpent sur un buisson ou un arbre : si ça dure, ils n'ont plus rien à manger, ou peuvent être pris par un rapace ».

Jacques Bordon : « les zones humides sont enfin prises en compte, mais une compensation ne compensera jamais ce qui a été détruit »
Vous êtes le modérateur de ces sixièmes rencontres... Quelles ont été les précédentes ?
La première s'est tenue à Gex en 1994, la seconde à Prénovel sur les oiseaux, la troisième au Sentier (vallée de Joux) sur le paysage, la quatrième à Mijoux (Ain) pour les dix ans de la réserve naturelle de la haute chaîne du Jura, et en 2010 à Lajoux sur le thème : gérer la biodiversité, nécessité ou fatalité ? On n'a pas répondu à la question, mais on a continué à gérer !
Êtes-vous militant ou scientifique ?
J'ai enseigné la biologie pendant 40 ans au lycée de Bellegarde. Je participe au Conservatoire des espaces naturels de Haute-Savoie. Je préside le conseil scientifique de la réserve de la haute chaîne du Jura... Nous avons quatre partenaires : les amis de la réserve de la haute chaîne, le parc naturel régional du Haut-Jura, le parc naturel du Jura vaudois, et la réserve de Remoray.
Dans quel état sont les zones humides ?
Elles sont enfin prises en compte. De 1960 à 1990, la moitié des zones humides de France ont été détruites, et je ne parle pas de celles d'avant. C'est une prise en compte tardive, l'eau un bien précieux. Les zones humides absorbent les excédents, ont un rôle hydrologique, d'épuration, géodynamique... Elles sont une grande réserve de biodiversité : 50% des animaux menacés y sont inféodés, 30% des plantes... Les tourbières sont des archives environnementales car des pollens y sont emprisonnés : on peut refaire l'histoire du climat et des activités humaines. Les nombreuses études dans les lacs savoyards ont délivré des indices de perturbation dans les sédiments, de l'exploitation des mines de plomb aux traces de séismes qui perturbent les dépôts... De quel droit détruirions-nous des zones humides qu'on nous a données ? Elles sont menacées par l'agriculture intensive, l'urbanisation, les parkings... On draine, on assèche.... Il n'y a pas longtemps, on y mettait nos déchets ! L'irrigation abaisse les cours d'eau...
Ne continue-t-on pas à les grignoter ?
Depuis dix ans, c'est plus difficile de les dégrader. Les agences de l'eau sont vigilantes.
Ne risque-t-on pas de voir naître un marché des compensations, comme on a un marché des droits à polluer avec un cours du carbone ?
La loi dit qu'il faut d'abord éviter les destructions, réduire et compenser quand tout a été écarté... Mais une compensation ne compensera jamais ce qui a été détruit, c'est un pis-aller.
Êtes-vous satisfait de ces rencontres ?
Oui ! Les intervenants sont de qualité !
Vos travaux sont-ils utilisés par les aménageurs ou les collectivités ?
Pas assez !
L'environnement, ça commence à bien faire ?
(rire) Les gens qui disent ça râlent quand c'est devant chez eux en disant mais que font les écolos ?

Grâce à des marquages et un suivi individuel d'animaux capturés puis relâchés après pose d'un émetteur, l'étude a montré que certains revenaient après la décrue, que d'autres changeaient de groupe. Connaissent-ils le paysage ? On ne sait pas encore, mais l'étude doit tenter de répondre à cette cruciale question : « les inondations entraînent-elles une véritable migration ou seulement des mouvements de dispersion ? A terme, c'est le statut du rat des moissons comme emblème des zone humides qui pourra être mis en évidence ».

Une espèce des marais qui n'aime pas l'eau !

La saxifrage oeil de bouc est une fleur rare. Si rare qu'elle est menacée d'extinction en Europe continentale où elle disparu de Pologne et du Danemark. En France, on ne la trouve plus qu'à Bannans, dans la vallée du Drugeon. Elle a disparu de Frasne en 2008 après une fuite dans le réseau d'assainissement. Elle a quitté les Pontets et le Bélieu où on l'avait repérée dans les années 1990. Des botanistes constituant des herbiers aux Rousses et aux Granges-Narboz sont sans doute l'origine de sa disparition de ces sites.

« C'est une espèce de marais à qui il faut de l'eau circulante et bien oxygénée, mais elle n'aime pas trop l'eau et on la trouve sur des buttes », dit Pascal Vittoz, enseignant-chercheur à l'université de Lausanne. En effectif précaire à Bannans, elle se trouve aussi dans la combe des Ambrunex, près du col du Marchairuz, dans le Jura vaudois. Les jardins botaniques de Besançon, Nancy, Mulhouse, Lausanne et Genève tentent d'en conserver des graines et font des tests de culture.

Un projet Intereg à financement européen permet d'envisager d'en réintroduire, les Suisses songent aux Verrières et à Varconnaz, les Français au Drugeon, à Malpas et La Planée... N'est-ce pas utopique ?, s'interroge un participant. « L'espèce s'est maintenue récemment même avec le changement climatique, j'ai plus peur des perturbations humaines », répond Julien Guyonneau, du Conservatoire botanique national de Franche-Comté. 

Les fossés n'assèchent pas la tourbière, mais les marais plus hauts

Les amoureux des libellules ont de bonnes raisons d'approuver les efforts réalisés depuis une vingtaine d'années pour restaurer la vallée du Drugeon, et plus particulièrement la remise en eau de petits systèmes tourbeux. Exploitées intensivement de 1830 à 1960 pour le chauffage, les tourbières de Frasne et Bouverans ont été largement drainées par de nombreux fossés. « Ces fossés n'assèchent pas la tourbière, mais les marais plus hauts », explique Geneviève Magnon. Les travaux de restauration conduits par le Syndicat mixte des milieux aquatiques du Haut-Doubs en 2005, 2009, 2011 et 2014 ont consisté à en combler quelques uns après repérage aérien par laser, un système mis au point par le biologiste suisse Philippe Grosvenier. L'appareil enregistre des données et calcule des simulations de travaux, ce qui n'exclut pas, bien au contraire, une connaissance fine du terrain.

L'effet des travaux de « reconquête » des tourbières a été au rendez-vous : « à chaque fois qu'une fosse à eau a été créée, les libellules sont revenues dans les deux ans, la durée de leur cycle de vie. C'est une recolonisation très rapide, liée à la méthode choisie », dit Catherine Genin, de l'association des amis de la Réserve naturelle du lac de Remoray. « Dès qu'on creuse, les libellules arrivent », dit Geneviève Magnon. Parmi celles-ci, les « stars » que sont leucorrhinia pectoralis « qui pond dans les sphaignes » et leucorrhinia caudalis. La vallée du Drugeon abrite 61 espèces de libellules dont 4 protégées et 11 un statut de conservation défavorable dans la région. Cette population représente 80% des libellules franc-comtoises, et les deux-tiers des libellules de France... Les grenouilles aussi y ont trouvé de quoi se loger, ce qui ne déplaira pas aux gastronomes du coin... 

L'écrevisse à pattes blanches tiendra-t-elle le coup ?

Bruno Tissot, l'hôte des rencontres qui se tenaient pour la première fois dans le Doubs, conclut le colloque par un bilan des vingt ans de la réserve naturelle du lac de Remoray. C'est là qu'on a commencé, quelques mois avant que cela se fasse dans le Drugeon, à reméandrer les cours d'eau. Avant la restauration par le comblement des drains, « la Verpillière faisait 2,50 m à 3 m de large, avait une végétation mono-spécifique, maintenant elle fait moins d'un mètre de large et son eau est au niveau du sol : il y a une reconnexion de la zone humide avec son terrain... La nappe phréatique est remontée. Avant, le niveau fluctuait de 0,45 m, maintenant de 0,10 à 0,15 m... Des petites dépressions sont toujours en eaux alors qu'avant elles étaient à sec en deux jours ».

Parmi les constats, vingt et une espèces ont recolonisé le milieu. La réintroduction des très rares et protégées écrevisses à pattes blanches, en 2006-2008, n'a toujours pas délivré son verdict : « on saura dans deux ou trois ans si c'est un échec ou une réussite... Elle est invisible dans la Verpillière, il y en a eu quelques unes dans le Lhaut... » Côté oiseaux, le rare râle des genets est présent avec de un à trois couples sur dix dans la région. Le tarier des prés, qui s'était développé du temps des marais drainés, régresse : 20 couples en 1990, cinq l'an dernier. La bécasse nicheuse n'est quasiment plus là, tant en Franche-Comté (250 couples en 1990, 50 aujourd'hui) que sur la réserve (4 couples en 1990, zéro en 2014), mais il y a des migratrices... chassables à l'inverse des nicheuses.

 

 

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