Les baroudeurs devenus paysans

Utopie rendue possible par le travail et le courage d'un jeune couple, la ferme de l'Iserole, à Orchamps, fait du maraîchage bio en s'orientant vers la permaculture, l'agroforesterie, l'autonomie. La production est vendue à des consommateurs locaux regroupés en AMAP et quelques restaurateurs. Un exemple alors que se tient le festival Alternatiba à Besançon.

ferme

Ils vivent dans une vaste plaine à Orchamps, dans le Jura, à quelques encablures de la voie ferrée. Au-dessus d’eux, les nuages et la nuit, une profusion d’étoiles. Ils se sont arrêtés là un jour, après avoir baroudé, travaillé et cueilli. Flora et Thomas rêvent à voix haute d’une agriculture bio autonome, ici et maintenant, à la Ferme de l’Iserole.

Dans quelques années, ils se construiront un hangar et une maison en paille qui remplacera le camion dans lequel ils vivent. Ils se sont émerveillés récemment à la vision de l’éclipse de lune bien visible au-dessus des champs.

On entend un chant joyeux : c’est Loulio leur fils qui rentre de l’école.

Flora rassemble quelques légumes et prépare le repas. Quelques fleurs de capucines décorent la salade du jour.

La ferme rêvée est là : dans les serres où de vieilles machines sont entreposées ; dans le jardin où s’expérimentent de nouvelles variétés de légumes ; dans la réflexion menée par le couple sur les possibles de la terre et de nouveaux lendemains où le jardin et l’arbre redessinent un paysage où l’humain a sa place.

A la Ferme de l’Iserole, l’utopie devient la réalité.

Pourquoi êtes-vous devenus agriculteurs bio ?

On vivait dans un camion depuis 8 ans. On touchait le RSA. On était sur la route. On travaillait. On faisait des cueillettes. On n’avait pas envie d’être dans le bitume . A un moment donné on a cueilli des abricots dans le conventionnel. Ces abricots partaient en Russie. On voyait les gouttes blanches des produits de traitement. Je saignais du nez, explique Flora. Ensuite on a toujours travaillé dans le bio en se référant à l’Agence bio qui est l’annuaire de tous les producteurs bio de France. 

On voyageait aussi. Dans les pays de l’Est. Puis nous sommes allés au Mali en camion. Nous avons traversé le Maroc et la Mauritanie. Quand on est rentré, ça nous a paru étrange, les néons et les grandes surfaces…

A 30 ans, on a eu envie de construire quelque chose. D’avoir un endroit où se poser. L’idée d’acheter un terrain est venue. Thomas voulait faire une formation dans l’agriculture bio à Montmorot, mais les inscriptions étaient closes. Il a fait une formation en héliciculture au CFA de Chateaufarine. Il a eu son diplôme de chef d’exploitation agricole. Malgré cette formation, nous avons choisi le chemin du maraîchage en autodidacte.

Quelqu’un nous a mis en relation avec une personne qui voulait vendre un terrain pour de l’agriculture bio. Nous avons fait notre installation officielle avec la Chambre d’agriculture afin de pouvoir acquérir le terrain. Nous avons eu deux subventions, la Dotation Jeune Agriculteur (aide de l’Etat et de l’Europe) et le Programme Régional d’Installation (aide du Conseil régional de Franche-Comté) qui nous ont permis d’acheter le premier matériel nécessaire à notre installation.

Avez-vous d’autres aides ?

Nous essayons de vivre sans aides. Nous ne voulons pas de subventions annuelles parce que nous avons choisi d’être indépendants et de vivre de notre production et non du bon vouloir des dirigeants européens. Il faut qu’une ferme reste à l’échelle humaine.

Qu’est-ce que ça veut dire être indépendants ?

Etre autonome pour l’eau et l’électricité par exemple : au moment de notre installation on a fait faire un premier forage parce qu’on ne voulait pas se raccorder au réseau qui peut être coûteux et l’eau de mauvaise qualité. Les analyses chimiques et bactériologiques de notre eau sont bonnes. Même chose pour l’électricité : nous sommes autonomes avec les panneaux solaires et le groupe électrogène pour dépanner.

Comment s’est passé l’été avec la canicule ?

Nous avons manqué d’eau. Notre premier forage n’était pas suffisant. Grâce à un sourcier, nous avons fait un deuxième forage plus profond pour obtenir 3 m³ d’eau par heure. Suite aux frais occasionnés par le deuxième forage, cet été, nous n’avons pas pu nous salarier. Par ailleurs nous n’avons pas de loyer à payer, pas de factures d’électricité, pas de factures d’eau.

Où et comment vendez vous vos légumes ?

Au départ nous avons imprimé 5000 flyers pour vendre des paniers de légumes. La mairie d’Orchamps nous a prêté la salle des fêtes pour faire une soirée d’information. A la fin de la réunion, l’AMAP des Halles d’Orchamps était créée avec un président, un trésorier et une secrétaire. Nous avons commencé avec quinze paniers. Nous livrons à Besançon, à Zone Art. Nous avons démarché des restaurants : Court-Circuit (traiteur basé dans le Jura) Basilic Instant, Pommamour, Le Champagney, pas forcément des restaurants bio. Nous vendons aussi nos légumes au marché bio de Village Tarragnoz, place du Jura à Besançon.

C’est quoi pour vous la ferme idéale ?

C’est avoir une ferme permacole. Le principe de la permaculture c’est essayer de recréer un écosystème qui produit un maximum avec un minimum d’intervention de l’homme. La démarche permacole, c’est une logique de vie durable sur un lieu avec la maison au centre, les serres, la nurserie pas très loin, les légumes ensuite. Un peu plus loin les espaces forestiers moins visités avec les petits fruits comestibles. Et une zone humide avec des bassins.

Cette ferme idéale permet d’être autonome et d’économiser de l’énergie humaine mécanique. Pour l’instant, nous travaillons douze heures par jour et nous nous épuisons à remonter des brouettes. On va tout recentrer autour des serres et mettre autour de nous ce qui a besoin de plus d’attention.

Ensuite, nous voulons cultiver sur de la semence paysanne reproductible, dire non aux hybrides qui rendent le monde agricole dépendant des grandes firmes semencières et enlèvent de l’autonomie aux fermes : à vrai dire on sera totalement autonome quand on fabriquera nos panneaux solaires ! (rires)

Par ailleurs, notre but est aussi de sortir des énergies fossiles ; ce n’est pas encore notre cas mais on y travaille.

Ce sont nos priorités. Et quand ça marchera, ne plus toucher le RSA.

Cultiver c’est un art. Comment être autonome sur la question des légumes ?

Il y a des solutions. Avec les vivaces, on n’achète pas des graines tous les ans. C’est le cas du chou Daubenton que nous testons actuellement. On essaie de refaire des graines selon les possibilités. Dans notre métier, il y a des réseaux d’échanges. On se réunit une fois par an entre agriculteurs bio de Franche-Comté et Bourgogne pour échanger gratuitement des graines.

A chaque problème spécifique, on essaie de trouver des solutions : les courges par exemples peuvent être déformées par croisement. Dans ce cas il faudrait éloigner les variétés d’au moins 400 mètres. Mais on peut trouver d’autres solutions ; sous un voile anti-insectes, on introduit une ruchette de bourdons pour la pollinisation. Cela permet de garder le légume d’origine.

Depuis peu vous vous orientez vers l’agroforesterie qui va également dans le sens du respect de la nature. Qu'est-ce que c'est ?

Nous avons décidé de planter des arbres. L’arbre permet l’infiltration de l’eau. Ça apporte de l’ombre, de la fraîcheur, des niches écologiques, de l’humus en automne. De plus en plantant des fruitiers, cela nous apporte des fruits. On va le faire à l’échelle du maraîchage.

Cela se fait déjà sur les grandes cultures céréalières en implantant des noyers. Cela permet de récolter des noix, du blé avec une perte minime sur les rendements en quinze ans.

On a planté des arbres en arrivant ici. Maintenant on cultive déjà entre les rangs du verger : cet automne nous allons planter vingt-cinq arbres fruitiers dans les bandes jardinières.

Est-ce qu’il faut revenir à l’âge de pierre ?

Dans le maraîchage bio, le problème, c’est l’enherbement. Nous, on n’utilise pas de bâches. On travaille manuellement en essayant de mécaniser un petit peu le désherbage mais ça implique encore une utilisation importante du tracteur. Il faut trouver le juste milieu. Il existe des solutions comme les planches permanentes paillées ou couvertes de paille de foin exempté de graines… Le souci de la ferme ce sont les intrants. Il faut les limiter.

Vous êtes les seuls agriculteurs sur le terrain, est-ce que cela va changer ?

Nous, on est pour le collectif qui permet beaucoup de choses, comme le partage et les échanges. Un jour il y aura peut-être des yourtes et des amis autour. A l’échelle vivrière d’une communauté, la mise en place est facile. A l’échelle du maraîchage, il y a plus de contraintes, c’est plus difficile. La route peut être longue…

 

 

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