Les agriculteurs contre la stigmatisation acharnée

À l’initiative de la FNSEA et des JA, plusieurs manifestations et opérations escargot ont eu lieu partout en France mardi 8 octobre. Ils protestaient contre le marché commun Mercosur et pour dire leur colère face à ce qu’ils considèrent comme de l’agribashing. Reportage en Haute-Saône, où 170 tracteurs ont convergé vers midi non loin de Vesoul.

fdseavesoul

À Vaivre-et-Montoille, sur le parking de la coopérative agricole Interval, boissons, pommes bio et sandwichs attendaient les sept convois de tracteurs partis de différents points de Haute-Saône mardi matin. Après avoir causé de nombreux ralentissements sur les axes du département, environ 170 tracteurs se sont garés sur le site, surmontés des drapeaux de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes agriculteurs (JA), ou affichant le message « France, veux-tu encore de tes paysans ? ». Pour Emmanuel Aebischer, président de la FDSEA 70, cette opération est un « coup de gueule du monde agricole », fatigué des « attaques permanentes sur nos pratiques, notamment l’usage des pesticides, et du manque de considération des élus et des pouvoirs publics ». 

 En ligne de mire, le Ceta, l’accord commercial de libre-échange déjà signé entre l’UE et le Canada, et le Mercosur, un autre traité de libre-échange cette fois en cours de négociations avec plusieurs pays d’Amérique du Sud, qui permettra l’importation de produits agricoles n’ayant pas les mêmes garanties de qualité que les produits européens. Des traités qui ne passent pas dans le milieu agricole, alors même que l’État leur demande depuis plusieurs années de monter en gamme pour développer une « agriculture d’excellence ».

 « Déjà que les États généraux de l’alimentation ont été un échec avec aucun retour sur les prix, on a maintenant des accords qui viennent s’ajouter. On a beaucoup de contraintes, avec des normes qui n’existent pas ailleurs, on n’est pas concurrentiel, et on va permettre des importations de produits qu’on ne veut pas chez nous. On veut une clause d’égalité », indique Gérald Pichot, président des JA 70. D’autant que ces produits sud-américains vont s’introduire à l’insu des consommateurs, s’inquiètent les agriculteurs. « On va les retrouver en restauration collective et dans les plats transformés, les gens ne sauront pas qu’ils mangent des produits d’origine étrangère », précise-t-il. « On nous dit que les importations de viande sud-américaine ne représenteront que 1 % des importations françaises. Mais c’est sans compter sur la viande qui transite par Rotterdam et Amsterdam, et qui va revenir en France estampillée UE », dénonce également Emmanuel Aebischer.

 Dénoncer la stigmatisation acharnée

 Au-delà des problèmes économiques qu’ils rencontrent, les agriculteurs du syndicat majoritaire sont aussi là pour dénoncer l’« agribashing », soit la stigmatisation acharnée dont ils s’estiment victimes. « On a une pression de tout le monde : des consommateurs, des associations, des pouvoirs publics », résume Gérald Pichot. « Il y a un mouvement de contestation citoyenne, avec des intrusions dans les fermes », dénonce Emmanuel Aebischer. Pourtant, « on n’a rien à se reprocher », répète-t-il. Tous mettent en avant l’adaptation du monde agricole aux nouvelles normes environnementales, et le bon classement de la France en matière de sécurité alimentaire. La goutte d’eau (polluée ?) qui fait déborder le vase est la décision du gouvernement de mettre en place une consultation publique sur les zones de non-traitement phytosanitaire autour des habitations. « Il y a une hystérie sur la question des zones non traitées. Tout le monde donne son avis, mais personne n’écoute celui des scientifiques. On utilise des produits homologués, on n’est pas des apprentis sorciers », s’énerve au micro Thierry Chalmin, l’un des administrateurs de la FNSEA.

Pour Patrick Mangard, agriculteur bio au sein d’un GAEC vers Marnay, « c’est tout un système qu’on subit qu’il faudrait changer. On nous a incités à produire plus, à nourrir le monde à moins cher, et maintenant on passe pour des pollueurs ». Lui dénonce aussi les petites retraites et les primes à la conversion bio qui sont versées avec trois ans de retard. S’il estime être mal traité par l’État, il constate que « le mouvement a été plutôt bien accueilli par des automobilistes pourtant bloqués ». Mais comme tout le monde ici, il ressent le besoin « d’être reconnu ».

 Pour Gérald Pichot, lui aussi en bio, il y a « encore trop de clichés qui circulent sur le monde paysan. Le métier n’est pas connu. Les médias parlent du glyphosate sans connaître son utilisation, il se raconte tout et n’importe quoi. Manger du bio et local, ça a un prix. Et il faut laisser le temps aux filières de s’organiser. Mais on avance, en Haute-Saône, 15 % des exploitations sont en désormais en bio », souligne-t-il, tout en appelant à un rapprochement des consommateurs et des paysans.

Souvent endettés, avec des tracteurs régulièrement achetés en leasing, des prix fixés par le marché, des pratiques strictement encadrées par les pouvoirs publics, les agriculteurs dans la rue aujourd’hui se sentent dépossédés de leur métier. Ecartelés entre des consommateurs qui demandent des garanties sur la qualité et l’État qui fausse la concurrence en laissant entrer des produits qu’eux-mêmes n’auraient pas le droit de vendre, ils sont pris dans un système, qui certes les subventionne, mais leur ôte toute marge de manœuvre.

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